C’est le genre de film (excellent) qui mérite mieux que se contenter de « parler du film ».
Démonstration implacable des faillites de « l’Etat de droit ». Inspiré de faits réels, comment des policiers infligent sans nécessité, « pour le plaisir » ( !) des blessures graves à un jeune manifestant des Gilets Jaunes, et, plus glaçant encore, comment chaque échelon de la hiérarchie avalise, justifie, légitime cette violence d’Etat. La politique de la répression à tout prix : « quoi qu’il en coûte ».
La question qui importe, c’est ce qu’on peut faire d’un tel film. Impeccablement interprété et mené, d’autant plus efficace que ce n’est pas un pamphlet, une charge partisane contre la police : toute conscience mesurée devrait pouvoir entendre ce réquisitoire : comment avoir « confiance en la police », si certains de ses agents exercent la violence au lieu d’en protéger ? Et si les garde-fou mis en place pour limiter les débordements, comme il peut s’en produire dans toute profession, l’IGPN chargée d’enquêter sur les faits, se heurte à l’inertie institutionnelle, à l’ « esprit de corps », et aux arguties juridiques ?
Les enjeux sont clairement exposés, les différents points de vue sobrement illustrés : il y a ceux qui ne veulent pas « salir la police » et préfèrent enterrer les exactions, quand il s’en commet. Mais n’est-elle pas plutôt salie, polluée, rendue suspecte, inquiétante, haïssable par une minorité (on veut l’espérer) de brebis galeuses qui violent la loi au lieu de la faire respecter ? On comprend bien que « ce n’est pas un métier facile », que les conditions de la répression qu’on leur donne comme mission exposent à des erreurs d’appréciation : mais là, il ne s’agit pas de ça. On voit des brutes, qui se font plaisir, en profitant de leur uniforme, et des armes qui vont avec.
Un tel métier ne peut évidemment pas recruter que des philosophes et des poètes. Mais on aimerait savoir, à l’issue de ce film ; quelles précautions sont prises pour du moins écarter les sujets problématiques, les profils à l’équilibre psychologique précaire, enclins à satisfaire des pulsions de violence. Et quelles mesures pour retirer la capacité de nuire à ceux qui n’ont pu être détectés dès l’origine, mais se révèlent dangereux par la suite.
Mais on comprend, à la réaction des principaux responsables, à leurs choix de positions déresponsabilisantes, que là n’est pas la priorité : outre que chacun se couvre, se défausse, selon la politique usuelle du « Pas de vague », du « Circulez, y a rien à voir », on comprend que ces « débordements » servent les intérêts du régime, qui, aux abois, ne recule devant rien pour intimider, effrayer et faire taire ses opposants (on le voit aussi dans Les Braises : logique imparable d’une « Justice » qui condamne mécaniquement un plaignant contre des brutalités policières, à son tour accusé de « rébellion et insultes » par ses agresseurs ... assermentés.) Qu’un gouvernement, débordé, qui jette dans la mêlée des services de police dont le maintien de l’ordre n’est pas le rôle, ni la formation (comme la BRI !), crée les conditions de ces « bavures ». Et que ceux qui ont le pouvoir sont à la fois juge et partie, bénéficiaires et en charge du contrôle de ce déni de démocratie : peu de risques de voir les divers responsables, aux différents niveaux de la chaîne de décisions, sanctionnés ...
Ce qui est glaçant, dans ce film, c’est la question « que faire ? », avec laquelle il nous laisse. Que faire à la place de cette enquêtrice de l’IGPN ? Peut-elle continuer à exercer son métier, malgré son inefficacité flagrante ? Au fond, l’existence d’un service de « contrôle » de la police a plutôt une fonction d’alibi, de caution démocratique : « rassurer » sur la possibilité d’un tel contrôle. Que tout a été fait « dans les règles ». Ce dont s’acquitte chacun des personnages, avec une mauvaise foi époustouflante : un manque d’esprit de responsabilité inquiétant.
Que faire en tant que citoyen, acteur et potentielle victime de cette farce grinçante ? Perpétuer le cycle stérile des manifestations de « protestation » (et y subir le risque de blessure pointé par le film !), dont aucun rapport de forces ne peut faire aboutir le exigences ? Assister, impuissant, à cette confiscation de la liberté d’expression, souvent brandie comme preuve de la nature démocratique de notre société, et réduite en réalité (pour combien de temps, encore ...) à la possibilité de faire un film sur le sujet ?
Les partisans de la censure, de la brutalité pour réprimer les contestations, de l’ « ordre à tout prix », font un mauvais calcul : ils ne se rendent pas compte que seule cette concession de pouvoir au moins exprimer son mal-être, sa colère contre les inégalités et injustices de nos sociétés, faute de pouvoir y changer grand-chose, constitue un rempart contre les révoltes désespérées. Quand les Puissants se retranchent derrière des murailles, ils ne laissent pas d’autre choix à ceux qu’ils oppriment que de les renverser.

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