Dictature, ou Démocratie ?
(L’illégitimité des lois)
La question n’a évidemment aucun
sens. Elle ne sert qu’à persuader les plus ignorants de se soumettre et obéir.
Macron est-il aussi ignoble, despotique,
que Poutine ? Evidemment non : et alors ? Cela a-t-il le moindre
intérêt d’établir des records, de mettre en compétition les exactions des
dirigeants de triste mémoire, de « classer » Xi Jinping, Erdogan,
Hitler, Staline, Napoléon (etc !) du « plus » au
« moins » abominable, dans une macabre comptabilité du nombre de
morts et d’injustices ?
Le manifestant qui se fait
défoncer le crâne par un CRS, arracher la main, crever l’œil sera-t-il rassuré
de savoir que le policier agissait « démocratiquement » dans le cadre
de ses fonctions parfaitement définies par la loi ? On peut en douter.
Entretenir ces questionnements
stériles, rappeler l’évidence qu’il vaut mieux être un opposant en France qu’en
Iran, et que dans la majorité des autres pays de la planète, répéter, comme le
fait un chef maffieux sur les antennes complaisantes qu’ « obéir aux lois,
c’est ce qui fait la Démocratie », ne sert qu’à essayer de dissuader les
contestations, museler les critiques.
N’y croient que ceux qui sont
assez ignorants pour méconnaître l’Histoire, ou dont les intérêts personnels
les incitent à se satisfaire de cette fable.
Revendiquer, à chaque nouvelle
privation de liberté, que « nous sommes en Démocratie », et que par
conséquent les citoyens devraient aveuglément et mécaniquement obéir aux lois
votées, ne sert qu’à produire le maximum de « consentement », c'est à
dire de de soumission : c’est autant de recours à la force violente (la
« Force de l’Ordre) d’économisé.
Tout gouvernant, quel que soit le
nom dont il peinturlure son pouvoir, cherche à ce que sa volonté soit exécutée,
ses contradicteurs mis hors d’état de lui nuire. Il ne tient ce pouvoir que du
fait qu’il dispose, pour des raisons qui diffèrent selon les types de régime,
des forces armées et policières. Et seulement tant qu’il en dispose.
Les « Démocraties » ont
compris, et rendu possible, que la meilleure domination, la moins coûteuse, la
plus durable, est celle qui recourt le moins possible à la violence armée. Tout
Pouvoir qui s’empare des richesses et du contrôle d’une nation essaie d’abord
d’instaurer une « servitude volontaire » : si celui qu’on
contraint, asservit, exploite, est convaincu que son obéissance est légitime,
juste, inévitable, incontestable, il aura moins tendance à se rebeller contre
ses tortionnaires, et à se soustraire à leurs volontés.
Il faut que la « Loi »
paraisse légitime : ne pas procéder du caprice et de l’intérêt du
dominant, mais d’un « état naturel » ou d’une transcendance. Selon
les époques : les dominants, riches, seraient « les meilleurs »
(« aristocrates ») ; les plus capables de servir l’intérêt
général ; auraient été voulus et choisis par une entité suprême,
« Dieu » : on serait Roi « de droit divin », ou par
l’application de la Charria. Lorsque tous ces subterfuges sont éventés, on
invente « le Peuple », la « Chose publique » (« Res
publica »), l’ « intérêt supérieur de l’Etat et de la Nation »,
dont les potentats ne sont, bien entendus que les zélés
« serviteurs ». Cela n’abuse que les niais et les imbéciles, mais
c’est déjà ça à ne pas avoir à contrôler. La croyance à une légitimité de la
Loi, c'est à dire une raison acceptable de s’y soumettre et de ne même pas la
contester, est entretenue à toutes les époques. Le Moyen-Age chrétien a ses
ordalies et « Jugements de Dieu » : l’accusé (des
« crimes » les plus délirants : inobservance de la loi
religieuse, hérésies, « sorcellerie ») est confronté à une épreuve
dont il ne peut réchapper (jeté dans une rivière dans un sac cousu, ou du haut
d’une tour, ou affronté à un adversaire en armes, etc, l’imagination des
tortionnaires est sans limites). S’il survit malgré tout, il prouve son
innocence.
Ces pratiques paraissent
aujourd'hui aberrantes. Mais pas celles auxquelles nous sommes habitués. On se
demande comment des gens, à ces époques, « ont pu croire » à de
telles âneries : mais de la même façon que certains croient aujourd'hui au
bienfondé des lois actuelles auxquelles il leur semblerait insensé, scandaleux
de se soustraire.
Presque jusqu'à la fin de
l’Ancien Régime, au XVIIIe siècle, on a trouvé tout à fait normal de pratiquer
la torture des suspects (et des témoins !) : la
« question », « ordinaire » et
« extraordinaire », des tribunaux royaux et ecclésiastiques. Le Chevalier
de La Barre sera décapité pour « avoir passé à
vingt-cinq pas d'une procession sans ôter son chapeau qu'il avait sur sa
tête », sous Louis XV : le « blasphème », déjà, ce crime
dont on sait ce qu’il fait encourir aujourd'hui aux auteurs de certaines
caricatures, et dont des enquêtes récentes nous apprennent qu’il est reconnu
comme condamnable par une proportion importante et croissante de la jeunesse en
France.
