Les
iguanes ont la peau rêche.
En 400 mètres il avait ré-empilé ses
sourires, son faux-col, son faux-nez...
Elle ne l’en avait pas félicité,
d’ailleurs.
Un homme remontait la rue, nu, avec
ses palmes.
Personne n’y trouvait rien à redire.
“ Vous êtes bizarre !” lui disait-on
parfois.
Qu’est-ce qui est bizarre ?
Là il fait nuit, personne dans la rue, ça,
c’est bizarre. ( sauf l’homme tout nu qui lève haut ses pieds à cause de ses
palmes.)
Un petit palmier sur le côté de la
maison, à 3 ou 4 mètres de l’angle, voilà qui ferait chic !
La voiture du papa remonte l’allée,
en costume cravate, il descend, ses chaussures noires se posent sur le gravier
beige, deux ou trois enfants accourent en criant : “Papa !
Papa ! »
Ça fait une famille.
Ce qui est bizarre, c’est tous ces
gens différents qui vivent des vies différentes, qui ne se connaissent pas, et
qui parfois se connaissent.
Tout
d’un coup la vague se retire, c’est un bord de mer tout paisible sous la nuit noire,
à peine une clarté de lune pour faire un reflet sur la mer sombre. On ne voit
pas les personnages. Peut-être n’y en a-t-il pas. Ou peut-être sont-ils allés
se coucher dans leur chambre d’hôtel, si ce sont de jeunes amants. Peut-être
que ça ne marchera plus tellement bien entre eux quand ils reviendront dans
leur appartement en ville. A moins qu’une femme soit restée, au bord, elle
regarde vers le large, d’abord on ne l’avait pas vue parce qu’elle s’est
couverte d’un chandail de couleur sombre, soit qu’il fait frais, soit que ses
souvenirs la peinent un peu.
On ne voit pas à qui elle pense. Ou
à quoi. A cet homme qu’elle a connu il y a maintenant deux ou trois ans, elle
n’a jamais su garder ses amants, à moins que ce ne soit eux qui ne la gardent
pas. Qui ne garde pas l’autre, quand on se quitte ? Ou bien à son père mort
quand elle était petite fille. Ce sont des choses qui arrivent, c’est une chose
qui lui est arrivée. Elle n’en parle pas volontiers. Elle n’en est pas
réellement triste. Elle s’est habituée. Quelquefois, tout de même, un mot ou un
instant, va savoir, une seconde de trop dans un intervalle de temps, un hoquet
de temps, il lui revient dans la poitrine, dans le ventre, cette douleur quand
elle a appris, quand elle a compris, quand les jours ont passé et qu’elle a pas
à pas compris qu’il ne reviendrait pas, qu’elle ne le reverrait plus, qu’elle
le reverrait toujours, derrière ses yeux, et non devant, toujours le même, que
ça s’est inscrit dans sa respiration, ce manque, un petit vide dans l’inspiration
de l’air, comme un sanglot, en somme, mais qui ne se verrait pas, personne ne
saurait, elle fermait les yeux avec un sourire apaisant, quand on lui demandait
maladroitement pour se soucier d’elle, il ne vous manque pas trop, il avait
fini par disparaître, mais pas ce vide dans sa respiration, c’est ce qu’elle ne
peut raconter à ses amants, on ne raconte pas un vide, et ils la quittent, ils
disent c’est une chouette fille, vraiment, mais elle est... comment dire, un
peu bizarre. Voilà, c’est le mot, un peu bizarre.
La fille parle au téléphone, sur la
terrasse. Elle agite les mains, elle parle fort. Elle veut être comprise : “ tu
comprends...”, répète-t-elle. On ne sait pas si elle parle à un homme ou à une
femme. A sa meilleure amie, pour lui faite envie, la rendre verte de jalousie.
“ Tu comprends, il m’a dit : venez vous baigner, vraiment un beau mec, y’a pas
à dire, rien à jeter, et puis, tu comprends, je voyais qu’il me matait en
douce...” Sa meilleure amie qui n’a pas pu prendre de vacances, qui s’est fait
réchauffer un plat tout fait au micro-ondes, puis elle s’est préparé une
infusion dans une chope blanche décorée d’un petit bonhomme rouge, et elle a
versé quelques larmes, sur le bord du canapé, alors elle s’est dit “ appelle
Sophie, tu auras des nouvelles “ et il y a une partie d’elle qui n’écoute pas
les nouvelles de Sophie et qui se dit Pourquoi c’est jamais moi que les mecs
draguent sur la plage, et dans le combiné Sophie répète : “ tu comprends ?”
Ou à un
homme. Il devait venir avec elle, pour ces vacances, ils se sont un peu
disputés, elle s’est braquée, elle est partie seule.“ Tu comprends, c’est pas
comme si je t’aimais pas, je t’aime, ben si je t’aime, mais là t’as fait le
con, reconnais que t’as fait le con ...”
La jeune femme du bord de la plage
est remontée vers sa chambre, elle marche à pas amples, un peu lentement, en
passant le long de la terrasse elle fait un petit geste amical, sans s’arrêter,
Sophie répond en continuant sa conversation, elle se dit : « elle est
bizarre, cette femme...”