Chouette film ! Rude mais sobre, relevé d’humour. Constat
impeccable, implacable, des aberrations abominables de notre monde « libéral ».
On sort avec l’envie « d’aller se battre » …
contre qui ?
Mais c’est tonifiant, ça réveille, au milieu de toutes les
couillonnades sur les écrans en ce moment, qui parlent de rien, nous enfument,
doses de laudanum pour endormir les consciences !
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écritures, gamberges, perplexités, fourvoiements, réactions, montées au filet, montées en température, descentes aux envers, escalades à cloche-pied ... explorations ...
samedi 12 novembre 2016
Moi, Daniel Blake
lundi 10 octobre 2016
le harcèlement des cyborgs
Violence. Violence. Violence.
Violence partout.
"Tu te fous de ma gueule". Violent.
J’essayais de t’aider, Fréd !
Tu les vois, Fréd, les cyborgs ? Les
cyborgs partout ?
« Mesdames Messieurs les chefs
d'établissements,
Je vous rappelle que le jeudi 03 novembre, jour de rentrée des congés de Toussaint, sera la journée nationale contre le harcèlement et portera plus particulièrement sur le cyberharcèlement et les cyberviolences. »
Ça craque de partout. Ils en ont mis partout. Tu ne peux pas les
reconnaître. Ils sont presque comme nous.
Mais pas tout à fait. Ils leur ont donné notre apparence. Mais y a un bug. Un huge bug. Es-tu un cyborg, Fréd ?
Quelqu'un a tagué sur les murs, rouge sang : « Non au
harcèlement des cyborgs ! »
Ils se déglinguent. Ils se mettent à devenir violents.
« Il serait souhaitable que chaque établissement de notre académie puisse sensibiliser les élèves sur cette grande cause nationale organisant un temps de travail au sein de votre établissement. »
« Il serait souhaitable que chaque établissement de notre académie puisse sensibiliser les élèves sur cette grande cause nationale organisant un temps de travail au sein de votre établissement. »
Ils ont mobilisé les Réservistes. Partout les cyborgs passent à l’attaque.
On dénombrerait déjà plus de cent mille morts. Armageddon. Ils ont fait le Golem.
Tu es dans une classe. Ils te regardent. Ils ont ce sourire. Tu vois
dans leurs yeux cette violence.
Peut-être Anne était-elle un cyborg. Tu l’as compris, et tu as agi.
C’est bien. Avant qu’il ne soit trop tard. Ou toi ? Es-tu un cyborg, Fréd ? Toi aussi tu t’es
déglingué ? Et Anne s’en est rendue compte, alors tu l’as éliminée ?
Froidement.
« Je vous rappelle que des réservistes peuvent intervenir sur ce thème ; il suffit de cocher dans le tableau dédié à la réserve citoyenne, les champs de compétence "lutte contre le harcèlement" et "santé et prévention des risques" pour accéder à la liste des réservistes mobilisés pour intervenir lors de cette journée. »
« Je vous rappelle que des réservistes peuvent intervenir sur ce thème ; il suffit de cocher dans le tableau dédié à la réserve citoyenne, les champs de compétence "lutte contre le harcèlement" et "santé et prévention des risques" pour accéder à la liste des réservistes mobilisés pour intervenir lors de cette journée. »
Ils se mettent à dire : « je voudrais sucer un doigt de
Monsieur S. »
Nous devons nous défendre, Fréd, avant qu’il ne soit trop tard. Il est
peut-être déjà trop tard.
« Le
ministère a créé un site internet : http://www.nonauharcelement.education.gouv.fr
et une page
facebook https://www.facebook.com/nonauharcelementalecole qui proposent toutes
les informations et les outils utiles. »
Flore m’a écrit : « Bonsoir,
Dis moi, où es-tu ?
J'ai vraiment besoin de ton aide. »
Je ne suis pas sûr qu’elle
s’en soit tirée. Je n’ai plus de nouvelles. Si : ce mail succinct, froid,
ce matin : « Bonjour, Ma messagerie a été
piratée. Tout va bien, j'ai pu reprendre en main la situation, elle est à
nouveau fonctionnelle. »
Ils ont repris le contrôle.
Ils effacent les traces.
