« Tu trouverais pas des pierres au gave ! »
Les adultes, ça fait plein de reproches.
Tiens-toi donc un peu tranquille. Arrête de nous casser les oreilles.
Les adultes, c’est jamais content.
Tu as rangé ta chambre, comme je te l’ai dit ? Tu n’as pas des devoirs à faire ? Sors donc, plutôt que de rester enfermé !
Rarement une parole de bonheur. De joie, d’affection. Ils pensent que le monde, c’est dur, ça doit être dur, ils le rendent dur. Toujours la peur d’être en retard, en faute, pas comme il faudrait : ils vont dire quoi, les gens ?
Je me serais blotti contre ma grande sœur.
T’inquiète pas, elle murmure. Ils ont leurs soucis. Ils voulaient pas être méchants.
Je me blotti contre son corps tout chaud, son bras autour de mon cou. Elle me raconte des histoires. De mondes pleins de belles couleurs, où les gens ne sont jamais pressés, ont du temps pour écouter. Se regarder avec gentillesse, se dire des gentilles choses. On va s’amuser dehors quand il fait beau, on pense à rien, on s’en fiche si on tombe, c’est pas grave. Rien n’est grave.
Avec les adultes, tout est grave. Ils ont toujours peur qu’il arrive quelque chose, et il n’arrive jamais rien. C’est un monde pétrifié, immobile de tristesse, et d’ennui. Un monde où on attend demain, pour vivre, quand tu seras grand tu feras ce que tu voudras, ce sera trop tard, quand je serai grand je ne serai plus enfant.
C’est maintenant, que je veux.
Les adultes, ça se fait plein de soucis. Pour trois fois rien. Ils vont bientôt arriver et tu es toujours en pyjama ! Et pourquoi pas ? Pourquoi je serais pas en pyjama, quand ils arrivent, eux aussi ils mettent des pyjamas. Oui, mais pour dormir ! Là, on est à table. Les adultes, ça veut toujours faire les choses en fonction de quelque chose. Au lieu de vivre juste comme ça. De rire, parce qu'on a envie de rire. De pleurer, parce que ça nous fait pleurer. De dire ce qui nous passe par la tête.
A ma sœur, je lui dis tout ce qui me passe par la tête. Elle me dit jamais que c’est des bêtises. Que c’est dans ma tête. Evidemment, que c’est dans ma tête, puisque c’est ce qui me passe dans la tête. C’est vrai quand même. C’est le vrai de dedans ma tête.
Quand je vois une dame jolie, j’ai envie d’aller l’embrasser. Laisse la dame tranquille ! Voyons, on ne va pas embêter les gens comme ça !
Je l’embête pas. Je vais lui dire qu’elle sent bon. Elle me prend dans ses bras. Elle a un cou très doux. C’est important, de se prendre dans les bras, quand on éprouve le besoin. Pas juste pour se dire Bonjour, ou au revoir. C’est pas grave, si on se connaît pas. Après, on se connaît. Elle me fait un gentil sourire. J’aimerais bien que ce soit ma maman. Peut-être qu’elle voudrait bien être ma maman. On n’est pas obligé d’avoir toujours la même. On peut en changer, si on la préfère. Moi, j’ai pas choisi la maman que j’ai.
Les adultes, ils disent que c’est pas possible. Et pourquoi pas ? Parce que. Parce que quoi ? Parce que c’est comme ça. Ça ne se fait pas. Et puis arrête, avec tes questions idiotes ! Tout le monde nous regarde.
Ma sœur, je lui demande comment ce sera, quand je serai grand. Tu seras toujours ma sœur ?
Evidemment !
Et tu m’aimeras toujours ?
Evidemment, que je t’aimerai toujours.
Tu promets ?
Je te promets. Même si j’ai un mari.
Ça sert à quoi, un mari ?
Un mari, c’est un monsieur qu’on a rencontré, et qu’on aime. Avec qui on vit. Mais on peut aimer son mari, et aimer aussi son petit frère. Ça empêche pas.
C’est bien, ma sœur, parce qu'elle dit toujours que ça empêche pas. Pour les adultes, il y a toujours quelque chose qui empêche.
Reste pas dehors la nuit, tu vas prendre froid !
Il faudrait savoir ! Tout à l’heure, il fallait que je sorte, et maintenant que j’ai envie, il faut plus.
Oui, mais c’était tout à l’heure.
Oui mais tout à l’heure, j’avais pas envie ! J’avais envie de regarder Zorro. Et Zorro, c’était tout à l’heure que ça passait, pas maintenant.
On peut pas tout avoir. Ils disent toujours ça. Je veux pas tout, des trucs, je sais bien que c’est impossible. Toucher le ciel. Voler depuis tout en haut de la falaise. Avoir une maison pour soi tout seul au milieu de la forêt. Y a que ma sœur, qui pourra venir m’y voir.
Dis, tu crois, que, plus tard, quand je serai grand, je pourrai avoir une maison au milieu de la forêt ? Avec un chien, et un cheval !
Peut-être. Tu pourras t’en acheter une.
Et tu viendras m’y voir ? Tu pourras venir avec ton mari, si tu veux.
Oui. Je viendrai.
Dors, maintenant.