Je suis
vide comme un tiroir trop plein de chaussettes. Les chaussettes, ça prend de la
place, ça déborde. Certaines ont des trous.
Elle me dit : « les chaussettes trouées, il faut
les jeter. »
Pourquoi ?
Est-ce que c’est le trou qui défait la chaussette ? A
partir de combien de trous peut-on affirmer qu’une chaussette ne remplit pas sa
fonction ? Est-ce que ça vaut pour les gens, aussi, quand ils ont des
trous on les jette ?
Quand je
suis en visite chez une dame, j’aime bien aller farfouiller dans son tiroir de
lingerie. J’effleure l’étoffe douce et légère, encore attendrie du souvenir des
seins qu’elle a caressés, frémissante des secrets approchés. Si je venais à
être pris, je pourrais toujours prétendre que je me suis trompé de pièce. Alors
qu’en fait, je me trouve au cœur du mystère. Quand on reçoit quelqu'un, on
devrait toujours l’inviter à fouiller dans nos tiroirs. Là, l’invité se
sentirait bien accueilli. A quoi bon aller chez l’autre, si ce n’est pas pour
faire connaissance ?
Alors que les petites culottes sont rarement montrées, sinon
à un public trié sur le volet, , elles rivalisent parfois dans la diversité des
couleurs, des formes, échancrées ici, ténues ailleurs, et des motifs de la
dentelle, de l’intensité de la transparence ou de l’opacité.
Comme si la dame voulait que demeurent dissimulés sa gaieté,
son exubérance, ses désirs de s’exhiber. Elle doit bien rire sous cape,
convenable et austère en apparence dans ses vêtements de surface, mais toute
libre et imaginative en dessous. Montre-moi ta culotte et je te dirai qui tu
es. Comme si elle mettait au défi le voyageur aventureux de découvrir sa vérité
profonde, s’il l’ose. C’est de cela probablement que raconte la Quête du Graal.
Il peut arriver qu’une hôtesse ne se soit composé qu’une
variation de culottes blanches, en jouant sur les différences de matières et de
formes. Il n’y faut pas voir forcément le refus catégorique de toute fantaisie.
Mais peut-être la confidence d’un rêve de pureté, comme si l’acte amoureux
espéré que transmet cette invite discrète devait être éthéré, effleurement,
chorégraphique. A moins qu’il ne s’agisse d’un jeu malicieux : que la
belle ne dissimule sous le leurre de la blancheur virginale les tempêtes d’une
nature tumultueuse.
Le voyage
au fond du tiroir se fait aventure, rêverie, chemin mystique vers l’être.
Il arrive que je découvre, sagement pliées entre les
étoffes, quelques mots doux, quelques lettres intimes, que je ne déplie, en m’asseyant
plus à mon aise sur le bord du lit, que si je suis assuré que la maîtresse de
maison est durablement occupée en cuisine. Je tiens à ne pas paraître
indiscret.
Je découvre alors quelque romance, quelque idylle ancienne
pieusement conservée dans son alcôve sensuelle, ou quelque aventure en cours,
illégitime et soigneusement soustraite aux regards. Je deviens le témoin
attentif d’une âme qui s’épanche, le confident inespéré de moments essentiels,
dont je recueille la mémoire. J’écoute les tourments de la passion, les
méandres d’une histoire difficile, lumineuse ou torrentielle. Si le nombre de
lettres est trop important, je dois décider de revenir une autre fois, ou d’en
emporter une petite partie pour quelque temps.
Au bout d’un
moment, je reviens dans la pièce principale où celle qui m’invite me demande, avec
un sourire : « tu as trouvé tout ce que tu voulais ? »
Je hoche seulement la tête, d’un regard entendu, sans révéler
à quel point ma brève escapade m’a permis de faire davantage connaissance que
ne me l’eussent permis les propos convenus d’une conversation banale.
Elle ajoute : « excuse-moi d’avoir été si longue,
j’avais deux trois choses à préparer. »
Je la rassure, le temps ne m’a paru long, il m’en eût fallu
même davantage pour mener convenablement mon entreprise : il faut du temps,
pour connaître les autres.
Fort de mes nouvelles perceptions d’elle, je l’envisage
différemment, désormais. Je me plais à la voir d’en dessous, en quelque sorte. Je
me demande la couleur et la forme qu’elle a choisies pour me recevoir, dans quelle
humeur. Je la devine, et parfois, plus tard dans la soirée, il m’est loisible
de confirmer mes hypothèses.
On ne se connaît bien qu’en entrouvrant nos tiroirs.