« Enfin je vous annonce le quatrième concours "non au harcèlement 2016:2017 et vous trouverez toutes les informations à l'adresse suivante :
En
vous remerciant de votre engagement
Alfred Dreyfus
Proviseur Vie Scolaire »
Alfred Dreyfus
Proviseur Vie Scolaire »
C’est le dernier combat pour la survie de l’humanité. Est-ce que tu es
avec nous, Fréd ? Est-ce que nous pouvons compter sur toi ?
samedi 10 septembre 2016
Les Enfers minuscules
Tout est lié : le rapport au
temps. Le rapport au désir. Le rapport à la mort. Le rapport à l’autre. Le
rapport au corps. Chaque prison en suscite une autre. Chaque enfermement
nécessite un autre enfermement, chaque peur un interdit, chaque culpabilité une
loi. Un contrôle, une répression, un lieu de closure pour la sanction, des
stratégies de mensonge pour tromper la loi. Une surveillance universelle, où la
grammaire est la police de la langue. Il faut/Il ne faut pas. Le licite et
l’illicite. La tentation et la soumission, comme un cercle de honte. L’Enfer
est lieu absolu, idéal, le paroxysme de la Loi : on y punit, on y expie,
on y arrache l’humaine condition comme une essence haïe, par la torture des
chairs, plus et mieux qu’en aucun lieu du monde. L’Enfer est le Paradis des Prophètes,
des Prédicateurs, des Guides de la Vertu, des Gardiens du Temple, des
Défenseurs de la Foi, des Commissaires du Peuple. Là, l’humanité toute entière
vouée à l’inventivité de leur haine de ce qui vit, bouge, germine, sourd,
affleure, s’érige. Extirper le désir. Il faut enfermer le plaisir. Etouffer le
rêve. C’est le triomphe de la rectitude, la négation parfaite de ce qui erre,
de ce qui aspire. Là, toute volonté enfin est abolie. La fin de l’être. Il n’y
a plus que des files infinies de prisonniers, dans l’attente hébétée de leur
punition, dans l’écrasement de leur révolte. Il n’y a plus de « Je »,
qu’une entière et absolue impersonnalité. L’éternité vouée à l’expiation.
Le monde des encore en vie est
rempli de petits Enfers juxtaposés. Assignation à de minuscules parcelles de
vie qui tentent d’en éradiquer déjà le souffle. Alignement des bureaux qui
enferment les gestes. Enveloppement des corps dans l’étoffe opaque des
vêtements. Encadrement des relations soumises aux convenances. Découpage rigide
du temps en segments identiques et répétés. Plus « une vie »,
déployée dans l’erratique des possibles, mais chaque heure, chaque jour,
semaine, mois, saison, année, dûment estampillés, numérotés, ordonnancés, dans
un décompte macabre. Emboîtements de l’espace en villes, quadrillées de rues,
divisées en logements, constitués de pièces. Autant de cases à franchir à qui
voudrait atteindre l’autre, labyrinthique Jeu de Loi. A chaque cellule, son
préposé au contrôle de l’ordre. Autant de vigiles des franchissements de la
ligne interdite. Chaque violation, chaque manquement est l’objet d’un rappel à
l’ordre, d’une menace de châtiment : la montre veille sur les retards, les
règles sur l’expression, les convenances sur les écarts de conduite. Tout
enréglementé et gare à qui transgresse. Il se trouvera toujours un contrôleur
pour s’assurer que le voyageur est en
règle : il s’agit tôt ou tard de montrer ses papiers, l’identité est
affaire de carte, les connaissances acquises de diplômes, le tourisme de
réservation, le jeu a ses règles, le sport ou la baignade ses règlements, tout
comme la bonne tenue de son compte bancaire ou de ses démarches
administratives. La communauté se rassemble sous le drapeau. Elle se désigne par
un nom, exclusif, comminatoire. Il
est peu d’actes qui ne doivent s’accomplir dans les formes, qui ne requièrent
au préalable de multiples enregistrements et autorisations, qu’il s’agisse de
naître ou de mourir, de se mettre en couple ou de passer une frontière, de
prendre ou de quitter un logement. Il faut un ticket pour entrer dans une salle
de spectacle, tenu de rejoindre sa place, comme les parkings ou les cimetières
ont les leurs, chèrement acquises, âprement défendues. Il y a des habits pour
le travail, et d’autres pour la plage, d’autres encore pour les cérémonies. On
peut être nu sous sa douche, en pyjama dans son lit, en robe de chambre pour
accueillir le facteur, mais en tenue de détente pour ses amis, moins relâchée
pour recevoir ses beaux-parents, en costume au bureau et sur son trente et un
pour les Grandes Occasions.
