dimanche 26 mars 2023

Dictature, ou Démocratie ? (L’illégitimité des lois)

 

                                                               Dictature, ou Démocratie ?

                                                                   (L’illégitimité des lois)

 

La question n’a évidemment aucun sens. Elle ne sert qu’à persuader les plus ignorants de se soumettre et obéir.

Macron est-il aussi ignoble, despotique, que Poutine ? Evidemment non : et alors ? Cela a-t-il le moindre intérêt d’établir des records, de mettre en compétition les exactions des dirigeants de triste mémoire, de « classer » Xi Jinping, Erdogan, Hitler, Staline, Napoléon (etc !) du « plus » au « moins » abominable, dans une macabre comptabilité du nombre de morts et d’injustices ?

Le manifestant qui se fait défoncer le crâne par un CRS, arracher la main, crever l’œil sera-t-il rassuré de savoir que le policier agissait « démocratiquement » dans le cadre de ses fonctions parfaitement définies par la loi ? On peut en douter.

Entretenir ces questionnements stériles, rappeler l’évidence qu’il vaut mieux être un opposant en France qu’en Iran, et que dans la majorité des autres pays de la planète, répéter, comme le fait un chef maffieux sur les antennes complaisantes qu’ « obéir aux lois, c’est ce qui fait la Démocratie », ne sert qu’à essayer de dissuader les contestations, museler les critiques.

N’y croient que ceux qui sont assez ignorants pour méconnaître l’Histoire, ou dont les intérêts personnels les incitent à se satisfaire de cette fable.

Revendiquer, à chaque nouvelle privation de liberté, que « nous sommes en Démocratie », et que par conséquent les citoyens devraient aveuglément et mécaniquement obéir aux lois votées, ne sert qu’à produire le maximum de « consentement », c'est à dire de de soumission : c’est autant de recours à la force violente (la « Force de l’Ordre) d’économisé.

Tout gouvernant, quel que soit le nom dont il peinturlure son pouvoir, cherche à ce que sa volonté soit exécutée, ses contradicteurs mis hors d’état de lui nuire. Il ne tient ce pouvoir que du fait qu’il dispose, pour des raisons qui diffèrent selon les types de régime, des forces armées et policières. Et seulement tant qu’il en dispose.

Les « Démocraties » ont compris, et rendu possible, que la meilleure domination, la moins coûteuse, la plus durable, est celle qui recourt le moins possible à la violence armée. Tout Pouvoir qui s’empare des richesses et du contrôle d’une nation essaie d’abord d’instaurer une « servitude volontaire » : si celui qu’on contraint, asservit, exploite, est convaincu que son obéissance est légitime, juste, inévitable, incontestable, il aura moins tendance à se rebeller contre ses tortionnaires, et à se soustraire à leurs volontés.

Il faut que la « Loi » paraisse légitime : ne pas procéder du caprice et de l’intérêt du dominant, mais d’un « état naturel » ou d’une transcendance. Selon les époques : les dominants, riches, seraient « les meilleurs » (« aristocrates ») ; les plus capables de servir l’intérêt général ; auraient été voulus et choisis par une entité suprême, « Dieu » : on serait Roi « de droit divin », ou par l’application de la Charria. Lorsque tous ces subterfuges sont éventés, on invente « le Peuple », la « Chose publique » (« Res publica »), l’ « intérêt supérieur de l’Etat et de la Nation », dont les potentats ne sont, bien entendus que les zélés « serviteurs ». Cela n’abuse que les niais et les imbéciles, mais c’est déjà ça à ne pas avoir à contrôler. La croyance à une légitimité de la Loi, c'est à dire une raison acceptable de s’y soumettre et de ne même pas la contester, est entretenue à toutes les époques. Le Moyen-Age chrétien a ses ordalies et « Jugements de Dieu » : l’accusé (des « crimes » les plus délirants : inobservance de la loi religieuse, hérésies, « sorcellerie ») est confronté à une épreuve dont il ne peut réchapper (jeté dans une rivière dans un sac cousu, ou du haut d’une tour, ou affronté à un adversaire en armes, etc, l’imagination des tortionnaires est sans limites). S’il survit malgré tout, il prouve son innocence.

Ces pratiques paraissent aujourd'hui aberrantes. Mais pas celles auxquelles nous sommes habitués. On se demande comment des gens, à ces époques, « ont pu croire » à de telles âneries : mais de la même façon que certains croient aujourd'hui au bienfondé des lois actuelles auxquelles il leur semblerait insensé, scandaleux de se soustraire.

