vendredi 28 septembre 2012

Zapotek











                                                             UN





On ne remplace pas une femme comme on change un tableau au mur.
Rencontre doucereuse de la solitude et de la jubilation. Le luxe rare, à 1h30 de la nuit, quand on rentre, quand la conscience fléchit, et bascule vers le monde grotte de l’Autre Réalité, la Parole du Dedans, d’emplir la maison vide de musique, et de se balancer aux rythmes de l’Inde !
La solitude aussi.
L’écriture est la compagne attentionnée des solitaires.
Pas la solitude de la séparation.
Celle-là est liberté. Plus de contrainte pour abdiquer la pulsation de l’Etre. Plus d’Autre pour renoncer à soi. La joie entière de s’entendre, soi, résonner de l’intérieur.
Je suis dans la maison au cœur vide et à l’âme pleine.
La solitude, cet aiguillon planté au cœur, de la distance aux humains. De l’absence. De la parole murée sous le crépit des convenances. De ce qu’on ne se dit jamais. De ce qu’on ne sait pas, des autres, et qu’on crèvera sans l’avoir entendu. Leurs plaisirs et leurs peines. Leurs effarements. Leurs rêves trop secrets pour être entraperçus. Leurs rêves jamais murmurés, comme un scandale dissimulé. Leur tête à tête avec la mort. Le bruit du sang goutte à goutte, coulé en vain dans le secret de leurs veines, jusqu’à la dernière goutte, recueillie en ultime parole, dernier soupir, d’une vie passée à se taire, qu’il eût mieux valu vivre à la faire.
Conciliabule des espoirs jamais osés, des désirs, qui s’effacent à la lumière, dans le plein jour de la rencontre aveuglante, où nous baissons les yeux, de honte tue, de concupiscence timide.
Amis jamais rencontrés, à jamais perdus.
Qu’il eût mieux valu l’audace de vivre ! se gourmande le moribond …
            La pièce est vide, presque, et fait une lumière de lendemain.
            Nous nous retournons dans notre demi-sommeil agité de presque vivants, agité de ce que nous nous pressentons à vivre, et que nous aurons oublié à notre retour au monde, à l’illusion du monde qui efface le monde.
            Dans la musique solitaire de la nuit, enfin, nous sommes.

L'absence



            


            Le vôtre ?
            Son regard est fermé. Son regard est ouvert ?
            Le vôtre ?

