Je
ne l’ai pas encore dit
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Ça m’étonnerait !
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Non, pas encore.
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Depuis combien de temps ?
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Combien de temps quoi … ?
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Tu parles. Tu nous parles. Tu écris. Tu bafouilles.
Tu baragouines. Tu marmonnes, tu griffes. Les parois des roches. Les arbres.
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Ce n’est pas moi.
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Tu crois que je ne t’ai pas vu ?
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Admettons.
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Et tu n’as pas fini ? Pas encore fini ?
C’est sans fin.
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L’homme bredouille.
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C’est ça, bredouille, tu ne prends rien dans tes
filets. Tu ne captes rien. Pas la lumière. Pas ce qu’il y a au-dedans de la
lumière. Alors à quoi bon ? Tu ne vas pas admettre qu’ils n’ont pas envie
de t’entendre ? Depuis le temps que tu t’acharnes. Regarde-les, ils ne t’écoutent
pas.
-
C’est vrai.
-
Tu le vois, maintenant ?
-
Je l’ai toujours vu. Je l’ai toujours su, que c’était
en vain, que je gravais ces tablettes d’argile, ces tablettes de cire, ces
papyrus, ces parchemins, pour rien. C’était plus fort que moi. Un spasme. Un spasme dans la main, dans la gorge, dans tout
le corps, dans toute l’âme, comme ces étoiles trop loin vers qui nous tendons
les doigts, aveugles nous regardons, on ne sait pas quoi.
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Arrête.
-
Arrêter quoi ?
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D’écrire. De penser. Le rêve. De vouloir. Est-ce
que la nuit sera plus claire ?
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Je ne sais pas.
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Il ne sait pas. Ecoutez-le, avec sa prétention,
sa contrition d’orgueil blessé, il clame, il ne sait rien et il beugle comme un
veau qui s’imagine que ça va retarder le moment de l’abattoir !
-
Tais-toi. Pourquoi me dis-tu tout ça ? Tu
crois que je ne savais pas ? Toutes ces heures, ces milliers de pages, ces
millions de bibliothèques, que j’ai remplies, comme on cueille l’eau entre ses
doigts écartés, et il n’en reste qu’un peu de fraîcheur humide sur la peau. Toutes
ces conférences ? tous ces préceptes. Il fallait, c’est tout. Parce que je
suis l’homme qui écrit, comme il y a l’homme qui court, ou l’homme qui regarde
le matin. Parce qu'il y a toutes ces aubes, chaque matin, et toutes ces nuits
ensuite, et qu’il faut bien que quelqu'un les dise.
-
Est-ce qu’il n’y aurait pas d’aube, si tu ne les
écrivais pas ? Ou moins de nuit ?
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Regarde. Elle arrive.
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Qui ça ?
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La nuit.
-
Et alors ?
-
Est-ce que tu n’entends pas, ces voix qui se lèvent
de la nuit ? Est-ce qu’elles ne vont pas croître, et enfler et grandir, et
former un tumulte insupportable, si on n’écrit pas ? On écrit pour ne plus
les entendre, pour qu’elles se taisent. On écrit pour se taire. Pour que le
corps se liquéfie en paroles, pour que les paroles se mettent à rouler les unes
après les autres, et rattrapent la rotation de la Terre, et se mêlent au chant
des étoiles.
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Tu délires !
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Je délivre. Tu vois, quand je me mets à écrire,
à parler, à jacasser, à cocoricoter, à braire, à coucouter, je cesse.
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Tu remplis la nuit de ton tumulte.
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Je la griffe. Je strie les ténèbres, de tous mes
signes, de tous …
-
Et ça te fait du bien ?
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Ça m’endort. Ça me berce. Comme le glissement d’une
rivière.
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Piteux. Tu es piteux. Mais continue, si ça t’amuse.
Je ne pensais pas que tu comprendrais.
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Le nom du jour, le vrai nom de la lumière, je ne
l’ai pas encore dit