Presque jusqu'à la fin de l’Ancien Régime, au XVIIIe siècle, on a trouvé tout à fait normal de pratiquer la torture des suspects (et des témoins !) : la « question », « ordinaire » et « extraordinaire », des tribunaux royaux et ecclésiastiques. Le Chevalier de La Barre sera décapité pour « avoir passé à vingt-cinq pas d'une procession sans ôter son chapeau qu'il avait sur sa tête », sous Louis XV : le « blasphème », déjà, ce crime dont on sait ce qu’il fait encourir aujourd'hui aux auteurs de certaines caricatures, et dont des enquêtes récentes nous apprennent qu’il est reconnu comme condamnable par une proportion importante et croissante de la jeunesse en France.

De même qu’il paraîtra approprié et juste à l’Armée française de torturer, ou jeter des prisonniers ennemis vivants du haut d’hélicoptères en vol, lors de la Guerre d’Algérie. Que nul ne semble s’étonner, s’offusquer, s’indigner, que l’homosexualité soit considérée comme une maladie mentale et un délit, jusqu'au changement de la loi en 1982. Elle l’est toujours dans certains Etats américains, et, ailleurs, punissable de mort. La liste serait interminable des lois, abominables, abjectes, ou simplement idiotes et absurdes, qu’on a fini par abroger. Cette conscience du caractère relatif des lois ne date pas d’hier : pour Montaigne, puis Pascal, « vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ».

Encore faudrait-il tirer les conséquences de la variabilité extrême de ce qui paraît légitime dans ce qui est, dans un pays donné à une époque donnée, légal.

Après la IIe Guerre Mondiale, le « Démocrate » De Gaulle peut envoyer l’armée en Algérie, la laisser pratiquer torture (comme, avant lui, le Ministre de l’Intérieur, puis de la Justice … Mitterrand) et exécutions sommaires : ça ne choque pas grand-monde. C’est « la loi ». Aucun problème non plus de démocratie quand le même De Gaulle effectue des essais nucléaires, au Sahara puis en Polynésie, sans la moindre considération pour les retombées sur les populations locales. La presse d’investigation a régulièrement déterré les innombrables affaires ou des dirigeants ont fait tuer, ont envahi des territoires, soutenu des dictateurs sanguinaires, se sont enrichis … Au plus parfait mépris du « Droit », parfois, ou dans son cadre fluctuant, souvent. Démocratie, dictature ?

L’exercice du pouvoir, abusif ou pas, habillé d’une apparence législative ou pas, se fait toujours au profit et dans l’intérêt de ceux qui le détiennent, au détriment de ceux qui le subissent, et avec la complicité, le soutien actif ou l’assentiment complaisant de tous ceux qui en tirent bénéfice et avantage. Tout pouvoir, maffieux, « royal », « religieux », « républicain », « révolutionnaire », etc, doit et sait redistribuer une partie du butin à ses complices et affidés, s’il veut durer. Terres, rentes, prébendes, honneurs, distinctions … Les premiers « rois » de notre histoire ne sont que des voyous, des chefs de bande, utilement adornés de faste et de prestige, de « noblesse », par des clercs courtisans, qui se sont emparés de territoires par la violence, puis en ont pérennisé la possession, pour eux et leur descendance, par ces déclarations menaçantes qu’on appelle « lois ». Ils ont pu posséder des esclaves, prélever des « impôts » (méthode du racket), jouir de ce dont les autres étaient privés, satisfaire leurs caprices les plus tordus, jusqu'à ce que des révoltes les obligent à accepter d’autres « lois », moins avantageuses, plus restrictives, ou profitant à un autre groupe social venant de s’emparer à son tour des commandes. Autour du despote, il y a toujours l’entourage de ses affidés et féaux, en cercles concentriques, toute la hiérarchie de ceux qui profitent, à des degrés divers, du système mis en place, en échange de leurs aide, soutien, complicité, complaisance, indifférence. Degrés successifs d’acceptation d’un système de domination, répondant aux rémunérations qui les accompagnent. Les dominants achètent la complicité de ceux qui les aident dans leur prédation, ou au minimum s’abstiennent de s’y opposer : c’est ce pacte, résultant des rapports de forces entre les parties contractantes, qu’on appelle « la loi », dont les articles et énoncés fluctuent au gré des évolutions du rapport de forces. Un despote ne peut régner seul. Ce qui différencie les types de régimes, c’est le mode de désignation du chef de bande, et la proportion de la population associée au butin. Dans une « démocratie bourgeoise », et c’est sa force, tous ceux qui reçoivent une part « suffisante » des richesses (prélevées sur les pays et les catégories sociales les plus faibles) n’ont évidemment aucun intérêt (aucune « raison ») de s’opposer à ce système, d’en dénoncer les exactions et injustices, d’en critiquer le fonctionnement ni les lois.

Les meurtres d’Etat, les violences policières, les agressions militaires, les spoliations, privations de droits, de libertés ou de biens paraîtront « normaux », justes, légitimes (ou seront occultés par un déni de réalité) par les parties de la population, plus ou moins nombreuses, qui en retirent un bénéfice : dans l’Iran des mollahs comme dans la Russie de Poutine, la Chine « communiste », les Etats-Unis ou la France. Partout, on justifiera l’oppression (d’intensité et de périmètres très différents, en fonction des rapports de forces institués localement au cours de l’Histoire) par cette évidence : « c’est la loi ».

