mardi 27 mai 2014

Parfums ...



               Parfums de femmes fragrances la tête tourne senteurs de sein odeurs de peau d’épiderme suave d’épaule nue douceur du bras le long fil de la colonne s’incurve dans les reins à flairer lentement le corps on retrouve l’être.
            Autrement que par la parole autrement que par le regard émotion débarrassée du sens l’identité subtile se révèle dans sa nudité de chair le corps dans sa gloire dépouillée se met à parler.
               Il sent encore son parfum dans la voiture elle est un peu là diffuse dans sa présence de femme imaginée on ne peut que rêver les femmes elles nous échappent elles se dissolvent lorsqu’elles commencent à bouger à exister elles n’existent plus une femme n’est là que dans son absence ou dans l’abandon de sa chair femme imaginaire comme le bruit d’un pas qui décroît (les femmes ont des talons qui claquent pour qu’on les entende s’éloigner) ou d’une voix dans la pièce d’à côté Approcher le parfum d’une femme c’est entrer dans son être commencer le chemin qui mène vers le creux de son ventre au centre de son oubli
                      il aurait aimé aussi sentir du mimosa.

Char qui dans son orbe se lève



Char qui dans son orbe se lève
Mirage, tours dressées
métal torve
Suppositions antiques
Je scande ta mémoire
et le choc de ta promesse
Révélation nimbée de l’aube
pâles rues advenir
chair douce et parfumée
tendre missive
image aperçue au fil du rêve
Soupir
Impossibilité première
Serment sacré
ébauche du commencement

mercredi 21 mai 2014

ascension



La neige nage en octobre.
En novembre le fruit rouge.
En janvier la passion, clinquebarde, cliquetique, se désimbroche.
Nous n’irons plus au
Sur les nuages l’iris effilé observe
Il n’est pas d’hier que nous soyons ici
Nous, Sauvages,
Embuscanés, tatoués de neuf et sarbacanes
Pfffuit !
Entre les herbes, hautes, et tranchantes,
J’ai filé mon trait.
Au haut du Mont Obscur suspend un Soleil rouge
Comme un disque de fraise
iridescent.

Deuxième station.
Les porteurs nus ahanent sur la pente
La fournaise leur cuit la couenne
ils montent
Impala les conduit
Il est le Guerrier de Lumière
Par sa bouche rugit la caverne sous la montagne
Et les autres le suivent sans broncher
On entend leur souffle court
le bruit des peaux
le bruit des pierres sous les pieds
La cohorte
L’effort
La montée difficile
Les épineux zèbrent les chairs
Perle le sang
Vers on ne sait où.

Troisième station.
La hampe des lances scande la marche.
O-ho !
Impala libère la voix des hommes.
O-ho !
En cadence le souffle feutré feule de leur gorge
et soutient les pas
soulève les pieds éventrés par la pierre
élève les épaules accablées du fardeau
les peaux brûlent sous le dard solaire
Au chant qui rythme les pas elles exhalent une poussière qui
fait une barrière au feu qui repousse la flamme comme la montée
chaque pas repousse la pesanteur inexorable le carcan qu’ils ont
sur les épaules qui écrase leur âme ils s’élèvent
Les rythmes entrecroisés des souffles et des chants et des cannes et
des pas et des peaux les élèvent
et au-dessous, loin déjà, la plaine s’amenuise
Comme un long sommeil allongé

Sous la meule du temps se broie l’ombre des jours
A eux-mêmes pareils
L’ombre vaincue des jours horizontaux.
Ils ont quitté son ombre froide.
Impala a brandi la sagaie
cri vertical.
Ils se sont hissés,
à force de poussière et de sueur
jusqu’au sommet de leur fatigue.
Ils sont si haut que leurs regards n’embrassent plus qu’une
éternité de nuages
Là-haut il n’y a rien, plus d’herbe et plus de vie,
que le silence de pierre
Plus de mémoire
Que le froid sur leur peau qui doucement éteint le brasier
dans  les corps
L’Absence

mercredi 14 mai 2014

06H41, roman de Jean-Philippe Blondel


232 p, Buchet-Chastel, 2013

histoire :  
Le hasard place côte à côte dans un train un homme et une femme qui ont eu une relation difficile quand ils étaient lycéens.

thèmes, forme :
Alternance de 2 monologues intérieurs, chacun fait le point sur sa vie et se remémore le passé. Très intéressante réflexion sur les complexes de l’âge jeune, les trajectoires personnelles, les déceptions du quotidien, etc.

commentaire : style souvent distancié, mélange d’humour et de gravité dans le fond.

mercredi 7 mai 2014

On ne dit bien que ce qu’on ne sait pas.



