jeudi 23 février 2023

Les Signes (Le jour où je suis mort)

 

                                                            

 

Il vient un jour, dans la vie d’un homme, où il se retrouve face à sa mort. Rien, parfois, ne l’annonçait. Elle est là. Elle te regarde, calme et patiente : ton heure est venue.

C’est hier que j’ai vu le premier signe. Mais, sur le moment, je n’y ai discerné aucun avertissement. Toute la matinée, j’ai organisé mon emploi du temps en fonction de mon rendez-vous de l’après-midi. Jusqu'à ce que je m’aperçoive, subitement, que nous étions la veille. Le compte n’y était pas, il me manquait un jour, je me croyais vendredi, nous n’étions que jeudi. J’avais tout mon temps. Un jour de plus, en fait. Comme un sursis qui m’était accordé ;

Cet après-midi, je suis allé à mon rendez-vous. En m’ouvrant la porte, la dame a eu l’air surprise : « Mais … c’est vendredi prochain qu’on se voit ! »

Ainsi, le grand dérèglement du temps a commencé. Les dates s’entrechoquent, les jours se confondent.

Pour me calmer, j’ai voulu allumer ma pipe. Mais son tuyau était bouché, et le cure-pipe, nulle part ; je l’ai cherché partout, en vain. L’Univers a entrepris de se dissoudre.

Ensuite, je suis allé voir l’océan. Sur la route, je me suis arrêté quelques minutes au funérarium, où l’on vient d’amener un cousin.

Je me reposais sur la plage, bercé par le grondement sourd des vagues. Soudain, une silhouette noire s’est dressée au-dessus de moi. Un homme vêtu d’un ciré sombre à capuche, tenant dans sa main un long appareil de détection de métaux.

Je me suis redressé. « Vous êtes vivant ? », m’a-t-il demandé. « J’étais venu m’assurer que tout allait bien. Au cas où vous auriez fait un malaise. » La silhouette noire s’est éloignée dans les embruns, a disparu.

Il y a eu, au retour, le distributeur de billets : vide.

Alors disparurent toutes les choses de la Terre, et la Terre fut vide, comme avant le premier jour.

Un peu plus tard, un skateur inattentif s’est jeté sous les roues de ma voiture. Je l’ai évité, il est parti en glissant sur moi des yeux indifférents.

Et le Monde commence à disparaître à ton regard, et tu disparais aux yeux du Monde.

Enfin, c’est moi qui ai eu la fève, à la galette. Une minuscule figurine de chouette : c’est bien moi qui suis choisi. C’est mon jour.

Il ne me reste que quelques heures à vivre, à traverser le monde.

Ça ne m’effraie pas. Je ne sais pas quel visage aura la Mort. A quel moment, à quel endroit elle apparaîtra. Le regard calme et patient. Elle me fera signe. Il ne me restera qu’à la suivre.

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