Avec plus ou moins de mauvaise foi, certains trouveront toujours des « raisons » pour défendre ce qui les arrange ; ou ce dont on les a convaincus (il n’y aura pas toujours fallu beaucoup d’efforts) de l’évidence, du caractère naturel, de la nécessité ou de la justice de telle loi, telle spoliation, telle violence. « Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres », se moquait déjà Montesquieu.

De la même façon, les femmes « doivent » évidemment porter un voile sur la tête : ou, sous nos latitudes, un tissu pour cacher leurs seins (arrestations de Femen pour « outrage aux bonnes mœurs », lors de leurs manifestations). Les colons juifs occuper de nouvelles terres palestiniennes. Les banques fixer les frais qui leur conviennent. Les gouvernements les taxes qui les arrangent (ou l’âge du départ à la retraite), ou les bénéfices que pourront engranger les alliés du Pouvoir, grandes sociétés Concessionnaires des autoroutes avec lesquelles on signe des accords providentiellement généreux, ou laboratoires pharmaceutiques justement destinataires de commandes d’Etat, etc. Les mal servis n’ont qu’à s’incliner devant la Loi promulguée par ceux qu’elle arrange : les « titres de propriété » établissent de façon définitive à qui sont les richesses, les pires rigueurs s’abattront, en « toute justice » sur ceux qui seraient tentés d’en revoir la distribution. Les potentats, les notables, les « élus » s’arrogent tout pouvoir de décider seuls de qui aura accès à l’eau (dossier des mégabassines), jusqu'à quelle vitesse j’ai le droit de rouler, dans quelle rue je dois ou pas porter un T-shirt … Grandes et petites obligations, interdictions, autorisations. Si ce sont eux qui nous l’imposent, c’est « légal ». Pourquoi ? Parce qu'ils ont été « élus » … (savoureuse ambiguïté du terme, tout autant religieux que républicain !) Par qui ? Selon quelles règles, décidées par quels bénéficiaires … ? Modes de scrutins, redécoupages électoraux, moyens financiers et collusions médiatiques, promesses électorales et mensonges, démagogie … Les techniques ne manquent pas, même en « démocratie », pour fausser la donne, accaparer les postes clefs, se répartir, au sein des mêmes familles et groupes sociaux, les leviers de pouvoir.

Certes, en « démocratie », le despote est désigné à l’issue d’un vote, et on en change. Xi Jinping aussi, est élu : par un collège électoral de plusieurs dizaines de millions de votants, le Parti Communiste. Angela Merkel est restée au pouvoir pendant 16 ans … En 2016, Trump est « élu » avec trois millions de voix de moins qu’Hillary Clinton, parce que « ce qui compte », c’est le nombre de Grands Electeurs … Plus important, tous ces candidats élus, dans nos « démocraties », appartiennent aux mêmes groupes socio-culturels : les « alternances », révolutions de Palais, concernent le clan qui l’emporte, pas la classe sociale. Plus important : un Macron, qui brandit sa « légitimité démocratique » pour « justifier » une réforme des retraites refusée par les ¾ de la population (démocratie ?), n’a attiré au premier tour de la Présidentielle que 27,8% des suffrages exprimés (même pas, donc, un tiers de ceux qui ont voulu participer à ce « choix » très limité : pas tout à fait aussi téléguidé, automatique que la réélection de Xi Jinping … Mais, en termes de reproduction de classe, et donc d’intérêts, on en est assez près). Il doit ensuite sa victoire au 2e à un grande proportion d’électeurs de gauche, dont il feint d’ailleurs de tenir compte dans son discours : mais de l’opinion desquels il ne tiendra aucun compte dans ses décisions suivantes. Une règle du jeu bien opportune, circonstancielle (décidée par le camp rédacteur de la Constitution de 1958 …), discutable, contestable, mais pas modifiable, en dehors de conditions quasi impossibles à réunir, donne le droit à un homme, dans cette conception très particulière de la « Démocratie », de décider une mesure contre l’immense majorité de ceux qu’il est censé représenter … Règle ubuesque, digne des espiègles « Démocraties Populaires » de naguère …

Ceux qui y gagnent peuvent faire semblant de croire à la « légitimité » de leur domination. La plupart des dominés ne sont pas dupes. Ne se soumettent que parce que, derrière la fable de « la loi », il y a la violence armée. Les « Forces de l’Ordre », de l’ordre du Pouvoir comme partout. Ou cessent de se soumettre, en recourant, eux aussi, à la violence : à la fin, c’est toujours là qu’on en arrive, les Jacqueries qui émaillent tout le Moyen-Age, finalement abouties en Révolutions. C’est toujours la violence qui décide.

 

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