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jeudi 4 décembre 2025

Les errements de l'intersectionnalité

 

Je commentais dans  « Les délires de  Reporterre : l’ « entre-soi blanc » un article dont les affirmations m’ont paru saugrenues et « dangereuses » (en tant qu’idées), aller dans une mauvaise direction : ce qui est mon diagnostic concernant les déclarations que j’ai pu lire fondées sur l’idée d’intersectionnalité.

Elles partent d’une analyse à laquelle j’adhère, déjà présente chez Beauvoir : un processus commun aux préjugés et discriminations sexistes et racistes.

C’est l’attitude que certains mouvements, comme les indigénistes, ou les éco-féministes en tirent qui me paraît un fourvoiement, et tourner le dos radicalement à la pensée des Lumières (la critique des préjugés, du racisme, du sexisme) dont ils procèdent.

La situation de départ est les croyances en l’infériorité des noirs, et celle des femmes, qui permet de les asservir : l’idée même que la couleur de peau ou le sexe puissent déterminer un être, l’assigner à tel type de comportements ou de compétences. Il y a eu toute cette déconstruction du colonialisme, de l’esclavage, et du sexisme misogyne, en gros des marqueurs de la pensée « de gauche », même si elle ne se confond pas exactement avec les positions et les actes de certains acteurs et organisations classés à gauche, pour des raisons (des intérêts) qu’il est utile d’analyser.

Mais il me semble, et peut-être les éléments dont tu disposes pourraient corriger une éventuelle erreur d’analyse de ma part, que ces mouvements (ce qu’on désigne parfois sous le terme de wokisme, certes fourre-tout, peut-être inapproprié, et instrumentalisé par la droite : mais néanmoins forgé initialement par des militants contre la discrimination envers les Noirs), les militants qui les animent, et leurs déclarations et leurs actes, empruntent le sectarisme et le manichéisme de leurs adversaires, pour produire finalement le contraire des buts poursuivis par les féministes (raison pour laquelle certains féministes parlent de néo-féminisme pour désigner ces nouveaux positionnements) et les anti-racistes originels.

La pensée sexiste et raciste cantonnait les femmes et les « non blancs » dans des catégories séparées des femmes et des blancs, subalternes et infériorisantes. Une femme ne peut pas conceptualiser, ni effectuer des métiers et des activités « d’hommes », et seuls les Blancs ont créé une culture, les autres sont des sauvages. Les travaux des 18e au 20e siècles ont montré l’inanité et les conséquences délétères de ces représentations. Pour parvenir à une égalité de droit au moins théorique : ce qui est très insuffisant dans la réalité pratique, mais constitue déjà un progrès considérable par rapport aux situations des époques passées et des sociétés non occidentales.

Si beaucoup de « Blancs » restent racistes et sexistes (et homophobes), c’est un terrible déni de réalité que de ne pas voir que les autres sociétés le sont à un point sans commune mesure. Ce qui ne dédouane pas les premiers, mais s’inscrit en faux contre un sexisme et un racisme inversés, en ce qu’ils reconstituent des oppositions, tout aussi factices et sources de violence que les anciennes, entre « blancs » et non blancs », hommes et femmes. Les premiers, structurellement coupables de tous les péchés, et les seconds innocents et purs. Conception qui me paraît aberrante, négationniste des faits historiques et culturels.

Par exemple, l’esclavagisme européen s’est greffé, avec opportunisme, sur celui qui se pratiquait (et se pratique toujours) dans les royaumes africains, et celui instauré, dès le 7e siècle, à une échelle incommensurable, par le monde arabe (voir les analyses de Braudel sur les razzias de « slaves » revendus dans le monde musulman).

Les sociétés du Maghreb, du monde arabe, d’Afrique noire (et d’Asie : rien ne suggère que ce phénomène ne soit pas universel) sont travaillées par un racisme, un ethnicisme (et un sexisme et homophobie) qui n’ont rien à envier à ce que les Européens ont pu commettre de plus épouvantable.

Faire du « mâle blanc », bourgeois et âgé un parangon de la discrimination me paraît un fantasme ahurissant : qui me fait penser au manichéisme développe dans la pensée et la pratique communistes, pour laquelle l’impérialisme petit-bourgeois tenait lieu de jugement définitif. J’y vois une continuité historique, une parenté conceptuelle : la rage de censure et d’intimidation de ceux qui cancellent à tout va, diabolisent ce qui ne leur ressemble pas, entonnent des cantiques à la « sororité », brandissant l’épouvantail du « Patriarcat » comme raison suffisante de tous leurs malheurs, me semble la continuité des dazibao de la jeunesse maoîste, qui traînaient les « intellectuels-traîtres » à des autodafés implacables.

Les ressorts de ce processus me semblent être les échecs et renoncements des progressistes eux-mêmes. Mais on en voit les prémisses dès la guerre d’Algérie : des théoriciens dogmatiques comme Sartre idéalisent le mouvement de lutte du FLN, sans en discerner les éléments fanatiques et oppressifs, qui déboucheront très vite sur le massacre des Harkis, la corruption généralisée dès l’indépendance, et 80 ans de despotisme népotique. Mais à l’époque, on intime à un Camus de se taire, il est désigné comme traître à la cause. Pas le droit à une divergence de parole et de pensée.

