vendredi 24 mars 2017

Et soudain ...



Et soudain.

C’est censé commencer comme ça.
Vous y croyez, vous ?
C’est quoi qui sort de la brume ? Et soudain ?
Un gorille ?
Et soudain.

Ma vie elle est pas très « et soudain ». J’aimerais.

Vous traversez la rue (ou la vie). Et soudain un tram surgit que vous n’aviez pas vu et qui vous percute. Fin, cut, générique. A la limite : et soudain, il se réveille à l’hôpital. Paraplégique. Amputé du bras droit. Et trépané. L’aurait mieux fait de rester à la maison ce jour-là.

Variante : Il l’aperçut, elle était nue, elle lui dit : « Viens ! ». Et soudain il se retrouva père de trois enfants en train de pédaler partout dans l’appartement trop petit au loyer hors de prix. Ça rit, ça pleure, ça hurle : « Oh ! Les enfants ! Moins de bruit, merde, votre père essaie de devenir écrivain ! »
C’est sans effet. Votre déesse d’une nuit vous a dit : « Moi, j’y arrive plus. Occupe-t'en. » Et elle sort avec ses deux copines. Plus qu’à vous démerder : même pas possible de lire. Vous les plantez devant la télé, vous fermez la porte, vous alliez vous mettre à écrire. Et ça sonne à la porte. Vous allez ouvrir, vous ouvrez la porte, c’est la troisième copine, toute essoufflée. « Ah, salut. Excuse-moi, je suis à la bourre, Mireille est là ? »
« Ben non, elles sont parties il y a un quart d’heure. » Et soudain.

Tu te rends compte que c’est elle que tu aimes, elle aussi mais depuis toutes ces années elle n’osait pas te l’avouer par loyauté envers sa copine, tu attrapes un vêtement chaud et les clefs de la voiture et vous dévalez l’escalier, tu te ravises et tu remontes en vitesse, tu entrouvres la porte du salon et tu cries, pour couvrir le bruit du dessin animé : « les enfants ! Vous avez des pizzas dans le congélo ! Ne vous couchez pas trop tard. » et tu redescends quatre à quatre, vous échangez un baiser passionné et vous foncez chopper un avion pour Caracas, c’est tout ce qui reste en dernière minute. Enfin libre ! Pendant tout le vol vous n’arrêtez pas de vous raconter votre enfance, vos rêves, vos peurs, ça passe vite, vous vous faites amener dans un hôtel luxueux avec vue sur la mer, vous ne sortez pas de la chambre pendant une semaine tellement vous avez envie de baiser, vous décidez de changer d’endroit pour voir un peu le pays, vous lui dites d’attendre pendant que vous allez payer, Et soudain.

L’employé vous rend votre carte Visa « Désolé, señor, la carte elle fonctionne pas, vous en auriez une autre ? », vous consultez votre smartphone, il y a quinze sms en attente, dont treize de Mireille « Salaud, c’est moche », « T’es qu’un pourri », « Reviens, je comprends ton faux-pas, tout est pardonné », « Tu verras, Virginie, c’est une salope », « Ne m’appelle plus, c’est pas la peine », « J’ai consulté un avocat » et « J’ai fait bloquer le compte », les deux derniers sont de votre banque « Merci de nous contacter au plus vite » et « Désolés, nous sommes obligés de bloquer votre carte. Cordialement ». Vous dites à l’employé « Deux secondes, je reviens » et vous allez demander à Virginie, qui vous attend devant l’hôtel, de vous dépanner, Et soudain

Il n’y a personne devant l’hôtel, que le chasseur qui vous fait un sourire, vous lui demandez s’il n’a pas vu la dame qui, il répond sans cesser de sourire « Si señor, la dame elle est partie dans la voiture », « Quelle voiture ? », « La voiture du monsieur qui s’est arrêté ». Vous lui dites « Gracias », il répond « De nada » et c’est énervant son sourire, vous vous éloignez nonchalamment et puis vous vous mettez à courir quand vous entendez les cris derrière « Señor ! Eh ! Señor ! Hijo de puta ! »
Vous vous perdez dans la ville, vous croisez des femmes sublimes qui vous toisent avec mépris, vous êtes en short et hirsute, et des policiers qui vous scrutent avec suspicion et commencent à venir vers vous Et soudain

Un taxi s’arrête et vous demande : « Taxi, señor ? », vous dites « Si » et vous vous engouffrez dedans bien que vous n’ayez rien pour payer la course, le chauffeur se retourne et vous demande « Quelle direccion ? », vous dites « Adelante ! Adelante ! », il vous semble que les policiers s’époumonent dans leurs sifflets.
Vous vous perdez dans la circulation. De temps en temps, le chauffeur tourne la tête et vous lui dites seulement « Adelante », on verra bien.
Vous sortez de la ville. Les dernières maisons ont disparu. Vous êtes sur une route poussiéreuse qui s’enfonce vers nulle part. Au bout d’un moment, le chauffeur s’arrête, « Désolé, señor. Je ne vais pas plus loin. », vous faites semblant d’attraper votre porte-feuille et vous vous éjectez du taxi, vous courez, vous courez à toutes jambes, comme un dératé, sur l’étendue plate et sablonneuse, vous vous faufilez entre les cactus, ça s’étend comme ça jusqu'à l’infini et vous commencez à crever de faim et de soif, vous vous demandez comment vous allez vous en tirer, cette fois-ci, vous êtes paumé tout seul en plein désert, il y a les cris des coyotes, le soir descend et vous vous sentez frigorifié, vous vous forcez à marcher jusqu'à la colline suivante, vous sentez que vous allez vous écrouler, là, terminus, terminado, fin de partie, cette fois c’est la bonne. Et soudain


De l’autre côté de la colline. En contrebas. Vous les voyez. C’est rond et il y a plein de lumières. Ils sont une dizaine, l’air pas vraiment humains. Ils lèvent la tête vers vous.

Ensemble COLIN/CUECO/DRAPPIER/OMÉ

https://www.youtube.com/watch?v=3W_oKWYCcHw

chouette concert ce soir à Fontenay-sous-Bois : belles sonorités, de l'invention, de la pêche, variété des styles. Beaucoup d'émotion !

"Turkish woman at the bath" (Pete La Rocca)
Denis COLIN : clar. bass. Simon DRAPPIER : arpégionne, Julien OMÉ : guitare, Pablo CUECO : zarb