On taille les haies, comme les
cheveux, on tire les jardins au cordeau, on range sa chambre et on met de
l’ordre dans ses papiers : tout ce qui dépasse attire l’attention, nourrit
un soupçon d’existence, d’indiscipline, d’hérésie. Pas une parole plus haute
que l’autre. Point de salut hors de la mode, comme de l’Eglise. Il y a des pensées convenables, reconnaissables à ce
qu’elles ne font pas de vagues lorsqu’elles sont énoncées.
Malheur à qui s’y trompe, il se
signalera à l’assemblée vigilante de ses voisins comme un original, un
dissident, un réfractaire, un opposant : celui qui n’a pas le code est
étranger. S’il sort du rang, il dérange, il inquiète : il devient suspect.
Il y a des heures pour rendre
visite. Le jour pour se promener, la nuit pour dormir. Un temps pour
tout : l’heure de manger, l’heure de partir au travail, l’heure du film à
la télé. Elles ne sauraient être interchangées, celui qui déroge s’offre à la
vindicte. Il n’est pas comme tout le monde. Il ne fait pas comme les autres.
Peut-être ne se soucie-t-il pas du bien commun. Il fait désordre.
Même le désordre a sa mesure. Un
peu de désordre divertit. A condition qu’il soit léger et éphémère. On tolère
les insolences du bouffon. Les audaces du génie. Les excentricités de
l’artiste. Les étourderies du distrait. A chaque petit désordre sa case, sa
cause, le désordre se doit d’être ordonné, motivé, justifié, répertorié, à
condition qu’à la fin tout redevienne comme avant. L’écart du fou, plus
inquiétant, plus irrémédiable, requiert une case plus définitive, un
encasernement de protection. Faute de pouvoir le ramener à la raison, on le
contraint au moins à la camisole, puisqu’il ne saurait se contraindre lui-même.
Il est toléré de petits espaces de liberté, pourvu qu’ils soient indolores et
nettement délimités. Des salles pour les fêtes, et des jours dédiés, des musées
pour les arts, ou des livres, rien qui ne se soumette en fin de conte aux lois
du marché et à l’édification des consciences. Ce sont petites révoltes pour
rire, bénignes explosions d’une rage
toute artistique : la hargne du rappeur ou le riff du rocker se confinent
à la scène ou à la plage du disque, comme le spleen du poète au recueil ou la
pensée révolutionnaire à l’essai. Ce sont coups de frayeur pour rassurer,
simulacres de chaos pour éprouver, par contraste, la permanence quiète de
l’ordre.
mercredi 8 juin 2016
- Le roman du mariage, Jeffrey Eugenides
Editions de l'Olivier
(2013)
Roman riche dans la veine de cet auteur américain (dont on
connaît Virgin Suicides, porté à l'écran
- lire aussi le formidable Middlesex
!) : humour, parfois grinçant, fresque d'une époque (les Etats-Unis des années
70-80) et d'un milieu (les campus universitaires : bel écho des thèses
littéraires à la mode en ces années-là, les amphigouris du post-modernisme
structuraliste !). Tout cela raconté à travers les points de vue alternés,
entrecroisés de trois étudiants, deux garçons et une fille, trio amoureux
touchant et maladroit.
Eugenides a ce talent, ce toucher d'écriture qui lui
permettent d'aborder des sujets complexes de façon légère, de broder ses
personnages à petites touches, de restituer un monde, une atmosphère par la
précision et l'originalité des détails.
Une belle expérience de lecture, que devraient s'offrir
particulièrement les jeunes gens qui ont l'âge des personnages ! (et tous les
autres, puisque la jeunesse n'a pas d'âge ...)
mercredi 3 février 2016
La Rencontre
Eiko
pousse la porte et pénètre dans la chambre. Elle doit l’y retrouver. Il n’est
pas là. L’amant étranger. Aux larges épaules. Tout ce qu’elle sait de lui. Il a
l’air dur et indifférent. Ce n’est pas qu’il lui plaît. Ni qu’il ne lui plaît
pas. C’est son indifférence qui lui plaît. Juste un corps. Dont elle ne sait
rien. Ne veut rien savoir. Rien imaginer. Pas d’avant, pas d’après. Pas de
mots, pas de sentiments, pas de mythe. Surtout pas d’amour. La croyance
imbécile en l’amour l’assomme. Le petit culte étriqué des illusions. La pauvre
justification pour s’autoriser à la rencontre.
