Effrayants effrayés,
effarés de leurs yeux qui ont trop vu
Presque squelettes vieillards et vieillardes rongés d’ans
leurs yeux fixes, aveugles de la mort qui s’en vient, de la
vie qui s’ensauve
Tremblants de la fatigue de n’avoir plus qui aimer
le sarcasme de la fête sur le point de finir, mascarade, rires
égrotants On ne distingue plus les rires d’avec les pleurs Les uns comme les
autres finissent en bêlements insanes A eux qui de l’amont voient ce qui est,
la faribole amère des honneurs qu’ils ont crus, la défaite de leurs victoires
vaines Toute cette splendeur factice J’étais belle si tu savais comme j’étais
belle j’en ai fait tourner des têtes, ils étaient tous après moi, si tu savais
Tu vois, c’est moi, là, sur la photo, mais si, je t’assure, elle montre l’image
d’une très belle femme au regard éclatant, à la taille si fine Comme si la
photo avait brûlé
s’était racornie avait jauni et qu’il en était sorti cette
sorcière hideuse
Tu vois, coupe ce spectre moribond, à la tête qui branle,
moi regarde cette baraque ! Il montre une splendeur insolente, des
palmiers une pelouse irréductiblement verte et tondue de frais, une terrasse au
bord de la piscine et un homme debout, impeccable et fier dans un costume
blanc, du lin peut-être, et ce regard qui domine le monde
Ils s’approchent tous, maintenant, main tendue, comme un
crochet avide de harponner encore un dernier résidu de bonheur, un relief de
mémoire, comme des indigents venus à la fin d’un banquet, en ramasser les
miettes
J’étais célèbre ! s’écrie l’un, J’avais du pouvoir s’extasie
un autre, J’ai eu une très belle carrière Moi c’était la fête ! la fête !
la fête !
L’air s’emplit de leurs visions, du cliquetis de leurs
rêves, leurs doigts déformés battent le vide, la déraison
Ils savent
Maintenant qu’ils ont passé le seuil
Ils ont vu ce qu’il y avait après la bataille
non les honneurs et les fanfares annoncés
Au bout de leurs luttes
Ils gémissent : Ah ! nous n’avons pas ménagé notre
peine
Maintenant ils connaissent le dénouement de la farce
sinistre
Cette odeur de pisse et de silence et de vomi et de
désinfectant
Ils voient l’horreur dans les yeux des vivants
Relégués
On les a éloignés le plus possible du monde qui s’agite et s’évertue
dans les rues les magasins les routes sur les places dans des salles qui s’amuse,
le plus possible, qui amasse, désespérément
De peur qu’ils ne le contaminent de leur lenteur, leur
maladie de mort
Bien loin les futurs morts s’agitent, désespérément, s’abrutissent
de bruit et de paroles et de projets pour oublier, ce qu’ils savent déjà, qui
les attend, leur place au mouroir est déjà réservée
Alors il vient un rire aux vieux qui n’attendent plus rien,
un rire dément et gai à voir la foule s’évertuer à éviter l’inéluctable, ils se
les montrent d’un doigt retors comme un crochet, Tu as vu celui-là avec toutes
ses médailles et ses décorations ! Et regarde, là, cette jeunette qui
minaude devant son miroir et rentre son ventre commençant Ils ont un rire qui
secoue leurs os cliquetants comme un souffle qui soudain fait vaciller la
flamme
Ma foi, même si ce texte est magnifiquement écrit, je continue à croire, moi qui aborde doucement un âge qui n'est plus jeune, qu'on peut vieillir avec grâce. Je ne parle pas du physique, évidemment la peau se plisse et se distend, les muscles perdent en vigueur, mais le reste, tout le reste! La croissance infinie, envers de la détérioration, l'allègement de tout ce qui n'est pas essentiel, l'éveil perpétuel, la curiosité qui ne s'éteint pas, qu'on veille à ne pas laisser s'éteindre, l'émerveillement, et la transmission bienveillante... Tant de sources de joie... Je vieillis et j'aime ça, j'ai accepté, intégré l'idée de ma finitude, inéluctable, égalité suprême. je sais ce que je perds, ce que je gagne. J'apprends. Je vis.
RépondreSupprimerAmicalement :-)
Merci de votre visite, Baladine, et d'avoir laissé votre commentaire.
RépondreSupprimerCe texte (mes textes ?), vision horrifique, hallucinatoire, saisie de l'instant en moi, sans visée théorique, générique. Vision, plus que de la vieillesse, de la "vie", ou ses ersatz, qui la précède. Echos incohérents non de ce qui est, mais de ce qu'on dit qui est ...
Même si je n'ai pas votre sérénité face à ce qui advient, dont les prémices sont encore discrètes, mais l'inévitable question (qui n'en est pas une : annonce, plutôt) de l'abîme. De profundis clamavi …
A bientôt ...