jeudi 10 mars 2022

Effacement

 

Il s’abandonne à la montagne.

Au début, ça ne se voit pas. La libération est lente. La voiture encore tout près, laissée à l’entrée du sentier. Il s’y est débarrassé de ses papiers, son argent, son téléphone. Tous les attributs de son servage. Marqueurs de son identité factice.

Il laisse derrière lui le monde étroit des hommes, leurs rues serpentines et encombrées. Leurs croyances, leurs devoirs, leurs missions. Ce fatras qu’ils nomment « Responsabilités ».

Au début, le sentier monte lentement. Il faut que le souffle se fasse, s’extirpe des muscles endormis. Peu à peu il sort du couvert des arbres blonds. Sans penser aux heures, il monte. En plein ciel.

La montagne à perte de vue. Le regard porte loin. Il s’élance dans le bleu, ivresse, rebondit vers les sommets loin, même l’Ossau, à plus de cent kilomètres, les distances sont abolies. Au milieu des pentes d’herbes, coiffées de fougères, il n’est plus rien. Qu’une créature immobile, insignifiante, chair vulnérable aux griffures minérales et végétales.

Le sentier s’est effacé. Il marche au hasard à travers les prairies, contourne des rochers. Au fur et à mesure qu’il s’élève, l’Océan se déploie, bleu serein. Horizontal infini. On pourrait croire qu’il n’y a jamais eu d’Histoire. Que l’humanité n’a jamais existé, fiction absurde et improbable.

Son souffle se mêle à l’herbe, aux pierres, à l’air, à l’aigle immobile au-dessus de lui. Il n’est plus rien. Il est vivant.

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