Il y a, malheureusement, un dogmatisme « de gauche », un sectarisme violent qui n’a rien à envier à ceux de droite : à valeurs inversées, certes, mais je crois que les mêmes effets, la censure et la répression, produisent les mêmes effets oppressifs.

Les progrès des idées féministes et anti-racistes en occident sont restés très partiels, insuffisants dans la réalité, souvent très théoriques : je comprends que les groupes discriminés en aient eu assez « d’attendre », et qu’ils se soient radicalisés, qu’ils aient voulu intensifier leurs luttes. Grande était la tentation d’emprunter les méthodes coercitives de leurs adversaires : à mon sens, ils les ont ainsi rejoints dans la cause générale de l’intolérance et de l’obscurantisme.

 

vendredi 28 novembre 2025

L' "entre-soi blanc" : les étonnants délires dans Reporterre

 

Du grand art ! Même Ionesco et Huxley, pourtant orfèvres en matière de langage n'importe-quoitesque, n'auraient pas fait mieux que cet article de Reporterre :

https://reporterre.net/Sortir-de-l-entre-soi-blanc-neuf-pistes-pour-refonder-le-mouvement-ecolo

 

Petit florilège du délire "décolonialiste" (et dire que ça prend sur une partie des luttes "de gauche" ...) :

- le but (pour un "blanc"), c'est de "trahir la centralité blanche" : « Il ne faut pas seulement être un allié, mais un traître à la suprématie blanche. »

- Plus besoin de démontrer (beau retour à la foi !) qu'il y a bien agression raciste (et elles ne sont effectivement que trop nombreuses : pourquoi en rajouter ?) : "les personnes racisées n’ont plus à prouver leur expérience, où leur parole n’est plus suspecte",

"le racisme systémique s’entretient aussi par le doute : c’est ce qu’on appelle le gaslighting, cette manière de nier les discriminations vécues — « vous vous victimisez »" : imparable ! Contester l'universalité du racisme ... c'est du racisme ! Bien la preuve que le racisme est universel !

Les décolonialistes réinventent le zèle des chasseurs de "sorcières" du Moyen-Age (sur le mode : La plus grande ruse du Diable, c'est de faire croire qu'il n'existe pas). On est dans la logique paranoîaque, inaccessible aux preuves, enfermée dans sa martyrologie (la preuve qu'on a raison, c'est qu'on est critiqués, moqués, "persécutés" !)

Avec des militants comme ça, on n'est pas sortis de l'auberge !

 

Que le racisme continue à sévir, c’est ce que toute pensée « progressiste », « à gauche », hostile aux discriminations, fondée sur les idées des Lumières, ne peut que déplorer. Qu’il prenne parfois des voies détournées, dissimulées (« je ne suis pas raciste. Mais ... »), déniées, systémiques et institutionnelles, on en trouverait d’innombrables exemples.

Mais poser le problème en termes essentialisateurs : voir chez le « blanc » (attitude paradoxalement « racialiste » !) un raciste à priori, l’assigner à un rôle de perpétuelle repentance (pour des crimes commis par d’autres : éventuellement, des ancêtres : la « culpabilité » se transmet-elle à travers les générations ?!), et exonérer les « racialisés » (les « non-blancs » : qui existent en tant que catégorie, finalement, sans exister tout en existant ... Quand ça arrange !) de toute responsabilité (de toute capacité autonome de modifier leur situation : s’il y a peu de « non-blancs » dans les luttes écologistes, ça ne relève pas du tout de leur choix, de leurs préférences ? Orientés, inévitablement, par des déterminismes sociaux : comme pour tout le monde), c’est inventer, de manière absurde, un nouveau racisme, tout aussi aberrant, cul par-dessus tête, où l’ex « sauvage » investit la place du Martyr, et l’ex « civilisé » celle du persécuteur éternel et diabolique.

Etrange besoin, toujours, chez les uns comme chez les autres, racistes d’hier et d’aujourd’hui, d’un manichéisme simplificateur, où les camps du Bien et du Mal soient clairement tracés et reconnaissables : dans l’un et l’autre cas, par la couleur de la peau !

C’est être incapable, comme dans toutes les idéologies, de penser la complexité : que les erreurs, les égoïsmes, les violences prédatrices puissent se retrouver dans tous les « camps » (pas forcément à doses égales. Surtout, sans qu’il y ait le moindre profit à tenir une comptabilité des « scores » respectifs dans les records de l’horreur ... Qui ne se « compensent » pas : ils se cumulent.). C’est toujours le camp d’en face, le coupable, et cela légitime toutes les exactions. Pour les Chrétiens, le mal, à éradiquer, était chez le païen, ou l’hérétique. Les communistes se sont complu à dénoncer les turpitudes du monde bourgeois, sources de tous les problèmes : rien à redire, évidemment, du côté de l’URSS, de Cuba ou de la Chine ... L’Iran islamiste attribue tous ses problèmes au Grand Satan occidental, de même que Reagan, bien avant Trump, avait une idée claire de ce qu’était « L’Empire du Mal ».

Retrouver cette logique de désignation de l’autre comme source des problèmes dans des idéologies aussi différentes, voire antagoniques, montre qu’il s’agit d’une stratégie universelle dans la fuite de ses responsabilités, et la fabrication d’une « identité » communautariste : on est ce que l’autre n’est pas. Et on hait ce qu’il est. De ces affrontements stériles, peu d’améliorations à attendre : mais beaucoup de jouissance !