Le gréviste dit au
roseau :
« Quoi !
Pas un geste de lutte ?
Pas une phrase de
protestation ?
N’éprouvez-vous point
de honte,
Quand d’autres
sacrifient
Un trentième de leur
salaire
Pour faire rempart de
leur corps
Contre la ruine de la
Civilisation,
Et de la Fonction
Publique,
De demeurer servile
et coi à votre office ? »
Le roseau humblement
s’inclina sur sa tige,
Chargé de honte,
Et s’écria :
« Sachez combien
je vous admire
De vous dresser ainsi
seul
Par milliers au mot
d’ordre de grève !
Combien ainsi vous
marquez votre farouche
Esprit d’indépendance
…
Jetés un jour en
masse dans les rues,
Rentrés le lendemain
exécuter docilement
La règle inacceptable
justement combattue …
Un jour ! Tout
un jour !
Dressés contre
l’Infâme, marchant,
De Bastille à
République,
Que ce fut grand,
Que ce dut être
dur !
Et combien le
Pouvoir,
Terré dans ses palais
de marbre,
Dut trembler de
devoir
Repousser de trois
jours
Le crime qu’il rêvait
…
Mais n’êtes-vous pas
triste
De voir, grève après
grève,
(trentième après
trentième !)
Appliquée le
lendemain
La réforme tant
décriée la veille ?
Et la retraite à 60
ans …
La définition des
services …
Les effectifs …
Point d’amertume
D’y renoncer
Après tant de
vacarme ?
-
Non, mais non, bien sûr que non !
Repartit le gréviste,
Les yeux brillants de
fièvre.
Car ainsi je suis
libre !
Appliquant
aujourd'hui ce que
Je refusais hier,
Je me sens libre
d’avoir au moins pu me plaindre.
Au lieu que si
j’avais dû
Abdiquer sans avoir
relié République à Bastille
-
Ni perdu un trentième ! –
Je me serais senti
floué, spolié
De l’essence de ma
liberté :
Le droit de défiler
En rangs serrés et
implacables,
Aux mots d’ordre de
grève !
-
Certes, reprit le roseau, impressionné,
Comme auraient
craint,
Devant si folle
audace,
Les despotes d’antan,
les rois, les tyrans,
Les exploiteurs de
mines …
Mais n’avez-vous
jamais songé
A vous faire
efficaces … ?
-
Qu’est cela ? interrompt, effarouché, le
gréviste.
-
Eh bien, faire en sorte,
Reprit le naïf roseau,
Que votre lutte
puisse durer,
(Sans jamais perdre
un trentième)
Gêner, immobiliser ce
pouvoir exécré,
Vous donner la force
D’être
entendus ?
Sans jamais encourir
de foudres,
Dénaturer les notes,
Ne mettre que des 20,
Aller aux réunions
sans y ouvrir la bouche,
Et comme
appréciations
Mettre à tous, seulement :
« C’est
bien » ?
Ou toute autre
invention
A même d’instaurer
Le bon rapport de
forces ?
-
Invention ? Nous ? Jamais !
Nous sommes les
soldats zélés
De la contestation,
Et nous ne défilons
qu’aux sons féroces
Des mots d’ordre de
grève !
Bloquer le système
sans payer,
Vertueux sacrifice,
Notre
Trentième !
Jésus Marie Joseph
Léon
Karl ou Alain,
Que ce serait vilain
Et déloyal
De jouer dehors les
règles
Et de se
dé-soumettre !
Messieurs du Pouvoir,
tirez les premiers !
Nous tomberons,
vaincus et résignés,
Mais restera la
gloire
De nous être, un peu,
débattus. »
Comme il disait ces
mots
Du fond de l’horizon
surgit
Le plus terrible des
vents
De mesures de
restrictions
Pour le Bien des
enfants, de la Nation,
De l’humaine espèce
Et de quelques
bienfaisants actionnaires …
Sans frémir, le
gréviste
Leva le poing
Leva le pied
Et pour finir leva le
camp ;
Se fit une
raison : celle du plus fort est souvent la meilleure.
De Bastille à
République,
Un quelconque
trentième,
Il mènerait d’autres
combats.
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Vain Marquis de S., Les Nouvelles Fables
de la fontaine