La libération sexuelle n’a pas eu
lieu.
Une libération timide, peut-être,
marginale et formelle. Quelques pseudo-audaces qui masquent la peur persistance
du sexe. Le sexe, ça reste « mal », c’est encore « sale ».
On se la joue « libéré »,
mais c’est de la frime. Comme les « rebelles » d’apparat arborant la
bobine du Che sur leurs T-shirts. Du toc, de l’intox, de l’auto-mystification.
Sauf sur quelques stations
branchouilles, dans la réalité, dans la « vraie vie », on ne parle
pas sexe, si ce n’est en pouffant, ou en se la jouant beauf sévèrement burné
dans les vestiaires.
Entre amis, on s’invite à manger,
pas à baiser. On se demande si on a bien dormi, bien roulé, passé de bonnes
vacances, jamais si la baise a été bonne. On parle du dernier film, pas des dernières
positions essayées : et pourtant, nous en aurions, des
« recettes » à échanger …
Les Puritains hypocrites
(pléonasme) invoquent la délicatesse, le « respect de l’intimité »,
la décence, le savoir-vivre … Mon cul !
On ne parle pas de baise, de sa
baise, de la baise de l’autre, pour ne pas remuer le couteau dans la plaie. On
peut s’étendre sur la recette du délicieux canard de Tante Alberte, se répandre
en dithyrambes sur le « ravissant vase en céramique ramené de
Tunisie », parce que ça ne mange pas de pain : pas de risques, pas
d’enjeu.
Mais dire à une copine (pire, à
une inconnue !) au décolleté faussement offert : « j’adore tes
seins, je rêve d’en caresser le velours », ça ne se fait pas, ce serait opération suicide. Ça manquerait de
tact.
Ce serait vulgaire. Le puritain (qui s’ignore et s’en défendrait, si on lui
suggérait le diagnostic) projette ses refoulements sur la pulsion
sexuelle : il la voit
« sale » par ce qu’elle lui évoque de turpitude, il ne se rend pas
compte que c’est la honte qu’il en éprouve qui lui fait percevoir une bite
turgescente, une vulve entrouverte, des seins érigés plus condamnables
( ?) et scandaleux qu’un bras, des cheveux, un nez.
Il y a une géographie des tabous
du corps. Beaucoup savent ce qu’elle a de variable, de relatif à la latitude et
la « culture » d’un pays, aux dogmes assénés, instillés tout au long
de l’enfance, mais rien n’y fait. L’interdit en vigueur paraît au vulgum pecus
un horizon indépassable. Ça ne se fait
pas.
Que dans les pays les plus
rétrogrades, au nom d’un Islam pour le moins subjectif, ce soit les cheveux
qu’il faille absolument dissimuler en plus du sexe et des seins, voire tout le
visage, le corps tout entier, qu’ailleurs ou en d’autres temps la cuisse ou le
mollet, le téton ou le ventre aient pu donner lieu à licence ou proscription,
ne lui donne toujours pas à penser : son interdit à lui, dans le code de
sa culture, qu’il croit intemporel et imprescriptible, ça ne se fait pas. Montrer ses seins (ce sont surtout les femmes,
qui ont à subir les interdits catégoriques en matière de dissimulation des
parties du corps : voilà qui devrait donner matière à réfléchir à cette
nouvelle sorte de « féministes » qui loin de continuer à vouloir
« brûler leur soutien-gorge » comme leurs devancières des années 60,
crient à l’oppression des femmes à la moindre exhibition charnelle), c’est
impensable : c’est, justement, quelle que soit la partie sur laquelle se
focalise l’intention répressive, impensé.
En quoi la vision d’un homme qui
bande, d’une femme foufoune à l’air, d’une fellation (ou, oui oui d’un
cunnilingus, ça va sans dire mais pas pour les obsédé(e)s du rituel de la
parité) constituerait plus « un manque de respect » (de qui ?)
que celles quotidiennes de la misère, de l’incivilité, de l’avidité.
Qu’est-ce qui devrait plus
susciter l’indignation, pour un humaniste rationnel et dégagé des préjugés de
toutes confessions : une Femen seins à l’air, ou un clochard dormant (ou
crevant) sous les pas des passants ?
