dimanche 23 septembre 2018

les tablettes d'argile



                        Je ne l’ai pas encore dit
-       Ça m’étonnerait !
-       Non, pas encore.
-       Depuis combien de temps ?
-       Combien de temps quoi … ?
-       Tu parles. Tu nous parles. Tu écris. Tu bafouilles. Tu baragouines. Tu marmonnes, tu griffes. Les parois des roches. Les arbres.
-       Ce n’est pas moi.
-       Tu crois que je ne t’ai pas vu ?
-       Admettons.
-       Et tu n’as pas fini ? Pas encore fini ? C’est sans fin.
-       L’homme bredouille.
-       C’est ça, bredouille, tu ne prends rien dans tes filets. Tu ne captes rien. Pas la lumière. Pas ce qu’il y a au-dedans de la lumière. Alors à quoi bon ? Tu ne vas pas admettre qu’ils n’ont pas envie de t’entendre ? Depuis le temps que tu t’acharnes. Regarde-les, ils ne t’écoutent pas.
-       C’est vrai.
-       Tu le vois, maintenant ?
-       Je l’ai toujours vu. Je l’ai toujours su, que c’était en vain, que je gravais ces tablettes d’argile, ces tablettes de cire, ces papyrus, ces parchemins, pour rien. C’était plus fort que moi. Un spasme. Un  spasme dans la main, dans la gorge, dans tout le corps, dans toute l’âme, comme ces étoiles trop loin vers qui nous tendons les doigts, aveugles nous regardons, on ne sait pas quoi.
-       Arrête.
-       Arrêter quoi ?
-       D’écrire. De penser. Le rêve. De vouloir. Est-ce que la nuit sera plus claire ?
-       Je ne sais pas.
-       Il ne sait pas. Ecoutez-le, avec sa prétention, sa contrition d’orgueil blessé, il clame, il ne sait rien et il beugle comme un veau qui s’imagine que ça va retarder le moment de l’abattoir !
-       Tais-toi. Pourquoi me dis-tu tout ça ? Tu crois que je ne savais pas ? Toutes ces heures, ces milliers de pages, ces millions de bibliothèques, que j’ai remplies, comme on cueille l’eau entre ses doigts écartés, et il n’en reste qu’un peu de fraîcheur humide sur la peau. Toutes ces conférences ? tous ces préceptes. Il fallait, c’est tout. Parce que je suis l’homme qui écrit, comme il y a l’homme qui court, ou l’homme qui regarde le matin. Parce qu'il y a toutes ces aubes, chaque matin, et toutes ces nuits ensuite, et qu’il faut bien que quelqu'un les dise.
-       Est-ce qu’il n’y aurait pas d’aube, si tu ne les écrivais pas ? Ou moins de nuit ?
-       Regarde. Elle arrive.
-       Qui ça ?
-       La nuit.
-       Et alors ?
-       Est-ce que tu n’entends pas, ces voix qui se lèvent de la nuit ? Est-ce qu’elles ne vont pas croître, et enfler et grandir, et former un tumulte insupportable, si on n’écrit pas ? On écrit pour ne plus les entendre, pour qu’elles se taisent. On écrit pour se taire. Pour que le corps se liquéfie en paroles, pour que les paroles se mettent à rouler les unes après les autres, et rattrapent la rotation de la Terre, et se mêlent au chant des étoiles.
-       Tu délires !
-       Je délivre. Tu vois, quand je me mets à écrire, à parler, à jacasser, à cocoricoter, à braire, à coucouter, je cesse.
-       Tu remplis la nuit de ton tumulte.
-       Je la griffe. Je strie les ténèbres, de tous mes signes, de tous …
-       Et ça te fait du bien ?
-       Ça m’endort. Ça me berce. Comme le glissement d’une rivière.
-       Piteux. Tu es piteux. Mais continue, si ça t’amuse. Je ne pensais pas que tu comprendrais.
-       Le nom du jour, le vrai nom de la lumière, je ne l’ai pas encore dit

Mademoiselle de Joncquières, d'Emmanuel Mouret

Belle et joyeuse adaptation d'un épisode de Jacques le Fataliste, de Diderot. Les tribulations de l'amour, ou le libertin persécuté ... Toute l'insolence morale et intellectuelle de Diderot dans ce jeu de masques (et de dupes), élégamment servi par Edouard Baer et Cécile de France, très à l'aise dans les décors raffinés du XVIIIe siècle (bel accompagnement musical) et sa langue élaborée. Renversements multiples (comme il se doit en amour), illusions et cruauté, chasseur et chassé échangent leurs places, et la tendresse surgit là où on ne l'attendait plus ... Moment délectable.

samedi 15 septembre 2018

Première Année, de Thomas Lilti






Film drôle-grinçant sur l'univers des étudiants : et regard implicite politique-sociologique, les phénomènes de sélection-reproduction des classes sociales (évocation du sociologue Bourdieu).
Quant au dénouement : certains spectateurs s'empressent, avec toute la niaiserie de l'égocentrisme ("si ça m'a pas plu, c'est que c'est mauvais"), de le critiquer. Il me semble plus enrichissant d'en interroger l'intérêt : très plausible psychologiquement et annoncé dans l'évolution du personnage, il fait écho, également, à sa prise de conscience de cette reproduction sociale dont il "bénéficie" (mais qui lui pèse, obère l'invention de son propre avenir). Ni "conte de fées" ni "sacrifice", il se libère au contraire de l'héritage pesant du père.

samedi 16 juin 2018

Le ciel étoilé au-dessus de ma tête, d'Ilan Klipper



Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête            Réjouissant, drôlatique, revigorant, excitant ! Happening débridé, face à face joyeux entre "la Raison" raisonnable, raisonnante, mais passablement ébranlée, et "la gaie folie", si l'on veut, le Verbe en slip, supérieur et chancelant, aussi glorieux que ridicule.
On quitte le plancher des vaches (sa Coupe du Monde, ses macronismes) pour 77 (trop) courtes minutes, ça nous transporte ...