mardi 12 janvier 2021

L'Expérience

 

L’Un est multiple.

La poussière sur le chemin.

Sur cette pierre, je bâtirai une église.

La poussière et le chemin.

Au commencement. Au firmament.

Sur ton sein remémoré. Dans ta substance.

L’expérience est multiple.

Le son.

L’immobilité du son.

Transperce l’espace.

Le devenir.

Nous deviendrons poussière.

Amas de matière, incertaine, chancelante, nous devenons.

Immobiles. Suspects. Accrochés comme à des branches. Suspendus les uns aux autres.

De l’autre côté, nous nous apercevons.

Nous faisons signe.

Aux yeux aveugles.

A la destinée que nous lisons dans les traces.

Est-ce possible.

Je ne suis pas sûr.

Je ne suis sûr de rien.

Est-ce possible ?

Ils marchent comme des ombres. Vêtus d’amples robes de coton. Noires et rouges, grises, ou brunes.

Ils se rendent à la source, croient-ils.

Je n’en connais aucun.

Pas de son. Aucun son ne sort des lèvres entrouvertes. Ils essaient de parler. On voit leurs lèvres bouger.

Tes lèvres rouges. La salvation de ta chair ivoire. La source première.

Ce serait un peu simple.

La poussière sur le chemin.

Il fait un soleil souverain. Atteindre l’autre rive. Est-ce possible ?

Il faut renoncer à croire. Et ça devient plus supportable.

Nous étions dans une cage. Chacun. Les cages se sont ouvertes (comme tes lèvres, et j’y ai vu l’horizon).

Hésitants, apeurés, nous sommes sortis. Nous nous sommes mis à marcher. Certains ont pris la direction.

La direction de quoi.

Les autres les ont suivis.

La direction de la lumière.

Sans savoir.

Ce pouvait être là ou ailleurs.

Dans ma cage. J’y suis resté le dernier.

Je ne crois pas aux foules qui avancent, mais je vous ai suivis, sans savoir, votre marche lente, comme des ombres.

La poussière du chemin.

Quelques-uns se sont écroulés de fatigue. D’épuisement. De ne pas savoir. Sans un mot, sans une prière, à quoi bon, le soleil implacable au-dessus.

J’ai dit : « il faudrait que nous disions. »

Quelques têtes se sont tournées vers moi. Leurs regards morts. Mes mots inaudibles.

Qu’importe, dit leur marche, tout ce que nous avons à faire est d’avancer.

Je n’avais pas envie de crier.

J’aurais crié vers toi, si je t’avais aperçue, tes lèvres rouges, mais tu avais disparu, tu avais disparu de mon souvenir, de toi je ne conservais plus que le doute de ton existence.

Si seulement. Si nous avions pu. Si nous avions su. Si nous avions été capables. De nous rejoindre. De part et d’autre du chemin. Si nous avions quitté la poussière. Nous aurions traversé les champs, serions entré dans la couleur de l’herbe, aurions trouvé le vert, les fleurs qui chantent, les insectes qui dansent, nous serions entrés dans la forêt, trouvé la source douce, et nous nous serions allongés, comme frère et sœur d’éternité, amants pour toujours, et nous aurions regardé l’aube claire. Nous aurions eu le ciel. Tu te serais abandonnée entre mes bras, j’aurais bercé ton souffle, j’aurais contemplé ta chaleur.

Le jour aurait duré toujours.

Le temps suspendu, immobile, au-dessus de nous, comme un dais, serein.