« Ça n’a rien à voir »
s’exclameront les bien-pensants qui préfèrent s’ignorer (je ne parle même pas
des culs-bénits qui auront déjà brandi crucifix et fatwahs). « On peut
très bien condamner l’un et l’autre »
Sauf qu’au quotidien, c’est l’un, et pas l’autre, qui déclenche les ires. Les dépôts de plainte, les
indignations, sous d’autres latitudes les jets de vitriol et les lapidations.
C’est l’un qui est légalement interdit, pas l’autre. On a les
« respects » qu’on peut. Balancer une famille de crevards à la
rue ; renvoyer à leurs famines et à leurs guerres civiles des
clandestins ; mettre des populations au chômage pour « optimiser la
rentabilité » ; etc, etc, ad nauseam : ça, c’est légal. Mais
montrer son corps ! Oh non ! Ce serait insupportable ! On a les
priorités qu’on veut.
Ça a à voir. Malgré tout. Si on
veut bien se donner la peine de se poser la question.
Ce n’est peut-être pas un hasard
si les religions répressives (les systèmes répressifs de façon générale :
la société soviétique ne leur cédait en rien sur ce plan-là non plus) ont cette
obsession « de la chose », font une fixette sur la zigounette,
confondent sexe et diable, et voient avec angoisse toute femme (non voilée)
comme une Eve tentatrice.
Pas une coïncidence non plus si
l’athéisme, au XVIIe siècle, associe dans le même terme de
« Libertinage » l’aspiration aux libertés de conscience et de
concupiscence.
A l’inverse il serait chimérique
de donner symétriquement au sexe et au corps une importance démesurée,
particulièrement comme vecteur de libération. On voit mal pourquoi et comment la
liberté de se promener à poil ou de s’envoyer en l’air protègerait magiquement
des oppressions, encore moins de l’esprit même d’oppression (comme ont pu – ou
voulu – le croire certains dans les années 60). Se balader la quéquette à l’air
ne saurait constituer un certificat de liberté intellectuelle. Il y a de
fausses libérations comme il y a de faux sens de la pudeur. Tartuffe est
toujours un hypocrite : qu’il susurre « Cachez ce sein que je ne
saurais voir », concupiscent honteux, ou qu’il clame « Exhibez ce
sein que je ne saurais ne pas voir. » Les libertés obligatoires ne sont
que des contraintes qui se travestissent. Une vertu proclamée, se
prétendît-elle libertaire, est pour la galerie, et d’abord l’intérieure.
Mais enfin repenser la place du
corps et du sexe (car c’est bien cette relation qui fait problème : le
corps « sans sexe » - ou présenté comme tel -, il a droit de cité.
Dans le sport, dans l’art, il lui est permis de s’exhiber – et aux spectateurs
de se rincer l’œil en loucedé), s’interroger sur la légitimité rationnelle des
interdits (ce qui ne revient pas à les rayer d’un trait de plume :
arbitraires et répressifs, ils n’en remplissent pas moins des fonctions – on
n’ouvre pas impunément la boîte de Pandore. Libérer le sexe, on le sait bien,
c’est, littéralement, jouer avec le feu), revoir le mode de nos comportements,
ça n’est déjà « pas si mal ».
L’interdit du corps et du sexe
est à la fois le produit, le symptôme et une source des structures répressives
de notre société. L’examiner, c’est faire apparaître des blocages plus
profonds, mettre à jour et à nu des représentations aliénantes.
A commencer par celle de
« l’amour ». Et de ce qui s’ensuit : le couple, le mariage, la
famille. « Amour » construit, en couches historiques successives, du
Christianisme obsédé de transcendance au Romantisme ivre d’absolu, par exemple,
sur le mépris et la détestation du corps : plus « pur » s’il est
chaste, plus vertueusement constitué de « sentiments » que de désir
sexuel. Trajectoire intrinsèquement vouée à l’hypocrisie : parler d’amour,
pour pouvoir le faire.
