lundi 22 juin 2015

Perpète à Lagny



A l’année, je perche à V D. Les Baumettes de Lagny.
J’ai pris 40 ans, autant dire perpète. Ces salauds, ils viennent de me rajouter encore 2 ans, tu parles d’une remise de peine. Ça a servi que dalle de se tenir à carreau.
La bonne nouvelle, c’est que je vais bientôt revoir le soleil. Tous les ans à la même époque, je bénéficie d’une sortie conditionnelle, et je m’échappe de ce trou à rats, de ce mouroir des esprits.
Après, faut rentrer, faut renoncer au petit miracle de la liberté, c’est comme se scier la main soi-même, mais jusqu’ici, j’ai toujours réussi à me forcer, j’ai fait le raisonnable, j’ai résisté à la douce folie de les planter là, tous, de me faire la belle, la définitive.
Ils te rattrapent toujours. Rêve pas.
Mais bon, ces quelques jours, c’est bon à prendre, c’est de la respiration en plein ciel, de la lumière que tu attrapes à pleins poumons pour les jours gris.
Après, c’est des corridors de longs mois, à se traîner en files avec les autres zombies ; à avaler la crasse de la taule, à cuver de la bêtise par litres, à côtoyer des sourires cauteleux de ceux qui pensent qu’à te soustraire ta pitance, par envie, ou juste par désoeuvrement, la consolation âcre, pour les damnés, d’être malfaisant. Tu es noyé dans le silence bavard des prisonniers qui ne parlent plus que des mots mécaniques. Tu as la répétition des jours inutiles qui te broie, les regards vides, les cérémonies solennelles et crapuleuses, tout ce sérieux, qui tient bien serrée toute cette tension … Le dirlo dit : « on est tous une grande famille. » Sérieux.
Y a les copains, quand même, quelques virgules de rigolades. Il n’y a pas d’enfer sans taches de lumière. Sans les bons moments, peut-être qu’on aurait crevé plus vite, un mal pour un bien. On sait, la plupart, qu’on sortira que les pieds devant. Que ça n’aura pas de fin, cette histoire, sauf à la fin.
Mais mon copain Frédo, Frédo l’Embrouille, lui, il s’accroche à son idée, il démord pas, il veut pas lâcher. Puisqu’on en est là, autant faire avec, il dit. Autant s’y faire, à quoi bon garder la hargne ? Alors Frédo il va aux séances de ciné-club, aux ateliers de réinsertion et à l’entraide des taulards …
Et il me tanne pour que je m’y pointe itou.
Là, ce qu’il s’imagine, c’est que je revienne au tombeau pour pas manquer sa petite fiesta : sûr que ce sera un moment de pure rigolade, ce qu’il a concocté, mais il imagine que pour 5 minutes de nouba je me retaperais toute la nuit des morts-vivants ? Que pour quoi que ce soit je remballerais mon chemin de la liberté ?
C’est un obsédé de l’optimisme, mon Frédo. Moi, des fiestas, avec lui ou quelques autres potes, autant qu’il en veut : mais entre nous, dans un rade bien joyeux et pas contaminé ; pas au milieu de tous ces crevards, ces mouches à merde, ces pue-la-mort, ces peine-à-jouir, ces tronches d’avortés, ces trognes d’embaumés !
Lui, il répète : « tout ce que t’as à faire, c’est de le prendre dans le bon sens. Pourquoi tu t’obstines ? Ça te sert à quoi ? Ça te sert à que nib. Nage dans le sens du courant. »
Si on veut, il a pas tort.
Juste comme une carpe qui conseillerait à un kangourou de faire la planche, et de se laisser glisser.
Pour lui, ma vindicte, c’est du style, juste un choix de tapisserie. Pas un truc au fond de la peau, qui t’explose dans les tripes, le genre de rage qui te fout la moelle à l’envers.
Ce qu’il peut pas admettre, c’est que la gerbe, ça se commande pas.
Un de ces jours, il me trouvera pendu dans les chiottes, la langue bien bleue déjà, et tout ce qu’il trouvera à me dire, c’est : « Bon allez, descends de là, ramène-toi en vitesse ! Tu nous fatigues, là ! »
En attendant, à moi la belle.

dimanche 14 juin 2015

La Loi du Marché, un film de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon

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Fort, prenant. Parce que là, ce n'est pas (que) du cinéma. Il faut s'adapter au ton des dialogues : ils "font bizarre", parce que justement les voix ont les intonations de la vie réelle, et non celles des codes du cinéma, même le plus réaliste (technique du cinéma-vérité). Pas réellement d'intrigue.

Mais des personnages, semblables à ceux qu'on peut croiser dans la vie (mais justement, dans la vie, on ne fait que les croiser - au mieux ... Beaucoup de nos décideurs, je pense, n'en ont vu qu'à l'état de statistiques ... -, ici on reste avec eux, on les voit.)

 Ce n'est pas misérabiliste : juste le quotidien de ce qu'on peut appeler la violence au travail, la violence banale du mode de vie que nous trouvons "normal", sauf qu'ici elle n'est pas nommée, même pas dénoncée (pas frontalement), seulement montrée, sèchement, constat sans trémolos ni fioritures. Et ça cogne. "Est-ce ainsi que les hommes vivent ?"...

Le Labyrinthe du silence, film de Giulio Ricciarelli (avril 2015)

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J'ai trouvé ce film d'une très grande force. Et "indispensable à voir" : c'est un sentiment que j'ai rarement, une prescription que je trouve souvent dénuée de sens. Mais ici ... A la fois pour tout ce qu'il nous fait découvrir sur l'époque (1958, en Allemagne), sur un ton qui me semble nouveau : sans supplément de pathos. le personnage principal, jeune procureur débutant, voit poser la question à des passants : "qu'évoque pour vous ce nom : Auschwitz ?" Tous répondent, perplexes : "Rien". Et ce qu'il réfléchit de la nôtre.
C'est un film peut-être sur l'indifférence. La question de savoir si on peut rester indifférent. Pas concerné. Et pourquoi. A ce qui se passe. préférer ne pas voir, ne pas savoir. Laisser les crapules en place : tentation frileuse de toutes les époques (rappelons-nous Papon, préfet de De Gaulle - ce "héros" -, après l'avoir été sous Vichy, et dans les deux cas de façon sanglante ...). Un film sur la jeunesse, l'enthousiasme ou le carriérisme. ça parle bien encore aujourd'hui.

Sophie Kinsella, Confessions d'une accro du shopping




Premier volume d'une série à succès, dont le 2e est plus fade, simple "allongement d'une sauce" qui paye ...
Mais cette 1e histoire est drôle et moins futile qu'il n'y paraît : certes nous sommes dans ce que le marketing éditorial appelle "chick lit", littéralement traduisible par "littérature pour nanas" ("chiken", "poule" en anglais, n'a pas les connotations vulgaires et méprisantes du français ; c'est, disons, familier et affectueux), terme néanmoins idiot et sexiste ...
Elle raconte les bévues et mésaventures ... d'une accro du shopping ! C'est enlevé, souvent astucieux, et peu de risques d'attraper une migraine.
Mais c'est aussi, entre les lignes, plus malin que ça : le lecteur, homme ou femme, reconnaîtra souvent ses petites ruses pour justifier ses renoncements, ses reculades ; toutes nos stratégies pour ne pas tenir nos résolutions, et continuer à nous considérer comme un type (une nana) épatant ...
Dommage que le roman suivant (il y en a tout une série !) sente l'exploitation d'un filon, et réchauffe inlassablement (sauf pour le lecteur) les mêmes procédés qui à force perdent leur vertu comique.