De même
qu’il paraîtra approprié et juste à l’Armée française de torturer, ou jeter des
prisonniers ennemis vivants du haut d’hélicoptères en vol, lors de la Guerre
d’Algérie. Que nul ne semble s’étonner, s’offusquer, s’indigner, que
l’homosexualité soit considérée comme une maladie mentale et un délit, jusqu'au
changement de la loi en 1982. Elle l’est toujours dans certains Etats
américains, et, ailleurs, punissable de mort. La liste serait interminable des
lois, abominables, abjectes, ou simplement idiotes et absurdes, qu’on a fini
par abroger. Cette conscience du caractère relatif des lois ne date pas
d’hier : pour Montaigne, puis Pascal, « vérité en deçà des
Pyrénées, erreur au-delà ».
Encore faudrait-il tirer les
conséquences de la variabilité extrême de ce qui paraît légitime dans ce qui est, dans un pays donné à une
époque donnée, légal.
Après la IIe Guerre Mondiale, le
« Démocrate » De Gaulle peut envoyer l’armée en Algérie, la laisser pratiquer
torture (comme, avant lui, le Ministre de l’Intérieur, puis de la Justice …
Mitterrand) et exécutions sommaires : ça ne choque pas grand-monde. C’est
« la loi ». Aucun problème non plus de démocratie quand le même De
Gaulle effectue des essais nucléaires, au Sahara puis en Polynésie, sans la
moindre considération pour les retombées sur les populations locales. La presse
d’investigation a régulièrement déterré les innombrables affaires ou des
dirigeants ont fait tuer, ont envahi des territoires, soutenu des dictateurs
sanguinaires, se sont enrichis … Au plus parfait mépris du « Droit »,
parfois, ou dans son cadre fluctuant, souvent. Démocratie, dictature ?
L’exercice du pouvoir, abusif ou
pas, habillé d’une apparence législative ou pas, se fait toujours au profit et
dans l’intérêt de ceux qui le détiennent, au détriment de ceux qui le
subissent, et avec la complicité, le soutien actif ou l’assentiment complaisant
de tous ceux qui en tirent bénéfice et avantage. Tout pouvoir, maffieux,
« royal », « religieux », « républicain »,
« révolutionnaire », etc, doit et sait redistribuer une partie du
butin à ses complices et affidés, s’il veut durer. Terres, rentes, prébendes,
honneurs, distinctions … Les premiers « rois » de notre histoire ne
sont que des voyous, des chefs de bande, utilement adornés de faste et de
prestige, de « noblesse », par des clercs courtisans, qui se sont
emparés de territoires par la violence, puis en ont pérennisé la possession,
pour eux et leur descendance, par ces déclarations menaçantes qu’on appelle
« lois ». Ils ont pu posséder des esclaves, prélever des
« impôts » (méthode du racket), jouir de ce dont les autres étaient
privés, satisfaire leurs caprices les plus tordus, jusqu'à ce que des révoltes
les obligent à accepter d’autres « lois », moins avantageuses, plus
restrictives, ou profitant à un autre groupe social venant de s’emparer à son
tour des commandes. Autour du despote, il y a toujours l’entourage de ses
affidés et féaux, en cercles concentriques, toute la hiérarchie de ceux qui
profitent, à des degrés divers, du système mis en place, en échange de leurs
aide, soutien, complicité, complaisance, indifférence. Degrés successifs
d’acceptation d’un système de domination, répondant aux rémunérations qui les
accompagnent. Les dominants achètent la complicité de ceux qui les aident dans
leur prédation, ou au minimum s’abstiennent de s’y opposer : c’est ce
pacte, résultant des rapports de forces entre les parties contractantes, qu’on
appelle « la loi », dont les articles et énoncés fluctuent au gré des
évolutions du rapport de forces. Un despote ne peut régner seul. Ce qui
différencie les types de régimes, c’est le mode de désignation du chef de
bande, et la proportion de la population associée au butin. Dans une
« démocratie bourgeoise », et c’est sa force, tous ceux qui reçoivent
une part « suffisante » des richesses (prélevées sur les pays et les
catégories sociales les plus faibles) n’ont évidemment aucun intérêt (aucune
« raison ») de s’opposer à ce système, d’en dénoncer les exactions et
injustices, d’en critiquer le fonctionnement ni les lois.
Les meurtres d’Etat, les
violences policières, les agressions militaires, les spoliations, privations de
droits, de libertés ou de biens paraîtront « normaux », justes,
légitimes (ou seront occultés par un déni de réalité) par les parties de la
population, plus ou moins nombreuses, qui en retirent un bénéfice : dans
l’Iran des mollahs comme dans la Russie de Poutine, la Chine
« communiste », les Etats-Unis ou la France. Partout, on justifiera
l’oppression (d’intensité et de périmètres très différents, en fonction des
rapports de forces institués localement au cours de l’Histoire) par cette
évidence : « c’est la loi ».
