mardi 6 mai 2014

Le gréviste et le roseau



Le gréviste dit au roseau :
« Quoi ! Pas un geste de lutte ?
Pas une phrase de protestation ?
N’éprouvez-vous point de honte,
Quand d’autres sacrifient
Un trentième de leur salaire
Pour faire rempart de leur corps
Contre la ruine de la Civilisation,
Et de la Fonction Publique,
De demeurer servile et coi à votre office ? »
Le roseau humblement s’inclina sur sa tige,
Chargé de honte,
Et s’écria :
« Sachez combien je vous admire
De vous dresser ainsi seul
Par milliers au mot d’ordre de grève !
Combien ainsi vous marquez votre farouche
Esprit d’indépendance …
Jetés un jour en masse dans les rues,
Rentrés le lendemain exécuter docilement
La règle inacceptable justement combattue …
Un jour ! Tout un jour !
Dressés contre l’Infâme, marchant,
De Bastille à République,
Que ce fut grand,
Que ce dut être dur !
Et combien le Pouvoir,
Terré dans ses palais de marbre,
Dut trembler de devoir
Repousser de trois jours
Le crime qu’il rêvait …
Mais n’êtes-vous pas triste
De voir, grève après grève,
(trentième après trentième !)
Appliquée le lendemain
La réforme tant décriée la veille ?
Et la retraite à 60 ans …
La définition des services …
Les effectifs …
Point d’amertume
D’y renoncer
Après tant de vacarme ?
-          Non, mais non, bien sûr que non !
Repartit le gréviste,
Les yeux brillants de fièvre.
Car ainsi je suis libre !
Appliquant aujourd'hui ce que
Je refusais hier,
Je me sens libre d’avoir au moins pu me plaindre.
Au lieu que si j’avais dû
Abdiquer sans avoir relié République à Bastille
-          Ni perdu un trentième ! –
Je me serais senti floué, spolié
De l’essence de ma liberté :
Le droit de défiler
En rangs serrés et implacables,
Aux mots d’ordre de grève !
-          Certes, reprit le roseau, impressionné,
Comme auraient craint,
Devant si folle audace,
Les despotes d’antan, les rois, les tyrans,
Les exploiteurs de mines …
Mais n’avez-vous jamais songé
A vous faire efficaces … ?
-          Qu’est cela ? interrompt, effarouché, le gréviste.
-          Eh bien, faire en sorte,
Reprit le naïf roseau,
Que votre lutte puisse durer,
(Sans jamais perdre un trentième)
Gêner, immobiliser ce pouvoir exécré,
Vous donner la force
D’être entendus ?
Sans jamais encourir de foudres,
Dénaturer les notes,
Ne mettre que des 20,
Aller aux réunions sans y ouvrir la bouche,
Et comme appréciations
Mettre à tous, seulement :
« C’est bien » ?
Ou toute autre invention
A même d’instaurer
Le bon rapport de forces ?
-  Invention ? Nous ? Jamais !
Nous sommes les soldats zélés
De la contestation,
Et nous ne défilons qu’aux sons féroces
Des mots d’ordre de grève !
Bloquer le système sans payer,
Vertueux sacrifice,
Notre Trentième !
Jésus Marie Joseph Léon
Karl ou Alain,
Que ce serait vilain
Et déloyal
De jouer dehors les règles
Et de se dé-soumettre !
Messieurs du Pouvoir, tirez les premiers !
Nous tomberons, vaincus et résignés,
Mais restera la gloire
De nous être, un peu, débattus. »
Comme il disait ces mots
Du fond de l’horizon surgit
Le plus terrible des vents
De mesures de restrictions
Pour le Bien des enfants, de la Nation,
De l’humaine espèce
Et de quelques bienfaisants actionnaires …
Sans frémir, le gréviste
Leva le poing
Leva le pied
Et pour finir leva le camp ;
Se fit une raison : celle du plus fort est souvent la meilleure.
De Bastille à République,
Un quelconque trentième,
Il mènerait d’autres combats.

                                                                       Ledit Vain Marquis de S., Les Nouvelles Fables de la fontaine

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