            Ouvert sur le désir. Complicité : me diriez-vous ?
            Absent ? A quoi pensez-vous ? Est-ce l’objet du désir qui est absent ? Disparu ? Comme soufflé de la surface de la Terre.
            Vous êtes sans nouvelles ? Vous veniez en demander ? Qu’est - elle devenue ? Les autres ne le savent pas. Ou ils le savent, mais ne veulent pas vous le dire. Ignorent qu’ils le savent, ignorent que vous voulez le savoir.
            Le regard s’ouvre, prière. Comme deux autres sexes en haut du visage. Pénétrez-moi, dit son visage. Pénétrez en mon âme par le sexe de mon visage. C’est le regard. Nous sommes les uns aux autres revêtus. Nous ne souhaitons pas voir l’autre nu. Tel qu’en lui-même : non avenant, paré pour l’érotisme, miroir désirant, mais avec ses crevasses, ses boursouflures, ses impasses.
            Vous n’avez que cette question : où se trouve-t-elle à cette minute ? Vous ne l’avez peut-être pas encore rencontrée. Il est probable que vous ne la rencontrerez jamais. Ou que vous l’avez oubliée. Cette seule question, qui importe, dont l’urgence rend dérisoires toutes les autres, dont vous devinez le refus d’y répondre dans le regard de chacun : que fait-elle à cette minute précise ? Vous consultez une voyante. La voyante vous regarde avec ses yeux noirs, chavirés, enchâssés dans ses mains gantées de bas noirs : elle vous retourne la question de votre désir.
            La question de l’incongruité, de l’inadéquation de votre désir. Du désir. Le désir n’a pas droit de cité dans la cité, pas le droit d’être cité, dans les conversations en ville, dans les salons ouatés de moleskine. Il est l’exilé. Relégué. Dénié.
            Vous êtes là, muet de désirs. Nous sommes des être désirants aux désirs inavouables. Mon désir dans mes yeux risquerait de mettre le feu aux poudres d’escampette de votre désir tu, jusque-là, enseveli, assoupi. Vous préférez ne pas entendre la question, la seule qui tienne à corps:  A cette minute, où est-elle ? Cette question qui contient et entraîne toutes les autres. Celle de l’absence. Des raisons de l’absence, mais surtout de la concevabilité de l’absence. Vous êtes présents. Dans l’absence. Autour de l’absence, et à côté d’elle.
            Sommes-nous nécessairement absents, dans la présence ? Le rôle, ou l’effet, de ces photos n’est-il pas de vous rappeler cette présence ailleurs, ce désir revêtu, rhabillé. La présence ne commence-t-elle qu’au nombre de deux ? La possibilité qu’advienne la présence. Au-delà, elle se dissoudrait dans la nécessaire convention du nombre ?
Il nous reste l’écriture : comme trace restante. Supplétion de l’absence. Echo du désir. Ombre de la présence. L’écriture qui ne dit pas, elle aussi rhabille la question omise, la question honnie, la seule question qui vaille : où est-elle maintenant ? Mais elle entrouvre le regard sur l’ébauche d’une réponse entremurmurée : elle est passée vers là-bas, un autre jour...
Et vous ?

samedi 22 septembre 2012

Les Dits du vent



(Véridique Récit de Voyage)


Il fait un vent de calabre, de mât de misaine,
un esprit qui souffle là où on ne l’écoute.
Les autres (toujours) sont allés se coucher
fatigués
les uns des autres et d’eux-mêmes sûrement
Nous arrivons au point limite (mais toujours latent)
où nous ne trouvons (plus) rien à nous dire
où chaque histoire tourne à vide sur elle-même et
se complaît en ses habitudes
indépassables
ornières de la langue, de la pensée
curiosités abolies en silence
C’est ce qui guette au bout de la vacance
se retrouver face à soi
et ou se dire ou se taire
Finalement, se taire
et se terrer.
Ne pas se rencontrer,
ne pas chercher à savoir
au-delà
en-deçà
de l’indicible
vivre, ce n’est rien de tout ça,
de ces gestes mécaniques
qui font la prison
de l’ennui des jours
Il faudrait des fracas
pour réveiller les morts en nous
faute de se susurrer
la douceur
des histoires de soi
les mystères
ce qu’on ne sait pas dire
et qu’on dit, dans le demi-secret de la pénombre
l’insolite de soi qu’on découvre au fur et à mesure qu’on le dit
Ne m’entravez ni d’ordres ni de règles
ni de raison déraisonnable
ni d’injonction à la décence
à la retenue chiche et pingre du dire de soi
Que se débonde la parole trop tue
qui fait les bouches pincées en cul de poule
et le verbe trop casanier et avare de substance
la parole est de sperme autant que de sang qui bout
de chair qui bat comme un volet au vent
sur le mur de la chair désirée
des corps frôlés maintenus hors d’atteinte :
Nous avons à connaître.
Ce qui ne nous regarde pas
qui nous épie en coin
nous hume à distance plutôt que
nous flairer à pleine peau
au cœur des replis mystérieux

Nous restons aux abords de l’abîme
interdits
affublés de haillons prétentieux et misérables
et se tarit la parole
de l’un à l’autre
si elle cèle le secret la parole se vide
de sa substance de désir
il ne reste que des mots occasionnels de circonstance
différés,
remis à jamais
la fièvre les gonfle et les éteint
si on n’est pas prêt à tout dire
on ne dit rien
que du sur mesure
l’ennui
et chacun part seul se coucher
en vain.
Et la vie répète son silence