Elle s’assoit sur le môle. Au loin, la barque. Elle ferme les yeux. Elle sent la caresse du soleil sur son visage. Elle est en vacances. Elle s’est donné le droit. Elle leur a confié les enfants. Gentil couple de vieux, souriants, les parents de son mari. Ils lui ont dit : « profite bien de tes vacances » Elle n’en a pas l’intention. Elle entend le ressac, il la berce. Elle ne veut pas : profiter, calculer, rentabiliser. Elle sent le sable humide sous ses fesses. Elle a des envies. De cinéma, de clairière, de méditation, de dromadaire. La barque s’est rapprochée du phare. Elle n’a pas retenu de chambre. N’a pas réservé, pas consulté de guide, pas organisé son voyage. Elle voudrait être au présent. Elle ne sait pas où le temps est passé. Elle avait seize ans, elle partait pour la vie, elle ne savait pas où. L’image d’après, elle s’est retrouvée avec des enfants à amener à l’école, des amis à recevoir à la maison, un homme à traiter comme un mari.

On ne dit bien que ce qu’on ne sait pas. Au milieu, bien sûr, il y a eu la musique, l’insolite, la chambre qu’on découvre, le piano écouté dans un bar. Il y a eu le vert et le rouge, le rêve et le plaisir, le poète et la plage. Elle a eu des rencontres. Elle a eu des passions. Elle ne s’en souvient pas. Quand le mystère s’est-il mué en liste des courses ? Qu’est devenu le visage qui la troublait la nuit, qui brillait dans le soleil ? Quand a-t-elle cessé de rire sans savoir de quoi ? Il y a eu les enfants et elle est devenue mère. Ils ont eu l’appartement et elle a cessé d’être nomade. Il y a eu leur histoire et les mots se sont effacés. Elle s’est mise à lire des romans, au lieu de les vivre.

On ne dit bien que ce qu’on ne sait pas, mais à qui parler ? elle voudrait quitter le trop-plein de la ville, s’enfuir, mais la barrière est invisible, la muraille qui l’enserre, la prison de verre. Il y a le bruit et les contraintes, les horaires du boulot, la gentillesse pâteuse des collègues, l’ennui poli de la fête des mères, les vêtements si convenables qu’elle choisit avec tant de soin, il lui dit qu’elle s’habille bien, ils lui disent qu’elle est élégante, tous ils trouvent qu’elle a du goût, mais elle voudrait les arracher, ces habits qui l’effacent, qui lui brûlent la peau, qui étouffent son souffle, les mettre en lambeaux, les lacérer jusqu'à ce qu’affleure à la lumière sa peau qui palpite. Elle voudrait avoir un corps, de nouveau, un corps de femme exhibé à la lune, offert à la gifle du vent. Avant qu’il ne se dessèche. Avant la mort. Avant la vieillesse, qui rampe, qui ronge autour d’elle les gens qu’elle ne reconnaît plus. Ses parents qui s’amenuisent et disparaissent déjà dans le néant. Les parents de son mari qui dressent en vain le bouclier poreux de leur politesse affable. Son mari, qui est un mari. Un mari. Quel drôle de mot. Quelle stratification d’une promesse folle. L’insolite s’est figé en statut. Le pouvoir de la réussite a dévoré l’homme. Le directeur des ventes a pris la place du poète.
Elle est assise sur le môle et le monde tournoie tout autour d’elle, les mots s’arrachent d’elle comme une hémorragie de solitude, et la nuit vient doucement se poser sur ses épaules.
On ne dit bien que ce qu’on ne sait pas.

