dimanche 3 février 2019

"Changer les choses"



Changer pas mal de choses, notamment les rapports de pouvoir, les dominations, m’a toujours paru une nécessité et une urgence.

Jeune, conscient de la difficulté de la tâche, j’ai d’abord cru pouvoir tenter quelques actions, mais je me suis vite rendu compte du peu d’audience et d’effet que peut avoir la parole d’un type lambda. Et surtout du processus de simulacre : les organisations et personnes qui déclarent (et, parfois, croient « sincèrement ») souhaiter des transformations ne le veulent pas réellement, explication la plus simple à leur « échec ».
Elles aimeraient bien que ça change, mais pas trop : changer le papier-peint de la prison, pas casser la prison. Changer le nom du directeur, pas supprimer la fonction : on passe de Louis XVI à Napoléon, du Tsar à Staline, de Sarko à Hollande, de Macron à Pimpin : ça ne me paraît pas valoir le coup de mourir pour ça.

Plus essentiellement, les « opposants » n’identifient pas la véritable cause du phénomène d’oppression : pas l’homme au pouvoir, mais ce qui en eux-mêmes fonde l’oppression, leur propre désir de puissance et de jouissance. Le « souverain », absolu ou partiel, ne l’est que par le mandat du groupe dont il sert les intérêts. On peut être à la fois victime et coresponsable (du système injuste, générateur de violence, qu’on a accepté tant qu’il nous profitait) : les juifs comme les Palestiniens, les habitants du Tiers-Monde, les défavorisés de l’Occident.

Ce que veulent les opposants, ce n’est pas que ça aille bien pour tous, mais que ça aille bien pour eux. Le système « libéral » est celui où le groupe dominant consent à ce que ça aille bien pour lui et le moins mal possible pour les autres, éventuellement. Pas rassembler les conditions nécessaires pour que nul ne soit lésé, parce que mécaniquement leur situation à eux s’en trouverait affectée. Au mieux, l’occidental aisé « mais progressiste » veut bien que les pauvres soient moins pauvres, dans la mesure, forcément faible, où ça ne diminue pas sa richesse, son confort

C’est la logique qui détermine les moyens d’action : le syndicaliste, le militant, fût-il de Lutte Ouvrière (sympathique Nathalie Artaud …), l’intellectuel « de gauche », tel un Badiou, veut bien imprimer des tracts, brandir des banderoles, publier des ouvrages, faire grève éventuellement, et c’est tout …
Et c’est peu, compte tenu de la puissance de l’adversaire : si Macron, bouge, si peu, c’est parce que quelques excités mettent le feu, gênent les profits du commerce, entachent « l’image de la France » à l’étranger. Face à un pouvoir radical, il ne peut être efficace que des actions radicales, trop coûteuses sur le plan personnel quand on a un salaire confortable, une position sociale et une vie somme toute agréables : c’est le fondement du consentement qui fait la force de la tyrannie démocratique, une soumission aux règles du jeu en échange d’un relatif confort.

Le simulacre démocratique est un spectacle qui se joue à deux : un pouvoir qui domine, aux têtes changeantes pour créer l’illusion d’une impermanence, et une « opposition » qui s’oppose, mais pas trop, qui brandit et manifeste, pour rendre la soumission moins frustrante : c’est le simulacre.

Ces oppositions en paroles parviennent parfois à changer le papier peint : coup de pouce au smic, améliorations ponctuelles, et ce n’est pas rien, ça n’est pas méprisable pour ceux qui en profitent, mais mon sentiment est : « tout ça pour ça ». J’enrage que l’oppression quotidienne se perpétue, mais s’il ne faut se battre que pour un peu de mieux pour une catégorie, c’est là que je préfère encore « fumer mon cigare dans ma voiture », m’arranger à ma façon moi aussi des désordres du monde, puisque le simulacre ne m’apporte aucun réconfort, aucune illusion « d’avoir fait ce que j’ai pu ». Danser pour la pluie, prier pour nos frères ou scander des slogans dans la rue ne me fait pas me sentir plus agissant.

Je n’ai pas envie de « me battre » (de m’en donner la bonne conscience), par exemple, pour tenter d’abroger une réforme du lycée injuste (elle l’est) qui vient remplacer une situation à peine moins injuste et aberrante, qui, étrangement, ne suscitait pas de rébellion : si les profs voulaient effectivement s’opposer au n’importe quoi des études, ils en auraient les moyens immédiats, et ils s’en seraient saisi. C’est tout un système de sélection sociale et de déliquescence comportementale qui serait à déconstruire : le prof lambda, syndiqué ou pas, est trop heureux que ses propres rejetons et lui-même soient du côté des bénéficiaires pour ne pas appliquer la validation de diplômes imbéciles.

Rien d’un « tout ou rien » simpliste : disons qu’il y a un « seuil d’efficience » à partir duquel il me semble raisonnable d’agir. Et un seuil de crédibilité : ceux qui se trompent de cible (en conspuant le monarque du moment au lieu de démonter le système dont ils sont eux-mêmes des soutiens) ou qui sous-estiment la force adverse (en imaginant qu’une grève, ou des cahiers de doléance ! puissent faire plier l’adversaire) me sont suspects.
Les activistes violents, type Baader ou Blackblocks, me semblent voués à la même inefficacité globale, sacrifier eux aussi à un autre type de simulacre : s’agiter pour ne pas s’avouer impuissant.

Une pensée et une action de la transformation commencerait par tirer leçon de la longue histoire des « luttes » et révolutions, pour poser la question là où elle me semble : qu’est-ce qu’il reste possible de faire, compte tenu de la réalité des motivations des uns et des autres, sur quels leviers réels agir … ? Mais ce serait une autre histoire … Je reviendrai dans dix-mille ans.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Ami visiteur, je lirai avec intérêt vos commentaires ...