Avec plus ou moins de mauvaise
foi, certains trouveront toujours des « raisons » pour défendre ce
qui les arrange ; ou ce dont on les a convaincus (il n’y aura pas toujours
fallu beaucoup d’efforts) de l’évidence, du caractère naturel, de la nécessité
ou de la justice de telle loi, telle spoliation, telle violence. « Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique,
ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher
tant de terres », se moquait déjà Montesquieu.
De la
même façon, les femmes « doivent » évidemment porter un voile sur la
tête : ou, sous nos latitudes, un tissu pour cacher leurs seins
(arrestations de Femen pour « outrage aux bonnes mœurs », lors de
leurs manifestations). Les colons juifs occuper de nouvelles terres
palestiniennes. Les banques fixer les frais qui leur conviennent. Les gouvernements
les taxes qui les arrangent (ou l’âge du départ à la retraite), ou les
bénéfices que pourront engranger les alliés du Pouvoir, grandes sociétés
Concessionnaires des autoroutes avec lesquelles on signe des accords
providentiellement généreux, ou laboratoires pharmaceutiques justement
destinataires de commandes d’Etat, etc. Les mal servis n’ont qu’à s’incliner
devant la Loi promulguée par ceux qu’elle arrange : les « titres de
propriété » établissent de façon définitive à qui sont les richesses, les
pires rigueurs s’abattront, en « toute justice » sur ceux qui
seraient tentés d’en revoir la distribution. Les potentats, les notables, les
« élus » s’arrogent tout pouvoir de décider seuls de qui aura accès à
l’eau (dossier des mégabassines), jusqu'à quelle vitesse j’ai le droit de
rouler, dans quelle rue je dois ou pas porter un T-shirt … Grandes et petites
obligations, interdictions, autorisations. Si ce sont eux qui nous l’imposent,
c’est « légal ». Pourquoi ? Parce qu'ils ont été « élus »
… (savoureuse ambiguïté du terme, tout autant religieux que républicain !)
Par qui ? Selon quelles règles, décidées par quels bénéficiaires … ?
Modes de scrutins, redécoupages électoraux, moyens financiers et collusions
médiatiques, promesses électorales et mensonges, démagogie … Les techniques ne
manquent pas, même en « démocratie », pour fausser la donne,
accaparer les postes clefs, se répartir, au sein des mêmes familles et groupes
sociaux, les leviers de pouvoir.
Certes,
en « démocratie », le despote est désigné à l’issue d’un vote, et on
en change. Xi Jinping aussi, est élu : par un collège électoral de
plusieurs dizaines de millions de votants, le Parti Communiste. Angela Merkel
est restée au pouvoir pendant 16 ans … En 2016, Trump est « élu »
avec trois millions de voix de moins qu’Hillary Clinton, parce que « ce
qui compte », c’est le nombre de Grands Electeurs … Plus important, tous
ces candidats élus, dans nos « démocraties », appartiennent aux mêmes
groupes socio-culturels : les « alternances », révolutions de Palais,
concernent le clan qui l’emporte, pas la classe sociale. Plus important :
un Macron, qui brandit sa « légitimité démocratique » pour
« justifier » une réforme des retraites refusée par les ¾ de la
population (démocratie ?), n’a attiré au premier tour de la Présidentielle
que 27,8% des suffrages exprimés (même pas, donc, un tiers de ceux qui
ont voulu participer à ce « choix » très limité : pas tout à
fait aussi téléguidé, automatique que la réélection de Xi Jinping … Mais, en
termes de reproduction de classe, et donc d’intérêts, on en est assez près). Il
doit ensuite sa victoire au 2e à un grande proportion d’électeurs de
gauche, dont il feint d’ailleurs de tenir compte dans son discours : mais
de l’opinion desquels il ne tiendra aucun compte dans ses décisions suivantes. Une
règle du jeu bien opportune, circonstancielle (décidée par le camp rédacteur de
la Constitution de 1958 …), discutable, contestable, mais pas modifiable, en
dehors de conditions quasi impossibles à réunir, donne le droit à un homme, dans
cette conception très particulière de la « Démocratie », de décider
une mesure contre l’immense majorité de ceux qu’il est censé représenter …
Règle ubuesque, digne des espiègles « Démocraties Populaires » de
naguère …
Ceux qui
y gagnent peuvent faire semblant de croire à la « légitimité » de
leur domination. La plupart des dominés ne sont pas dupes. Ne se soumettent que
parce que, derrière la fable de « la loi », il y a la violence armée.
Les « Forces de l’Ordre », de l’ordre du Pouvoir comme partout. Ou cessent
de se soumettre, en recourant, eux aussi, à la violence : à la fin, c’est toujours
là qu’on en arrive, les Jacqueries qui émaillent tout le Moyen-Age, finalement
abouties en Révolutions. C’est toujours la violence qui décide.