mardi 6 mai 2014

Le gréviste et le roseau



Le gréviste dit au roseau :
« Quoi ! Pas un geste de lutte ?
Pas une phrase de protestation ?
N’éprouvez-vous point de honte,
Quand d’autres sacrifient
Un trentième de leur salaire
Pour faire rempart de leur corps
Contre la ruine de la Civilisation,
Et de la Fonction Publique,
De demeurer servile et coi à votre office ? »
Le roseau humblement s’inclina sur sa tige,
Chargé de honte,
Et s’écria :
« Sachez combien je vous admire
De vous dresser ainsi seul
Par milliers au mot d’ordre de grève !
Combien ainsi vous marquez votre farouche
Esprit d’indépendance …
Jetés un jour en masse dans les rues,
Rentrés le lendemain exécuter docilement
La règle inacceptable justement combattue …
Un jour ! Tout un jour !
Dressés contre l’Infâme, marchant,
De Bastille à République,
Que ce fut grand,
Que ce dut être dur !
Et combien le Pouvoir,
Terré dans ses palais de marbre,
Dut trembler de devoir
Repousser de trois jours
Le crime qu’il rêvait …
Mais n’êtes-vous pas triste
De voir, grève après grève,
(trentième après trentième !)
Appliquée le lendemain
La réforme tant décriée la veille ?
Et la retraite à 60 ans …
La définition des services …
Les effectifs …
Point d’amertume
D’y renoncer
Après tant de vacarme ?
-          Non, mais non, bien sûr que non !
Repartit le gréviste,
Les yeux brillants de fièvre.
Car ainsi je suis libre !
Appliquant aujourd'hui ce que
Je refusais hier,
Je me sens libre d’avoir au moins pu me plaindre.
Au lieu que si j’avais dû
Abdiquer sans avoir relié République à Bastille
-          Ni perdu un trentième ! –
Je me serais senti floué, spolié
De l’essence de ma liberté :
Le droit de défiler
En rangs serrés et implacables,
Aux mots d’ordre de grève !
-          Certes, reprit le roseau, impressionné,
Comme auraient craint,
Devant si folle audace,
Les despotes d’antan, les rois, les tyrans,
Les exploiteurs de mines …
Mais n’avez-vous jamais songé
A vous faire efficaces … ?
-          Qu’est cela ? interrompt, effarouché, le gréviste.
-          Eh bien, faire en sorte,
Reprit le naïf roseau,
Que votre lutte puisse durer,
(Sans jamais perdre un trentième)
Gêner, immobiliser ce pouvoir exécré,
Vous donner la force
D’être entendus ?
Sans jamais encourir de foudres,
Dénaturer les notes,
Ne mettre que des 20,
Aller aux réunions sans y ouvrir la bouche,
Et comme appréciations
Mettre à tous, seulement :
« C’est bien » ?
Ou toute autre invention
A même d’instaurer
Le bon rapport de forces ?
-  Invention ? Nous ? Jamais !
Nous sommes les soldats zélés
De la contestation,
Et nous ne défilons qu’aux sons féroces
Des mots d’ordre de grève !
Bloquer le système sans payer,
Vertueux sacrifice,
Notre Trentième !
Jésus Marie Joseph Léon
Karl ou Alain,
Que ce serait vilain
Et déloyal
De jouer dehors les règles
Et de se dé-soumettre !
Messieurs du Pouvoir, tirez les premiers !
Nous tomberons, vaincus et résignés,
Mais restera la gloire
De nous être, un peu, débattus. »
Comme il disait ces mots
Du fond de l’horizon surgit
Le plus terrible des vents
De mesures de restrictions
Pour le Bien des enfants, de la Nation,
De l’humaine espèce
Et de quelques bienfaisants actionnaires …
Sans frémir, le gréviste
Leva le poing
Leva le pied
Et pour finir leva le camp ;
Se fit une raison : celle du plus fort est souvent la meilleure.
De Bastille à République,
Un quelconque trentième,
Il mènerait d’autres combats.

                                                                       Ledit Vain Marquis de S., Les Nouvelles Fables de la fontaine