Sur le bord
du rivage. Le clapotis du lac. Comme un silence. Mes doigts ramassent une tige
de bois. Plus qu’une brindille. Une branchette. Comme un tronc à deux fourches
en miniature. Qui ne signifie rien.
De l’autre côté du lac la cime des arbres coiffée de brume.
Comme un voile de couleurs devant les yeux.
Je vois le monde.
Incrusté dans le paysage gris, bleu froid, qui m’entoure,
un tourbillon de jaunes et d’oranges.
Je suis seul au monde.
Humanité effacée de la terre, à jamais, sans une trace.
Peut-être, çà et là, dans un désert, une pierre griffée, où
l’espèce qui nous succèdera croira lire des runes.
Je reste assis sur le bord du rivage, à même les lichens, la
lumière grise et froide, dernier homme. J’ai rêvé le monde, j’ai rêvé l’histoire
du monde. J’ai rêvé les Pyramides. Le choc hurlant des batailles antiques. Les bulldozers
qui rasent les bidons-villes. Les tours de verre et d’acier à l’escalade du
ciel. Les enseignes clignotantes. Les marées d’automobiles, flux et reflux de l’épuisant
labeur.
Si je veux, je peux inventer. Nul ne saura si j’ai menti. Je
peux prétendre que nous avions des objets qui volaient. Que nous étions servis
par des esclaves d’albâtre. Que nous étions tous rois. Tous mendiants, tous
voleurs. L’oubli est notre tombe. Nos mots de néant sont retournés au néant. Il
y avait les livres, tant de livres, que nous faisions témoins de nos mensonges.
Leurs pages sont redevenues blanches. Ensuite elles se sont enflammées. Se sont
tordues comme des hélices de colère. Elles se sont faites cendres, grises
amères. Et le vent a dispersé les cendres.
Après nous, personne, car ceux qui viendront ne sauront pas
que nous avons été. Un jour, peut-être, ils nous imagineront, nous rendront
forme à la fantaisie de leurs hypothèses. Ils nous inventeront, quand ils en
ressentiront le besoin.
Je sens le lac, l’eau qui remue faiblement, l’air au-dessus
qui crépite.
Puis plus rien.