jeudi 3 janvier 2019

Dans le silence de ma mémoire


Dans mes supports configurés,

dans mes ziggourats,

dans mes vertiges,

dans les hasards de mes interstices

dans la suave odeur de mon sépulcre

dans la laitance bleue des nénuphars
annonciateurs d’aurores

J’ai renoncé.
J’ai renoncé au silence
J’ai renoncé à savoir
renoncé à franchir les portes ouvertes
les comptoirs clairs d’étoffes de contrebande
les verres choqués à l’amitié
les coffres, coffres anciens à ferrures, femmes émancipées,
qui marchez le long des rivages
toutes ces caravanes en partance vers un Orient majuscule
la trace d’une piste, à travers sable

Il dit : le Recommencement.

C’est une grande salle où l’espace fait des échos de stalagtites
le ploc ! d’une goutte millénaire

Il faut partir.
Chacun rassemble à la hâte les couvertures en fibre de roseaux et les peaux de bêtes qui tiennent chaud sous la hutte quand dehors mugit la bête qui rôde
Il y a trois jours il manquait encore un enfant, un nouveau-né de quelques heures, ils n’ont retrouvé près du campement qu’un reste de pied à demi-dévoré.

Dans l’accalmie de ton silence

Sur le rivage mort, nos histoires Elles n’ont pas su Elles n’ont pas su devenir, il fallait, il ne fallait pas, la nuit, le jour c’était encore plus difficile, ce meuglement, l’insipide de la poussière, des buissons, seulement, leurs branches sèches, on entend des chèvres, des hommes qui parlent un langue étrangère, c’est un documentaire très étrange, elle a raté le début, elle est entrée sans regarder l’affiche, se mettre à l’abri du froid, juste, à l’abri de l’homme, elle s’est faufilée dans la salle en se cognant aux accoudoirs, s’est assise au bout de la rangée, son souffle est irrégulier, elle reprend son souffle, ça fait du bien de s’asseoir, de ne plus sentir la pluie qui glace la peau du crâne, seulement s’asseoir, personne ne la connaît, ici personne ne la trouvera, c’est un petit cinéma à l’ancienne, elle a pris la première salle près de la caisse. C’est tout sombre. Sur l’écran, les images s’agitent. Font une danse autour du feu sous un ciel rose. Il n’y a que des buissons affamés.

Elle aurait voulu prendre un bateau. S’embarquer. Toute seule, recommencer. Trop loin, la mer. Elle marchait comme une folle, en sens inverse de la foule, ils la bousculaient, sans la voir, leurs têtes sans yeux toutes pareilles tournées vers le vide, elle essayait de les éviter, qu’ils ne la touchent pas, c’était comme une fuite, elle se dit qu’ils sont comme des hommes en manteaux de cuir noir à sa recherche, mais ils ont perdu sa trace. Ils seront allés voir chez son père, hésitant, il aura répondu qu’il ne sait pas où elle est, qu’ils ne se voient pas souvent, et c’est vrai. Sa mère probablement leur aura proposé une tasse de thé. Ses yeux s’habituent à la pénombre et elle distingue les têtes autour d’elle, les têtes d’ombre, immobiles et toutes tournées vers l’écran, la tribu a rassemblé ses hardes, quelques bâtons, ils avancent, maigres, leurs pieds raclent la poussière, certaines femmes ont un bébé accroché sur le dos, on entend des bêlements de chèvres.

Dans le silence de ma mémoire

Dans le jardin de mes enfances

Dans la ligne brisée

J’avance.

dimanche 4 novembre 2018

En liberté, de Salvadori : intox !


