UN
On ne remplace pas une femme
comme on change un tableau au mur.
Rencontre doucereuse de la solitude et de la jubilation. Le
luxe rare, à 1h30 de la nuit, quand on rentre, quand la conscience fléchit, et
bascule vers le monde grotte de l’Autre Réalité, la Parole du Dedans, d’emplir
la maison vide de musique, et de se balancer aux rythmes de l’Inde !
La solitude aussi.
L’écriture est la compagne attentionnée des solitaires.
Pas la solitude de la séparation.
Celle-là est liberté. Plus de contrainte pour abdiquer la
pulsation de l’Etre. Plus d’Autre pour renoncer à soi. La joie entière de
s’entendre, soi, résonner de l’intérieur.
Je suis dans la maison au cœur vide et à l’âme pleine.
La solitude, cet aiguillon planté au cœur, de la distance
aux humains. De l’absence. De la parole murée sous le crépit des convenances.
De ce qu’on ne se dit jamais. De ce qu’on ne sait pas, des autres, et qu’on
crèvera sans l’avoir entendu. Leurs plaisirs et leurs peines. Leurs
effarements. Leurs rêves trop secrets pour être entraperçus. Leurs rêves jamais
murmurés, comme un scandale dissimulé. Leur tête à tête avec la mort. Le bruit
du sang goutte à goutte, coulé en vain dans le secret de leurs veines, jusqu’à
la dernière goutte, recueillie en ultime parole, dernier soupir, d’une vie
passée à se taire, qu’il eût mieux valu vivre à la faire.
Conciliabule des espoirs jamais osés, des désirs, qui
s’effacent à la lumière, dans le plein jour de la rencontre aveuglante, où nous
baissons les yeux, de honte tue, de concupiscence timide.
Amis jamais rencontrés, à jamais perdus.
Qu’il eût mieux valu l’audace de vivre ! se gourmande
le moribond …
La pièce
est vide, presque, et fait une lumière de lendemain.
Nous nous
retournons dans notre demi-sommeil agité de presque vivants, agité de ce que
nous nous pressentons à vivre, et que nous aurons oublié à notre retour au
monde, à l’illusion du monde qui efface le monde.
Dans la
musique solitaire de la nuit, enfin, nous sommes.