vendredi 20 février 2015

Expansion



(expansion d’un extrait d’ Ulysse de Joyce)

Trop de mystère il voit là-dedans. Est-ce qu’il est amoureux d’elle, de cette Marion ? Le changer de vie, ça risque, pour un autre couple, s’il cesse d’être le compagnon de Mary Cecil Haye.
Le disque suivant glissa le long de la cannelure, la voix langoureuse du leader des Sexy Top vibra un moment, le serveur s’immobilisa et leur fit de l’œil : six. Six minutes et ils pourraient passer à table.
A la caisse, Miss Dune tapa sur le clavier :
-       16 juin 1904.
« Zut ! il écrit n’importe quoi, c’machin. » Elle corrigea :
-       16 juin 2014.
Entre le coin gauche de Monypeny et le refuge pour clochards où la statue de Margaret Thatcher, de Wolfe Tone, ne s’élevait pas encore, cinq hommes-sandwiches jambon-beurre aux costumes tuyaux de poêle blancs firent demi-tour. Il quitta la fenêtre des yeux et les posa de nouveau sur Marion, soubrette charmante, et distraite, et abandonnée. Cette manie de se faire des tresses, de s’attifer en écolière. Cheveux moutarde et joues barbouillées de fard. Elle n’est pas jolie, vrai. Cette façon de pincer son petit pan de jupe, mine de suggérer « devinez ce que j’ai en-dessous », rien, peut-être, allez savoir, c’est tout le challenge, est-ce que vous aurez le culot de vouloir aller savoir, est-ce que vous aurez le cran d’avancer la main, de la tendre jusqu’au tissu à carreaux, est-ce que vous serez chiche de la glisser par la fente du tissu sur le côté, cap de l’aventurer sous le tissu, est-ce que vous n’aurez pas trop honte d’avouer votre désir d’aller savoir, pas trop peur qu’elle sache que vsq avez ce désir, est-ce que vous prendrez le risque qu’elle perçoive votre émoi de toucher la peau, et puis quoi ? et puis elle frémit et se dérobe, elle se rétracte et se dérobe à la caresse, elle bloque votre main et la repousse, vous repousse, elle repousse votre désir, elle crie un peu « Mais enfin ! Qu’est-ce qui vous prend ? » et se lève et s’en va d’un air outragé. Ou elle laisse faire, elle laisse glisser la main, elle fait semblant de rien, elle feint de ne pas s’être aperçue, de ne pas avoir senti, que tout est normal, que vous n’avez pas dérogé, que vous n’avez pas enfreint le code, brisé l’interdit, noli me tangere, que vous n’avez pas violé les bonnes manières, rompu l’us et la coutume, que vous n’avez pas tourné le dos à la civilité, plongé dans la barbarie, troqué le distant de la parole pour l’immédiateté du corps, l’absolue immédiateté, le vertige absolu de la sensualité.
Et puis quoi ? Votre main est là, sur la chaleur émouvante de cette peau qui bat, et vous pourriez rester là des siècles, une vie, et ce serait mieux que dire tout, il n’y aurait rien d’autre à dire, rien d’autre à connaître que cette chaleur douce de peau. Vos doigts vont frémir sur la peau qui frémit, leur pulpe frôle à peine la chair, ils bougent un peu peut-être pour éprouver le vertige de la caresse, ils bougent à peine, ils ont à décider s’ils vont aller plus avant, s’ils vont s’engager plus loin, à l’aventure d’autres secrets plus étonnants, à la découverte d’autres textures plus éblouissantes, c’est un engagement pour la vie, c’est tout une vie de sensations déployées en quelques secondes.
                        Le téléphone lui sonna brutalement aux oreilles.
Allô. Oui, monsieur. Non, monsieur. Oui, monsieur.
                        Autour d’eux il y a le bar. Autour d’eux il y a les autres. Entre eux il y a les autres. Entre eux et l’intimité du plaisir. Entre son bonheur et lui, il y a eux. Entre sa main et sa cuisse.

jeudi 12 juin 2014

Vision



eau coulé beaucoup fort. pas mistral eux glissé. Poing fendu aux ormes de ma mère. Abarricadé. Mélanie ta konoupé. Ofouli sa nissa. Corneilles a pas milé, tanapa sirocco. Escanope, hiloupète, Assurbanipal a pas mis tonoké.
Milangé, fantaisie a soupir, au revoir.
Au revoir, elle dit. Ses cheveux frisent blond, sur sa tempe qui bat.
Elle a l'œil qui s'éclaire de lacs mystérieux. Elle voit l'autre versant, l'herbe dorée de lune. Les tiges qui s'agitent et le vent qui fraîchit. Elle voit l'autre bord, idéal, au plus de la frontière.
Sa taille est souple d'un sourire qui bat.
Je la regarde bouche ouverte. Jamais je n'ai contemplé une telle eau de fontaine. Mélopée sa banka. Otononé Sana ! J'entonne au fond de ma gorge le kananké, le chant victorieux des lions tués. Là, le bitume se fissure, et se ride de radicules, les lianes s'encroisent d'une verve végétale, secouent la rue de leur chaos ravi, le monde salue la foulée pure d'une princesse.

mardi 27 mai 2014

Parfums ...



               Parfums de femmes fragrances la tête tourne senteurs de sein odeurs de peau d’épiderme suave d’épaule nue douceur du bras le long fil de la colonne s’incurve dans les reins à flairer lentement le corps on retrouve l’être.
            Autrement que par la parole autrement que par le regard émotion débarrassée du sens l’identité subtile se révèle dans sa nudité de chair le corps dans sa gloire dépouillée se met à parler.
               Il sent encore son parfum dans la voiture elle est un peu là diffuse dans sa présence de femme imaginée on ne peut que rêver les femmes elles nous échappent elles se dissolvent lorsqu’elles commencent à bouger à exister elles n’existent plus une femme n’est là que dans son absence ou dans l’abandon de sa chair femme imaginaire comme le bruit d’un pas qui décroît (les femmes ont des talons qui claquent pour qu’on les entende s’éloigner) ou d’une voix dans la pièce d’à côté Approcher le parfum d’une femme c’est entrer dans son être commencer le chemin qui mène vers le creux de son ventre au centre de son oubli
                      il aurait aimé aussi sentir du mimosa.

Char qui dans son orbe se lève



Char qui dans son orbe se lève
Mirage, tours dressées
métal torve
Suppositions antiques
Je scande ta mémoire
et le choc de ta promesse
Révélation nimbée de l’aube
pâles rues advenir
chair douce et parfumée
tendre missive
image aperçue au fil du rêve
Soupir
Impossibilité première
Serment sacré
ébauche du commencement