En liberté ! : Affiche



              C'est censé être drôle ... Les critiques le proclament à longueur d'affiche (c'est des copains au réalisateur ?). J'ai pas ri. Suis pas particulièrement coincé du zygomatique, j'ai bien repéré le mécanisme des gags, trop repéré, même, prévu avec pas mal d'images d'avance ... Pouvais pas les rater, de toute façon : chacun se répète au moins 5/6 fois, quand ils tiennent une "bonne idée", type bande de potaches qui se font rire eux-mêmes, ils la lâchent pas comme ça ... Je sais bien, "comique de répétition", j'ai surtout ressenti la répétition. Parodie de film d'action, trop peu parodique, je trouvais plus fine celle de "OSS 117", c'est dire. Scénario vaguement décalqué de "9 mois fermes", de et avec Dupontel (et Kiberlain), autrement plus drôle, à mon goût, inventif, surprenant : le rire est dans la surprise, dans la rupture de l'ordre logique (attendu : c'est pourquoi ce qui surprend l'un laisse l'autre indifférent). L'impression d'avoir déjà vu ça mille fois, le comique du contre-temps, sauter à l'eau pour sauver quelqu'un qui ne se noie pas : et puis ça dérape beaucoup, souvent, vers le mélo gentiment sentimental (Audrey Tautou, hein ...), un sens de l'émouvant là encore très appuyé, un "poétique" décongelé au micro-ondes : rien à voir, par exemple, avec la douce folie de "Le ciel étoilé au-dessus de ma tête".
Quelques rares sourires et beaucoup d'ennui, pour moi, dans cette comédie en boucle, tonitruante : ah, la scène inaugurale, qu'il faudra supporter encore plusieurs fois - oui, oui, j'ai bien noté les variantes. C'est ça, qui est étonnant, outre l'unanimité des critiques (peut-être parce qu'il s'agit d'un comique consensuel, "pour tous publics") : sur le papier, beaucoup d'ingrédients pour que ça marche, mais c'est mou de l'inspiration, ça se traîne, moi en tout cas je n'ai pas marché ...

lundi 29 octobre 2018

Fascisme au Brésil : la "démocratie" en question


Cette élection, qui porte au pouvoir des bonshommes aux valeurs ouvertement fascistes (racisme, sexisme, homophobie, etc), a au moins un mérite : elle illustre la nécessité de redéfinir la notion de démocratie, qui ne peut se limiter à la pratique d'un vote à scrutin majoritaire (portant au pouvoir un peu partout : Turquie, Russie, Hongrie, Italie, Etats-Unis ... des types agressifs, autoritaires et intolérants.)

L'exemple algérien, qui me paraît sensé (invalider les élections pour barrer la route aux islamistes), illustre ma remarque : un vote majoritaire (ou, en fait, celui de la plus grande minorité) ne constitue pas une garantie de démocratie. (de ses valeurs, telles qu'elles figurent par exemple dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme).
Il est dangereux de sanctifier, figer la définition d'un concept, même au prétexte qu'il est effectivement également dangereux de le faire évoluer. Méfions-nous que "notre" définition de la démocratie, et de ses supposés adversaires, ne soit que la traduction de nos intérêts, personnels et de classe. La "bourgeoisie" s'est jusqu'ici très bien satisfaite de sa définition de démocratie bourgeoise (c'est-à-dire qui repose sur les principes de la propriété privée, de sa transmission héréditaire, de la compétition entre les individus pour l'accès aux moyens de subsistance ...), mais ce simulacre (où ne sont possibles ni égalité, ni fraternité, ni donc liberté) est à bout de souffle : tous ceux qui sont exclus du jeu par les règles fixées par ceux qu'elles arrangent ont de moins en moins envie de "jouer" ... Retour à la case 89 (17..), quand la noblesse ne voyait pas de raison de changer un système qui établissait ses Privilèges ... Ce que l'intelligence ne résout pas, la violence s'en occupe ...