Juste lui et elle. La présence. Lui
en face d’elle. Toute la vérité brutale de leur présence. Toute l’impossibilité
de fire ça : tendre la main, toucher les peaux, fondre les corps. Froidement.
Lucidement. Sans voiler, tamiser, amortir, diminuer l’acte. La transgression
suprême. Tirer du plaisir du corps de l’autre, voir dans ses yeux la lumière
brute de son plaisir, voir dans son regard qu’il voit dans ses yeux à elle son
plaisir.
Il n’y a pas eu un mot. Il réglait
quelque chose avec le préposé au comptoir. Elle s’est plantée derrière lui. Il s’est
retourné. Il l’a vue. Il l’ a regardée qui le regardait. Il n’a pas souri. Il a
levé vers elle la clé dans sa main, elle a vu le numéro, elle a fait le chiffre
trois avec les doigts. Il n’a pas hoché la tête.
A trois heures elle est descendue
dans sa chambre. La porte n’était pas fermée à clef.
Il n’y a personne. Il n’est pas
là.
Sur la petite table de nuit en
acajou mauve festonnée d’incrustations d’ivoire dessinant des raquettes de
tennis qui lui rappellent cet été où elle avait joué à la marelle et au go. Toute
la nuit. Sans étoile. A côté du ressac. La
houle agitée de lumière. Il y a une enveloppe
bleue. Très pâle, rectangulaire. Sa couleur jure avec la tapisserie surchargée
de grosses fleurs rouges, c’est un hôtel hideux, comme tous les hôtels, c’est
la fonction des hôtels d’être hideux même quand ils sont élégamment décorés, ce
sont des lieux de passage, impersonnels, qui doivent résister à la succession
des histoires d’humains qui s’y arrêtent provisoirement.
Peut-être l’explication de son
absence. On n’entend que le ronflement du ventilateur. Elle sent la sueur
descendre au creux de ses reins. Ou une instruction lui enjoignant un autre
lieu, comme un jeu de pistes.
Elle est face à son absence. C’est
pareil. Présence ou absence, la même énigme de l’autre. Ses doigts effleurent l’enveloppe.
Elle aimerait savoir. Elle ne veut pas savoir. Elle ne veut pas vouloir.
Désirer, si peu que ce soit, c’est
perdre l’autre. Lui superposer la projection de son désir.
Elle prend l’enveloppe. Elle va
la lire. De son grand corps, il ne lui reste que ça entre les doigts, ce petit
rectangle de papier d’un bleu stupide. Tellement laid. L’enveloppe n’est pas
cachetée, elle en écarte le rabat. Entre le pouce et l’index gauches elle
attrape une petite feuille rectangulaire d’un bleu plus pâle.
Elle lit : « Un cadeau
venu de la mer : Air, X », ou quelque chose comme ça. Ça ne veut rien
dire. Ce n’était peut-être pas pour elle, pas de lui. Mais, peut-être, pour
lui. D’une autre femme. Un souvenir, un message, le signal qu’il aille la rejoindre.
Les gens ont une histoire, ils sont lourds de leurs histoires, ils ont des
souvenirs qui brouillent la réalité de la personne en face d’eux, qu’ils confondent
avec ce qu’ils croient savoir d’elle, ça évite d’avoir à se rencontrer, à se
rendre compte qu’on ne se connaît pas, cette gêne face à quelqu'un qu’on ne
connaît pas, qu’on va faire disparaître au plus vite, dissoudre dans une intimité,
une routine, alors que c’est le seul moment vrai, le seul moment éphémère où on
est conscient qu’on a face à soi un inconnu. Et le frisson inouï, sans qu’un
mot n’ait encore été menti, de la première caresse.
Elle remet le papier dans l’enveloppe,
elle replace l’enveloppe sur la table de nuit. Elle ressort de la pièce. Le plaisir
est intact, à découvrir, encore.
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