Honni soit qui sexe y pense, même
« s’ils ne pensent qu’à ça »
(et si le ça en question se révèlera
parfois bien décevant : parce qu'il n’est pas que ça ;
l’interpénétration ( !) du corporel et du psychique dans la complexe
alchimie sexuelle est désormais une évidence pour ceux ont laissé de côté leurs
peurs rances. Ce qu’ont depuis longtemps perçu certains mouvements religieux,
que l’on pense au Tantrisme indien ou au Soufisme, où le divin et le sexuel ne
s’excluent pas, mais au contraire s’atteignent l’un par l’autre. L’extase
concerne l’un et l’autre plan.)
L’Amour est forcément Unique,
comme la divinité imposée. Tu n’auras qu’un seul Dieu, et, en Occident du moins
(depuis sa Christianisation), qu’une seule épouse. Une seule à la fois ;
double impératif de l’unicité, temporelle et spatiale : sont également
condamnés le fait d’avoir plus d’une femme dans sa vie – relations
extra-conjugales – et dans le même lit … Pourquoi … ?
On comprend sans trop d’effort ce
qui est « mal » dans le fait de tuer, de frapper quelqu'un, de lui
voler quelque chose, de lui parler de façon injurieuse … La raison est la
même : on lui fait du tort, c’est « mal » parce qu'on lui fait
mal, qu’il le dit et que nous éprouverions nous-mêmes la même chose.
Mais se faire jouir … ?
S’apporter du plaisir, de la joie ? Frotter ses peaux, là où ça fait du
bien, la douceur, l’humanité des peaux ? La lumière des corps nus ?
Comment peut-on être tordu au point de voir du « mal » là-dedans ?
Quelle peur ou quelle haine faut-il avoir du plaisir et du corps pour ressentir
comme sales des actes aussi magnifiques ?
Le sexe peut être sale, glauque,
abject : n’en faisons pas à son tour un objet de culte. (la religiosité, l’attitude
qui consiste à vénérer plutôt qu’à penser, discuter, interroger, se glisse vite
partout, y compris dans l’irréligiosité – voir par exemple les grands-messes où
communient les formations « d’extrême-gauche » …)
Essentiellement quand il est contraint, forcé,
quand il n’est pas réciproquement consenti, ou mieux, ardemment désiré par la
totalité des participants (de un à l’infini …) Quand l’acte sexuel résulte de
la contrainte : qu’elle soit physique (et psychologique bien sûr), dans le
viol, mais aussi bien économique ou sociale … comme dans certaines situations
du mariage, de la prostitution, voire de « séductions » ressenties
d’abord comme libres mais procédant en réalité d’un ascendant social ou
psychologique (la jeune naïve éblouie par les charmes frelatés du Séducteur à
grosse voiture/situation prestigieuse/forte personnalité … – on veut bien
croire que la réciproque existe aussi : je ne me soumettrai pas dans la
singerie en vogue qui consiste à tout écrire rituellement en double (en
triple ?) pour conjurer toute suspicion de sexisme ou d’homophobie ;
mon énonciation est clairement masculine et hétéro, aisément transposable quand
ça fait sens aux situations féminines et/ou ( ! « et-et-ou- ou ! »,
crie le hibou) homosexuelles. Bref, démerdez-vous.
Le sexe, comme toutes les autres
relations entre humains, peut être glauque et triste et dégueulasse. Il n’est
pas en soi gage de bonheur ni de jouissance. Mais lorsqu’il est sale, il ne
l’est pas en tant que sexe, parce que sexuel : il l’est comme toutes les
sales relations qui peuvent se nouer, quand prévalent rapport de force et
prédation. Dans le sale boulot qui enchaîne à son poste aliénant, dans la vie
de couple et en famille quand elle tourne à l’ennui ou au conflit …
Aux prochains épisodes :
Ø -
aimer deux (trois) femmes (hommes : ne recommencez pas !) à la fois,
c’est possible ?
Ø Baiser
comme on respire – les sex friends – l’utopie sexuelle
Ø « Pourquoi »
le sexe, le corps, « c’est mal » (l’enfer du décor : quels
risques pour une sexualité libérée)
Ø Les
Naturistes, libres de leurs corps, vraiment ? L’imagerie : les
faux-nez de la liberté sexuelle.