Techniquement, nos sociétés sont des oligarchies : les décisions y sont prises par les minorités qui détiennent le plus de richesses.
C’est la question de ce qui fait société, qui se pose, du « vivre ensemble » comme il est à la mode de dire. Il est facile de mettre en évidence le système que nous subissons :

Imaginons une famille, ou un groupe d’amis, qui part ensemble en vacances. Et que, pour se répartir les chambres, l’un dise : « puisque mon grand-père avait tel métier, je prends la plus confortable » ; qu’un autre ajoute : « moi, j’ai fait plus d’études, donc je prends la 2e. » Le troisième « ami » doit se contenter du canapé du salon, bien qu’il y ait encore deux chambres libres, mais « elles sont » à « l’ami n°1 ». Le 4e devra dormir dehors (il a la peau plus foncée, ne connaît pas par cœur la Table Périodique des Eléments, et son arrière-grand-père était étranger).
Pour les repas, les deux premiers partagent force victuailles, le 3e se contente d’un vague sandwich, le 4e mange un jour sur deux. Et tout à l’avenant, en ce qui concerne l’accès aux sanitaires, aux loisirs (le 4e doit porter le sac du 1er, mais ne bénéficiera évidemment de ce qu’il contient).



Peu importe qu’on trouve cela « juste » (qu’on le « justifie ») ou non. Ça ne peut pas marcher.
Les deux avantagés pourront protester de toute leur amitié aux deux autres, de l’affection qu’ils éprouvent pour eux, de leur estime et respect … il vient un moment où ceux qui sont lésés par cet « arrangement » vont se mettre à râler …

Il vient un moment où il faut redéfinir les règles du jeu, du vivre ensemble, de la répartition des richesses, de la prise des décisions. Et peu importe le nom qu’on donne au système. Il vient un moment où c’est la réalité qui prime, pas les « éléments de langage ».


lundi 24 septembre 2018

Enquête (policière)




Une homicide.
Un homicide.
Non, c’est une femme qui a été tuée.
Alors, ne dis pas « homicide ». C’est un fémicide.
Une fémicide !
Ils se rendent sur les lieux.
Sous le pin pousse la ronce. En silence.
Comment tu t’appelles ?
Je m’appelle Victor.
Me llamo Victor.
Ben non, c’est marqué Anne-Louise.
Oui, mais tu m’as demandé comment je m’appelle.
Anne-Louise, c’est comment mes parents m’ont appelé. Et m’appellent. Et mes anciens camarades.
Autobus tonnerre.
Comment ?
Hein ?
Avec le boucan du bus, j’ai pas entendu la fin de ta phrase.
Je dis que si c’est pour savoir comment les autres m’appellent, ne me demande pas comment je m’appelle. Moi, là, maintenant, soussigné sain de corps et d’esprit, je m’appelle Victor. Ne serait-il pas aberrant que, pour désigner notre être changeant, divers, multiple, nous nous limitions à un nom unique, toujours le même ?
Sérénade en forêt.
Il y avait longtemps que ces deux-là faisaient équipe.
Pitre et Mitre, on les appelait. Un  sacré duo.
Mirage.
A la surface du lac asséché l’air ondoyait.
Tout au fond, des montagnes rouges, et le soleil presque couchant, une bande bleu acier encore entre les deux.
Rime et rire. On connaît les causes de la mort ?
Ils se regardèrent ; la même pensée.
Depuis le temps, la cause de la mort, on n’en savait toujours rien. Est-ce que c’est la vie qui cause la mort ? En quelque sorte. Ou l’absence de vie. Est-ce que c’est à force de ne pas s’en servir, de la vie, qu’elle finit par s’échapper du corps ? Ou est-ce que c’est une substance qui s’épuise, peu à peu, comme un gaz combustible.
Mère et prisme. Moire déversée. Mine défaite, torrent, ou cascade.
Vous êtes allés vous balader, ce week-end ?
Elle aimait bien qu’il lui donne quelques échos de sa petite vie de famille.
Mais Victor, c’est un nom d’homme.
Et pourquoi une femme pourrait pas avoir un nom d’homme ? Les noms, aussi, il vous les faut, rien qu’à vous ?
Il trouva une place où se garer, devant l’immeuble tout délabré.
Le sort et la poire, le soir et la poisse.