L’idée de base, quand même, pour bien remettre les débats à
leur juste place, c’est que pas grand monde en a à foutre de pas grand monde.
Ça calme un peu sur toutes les grandes postures écolos,
tiers-mondos, socialos, et un tas d’autres, je parle même pas des cathos, sur
lesquels à peu près plus personne ne
nourrit plus d’illusions (mais de nouvelles boutiques ont repris le secteur).
« Comment ! » « Mais pas du tout ! »
« Parle pour toi ! » « Bien au contraire, il y a de plus en
plus de cons-cernés ! » …
Tout dépend de l’unité de mesure qu’on adopte pour évaluer
le « rien à foutre ».
Si c’est à l’intensité exclamative, déclamatoire, à la
surenchère dans le pathos, aux grandes envolées compassionnelles, à la profusion
de banderoles, de « Rencontres », Tables rondes, conclaves, Think
tanks, chapelles de tous ordres, à la conviction comminatoire des sermons
vertueux, au déploiement d’écrans « Nous sommes tous Charlie », là,
bien sûr, nous sommes tous des anges, la crème des gens de bien, les recordmen
de la générosité altruiste, les Stakhanov du Bon Sentiment …
Pas un d’entre nous qui n’ait ses heures de présence en
association caritative, ses dons (défiscalisés) aux bonnes œuvres, voire son
engagement militant.
Mais le rien à foutre, ça peut aussi se calculer en quantité
de bouger son cul pour aider vraiment ceux
qui en ont besoin.
Si quelqu'un a faim, que vous déplorez, vous insurgez vigoureusement, mais ne partagez pas votre
gamelle, est-ce que ça compte ?
Si pour « sauver la planète », vous envisagez
sérieusement de serrer la ceinture des autres, restreindre leur mode de vie, piquer un peu plus dans leurs poches, est-ce que vous n’êtes pas des petits roublards qui
se la coulent douce et en même temps se
donnent bonne conscience ? L’impression d’agir, en se payant de mots.
C’est commode, de recommander l’accueil des migrants, si vous
n’habitez pas dans les quartiers où on parquera leur misère.
De réclamer la diminution des retraites, quand la vôtre est
confortable (voir l’astuce des Vauquier, pour qui deux mois sont comptés comme treize
ans ! https://www.ouest-france.fr/politique/wauquiez-13-ans-de-droits-la-retraite-pour-2-mois-passes-au-conseil-d-etat-5245741) ;
l’allongement de la durée de travail, quand le vôtre est peinard ; la
hausse du prix de l’énergie, quand elle reste dérisoire par rapport à votre
salaire supérieur ; la fermeture des frontières, quand vous avez tiré le
bon numéro à la loterie du pays de naissance, etc.
Les prédicateurs du millénarisme écologiste (on est foutus,
le monde est sur le point de s’écrouler) nous annoncent une mort probable à
brève échéance : personne ne les avait prévenus que c’est la règle du jeu
depuis le départ, que chacun de nous est promis à cette mort dans des délais
variables ? (voir par exemple le virtuose jeu de bonneteau de cette
conférence de Jancovici - veni vidi : https://www.youtube.com/watch? v=2JH6TwaDYW4&t=10s )
Ils se soucient des aggravations prochaines de notre mode de
vie. Ils ignorent que la majeure partie de l’humanité se débat déjà dans des conditions de vie plus que
difficiles ? A moins qu’ils ne parlent du leur : qu’ils ne se fassent
du mouron parce que leur confort actuel risque bien de morfler ? Que ça remet
en question leurs vacances en station balnéaire, que ça risque de compromettre
leurs séances de bronzette ou de tourisme culturel.
Il y aura des troubles sociaux, de la précarité, des
conflits internationaux. Voilà qui ressemble furieusement à aujourd'hui. Aujourd'hui pour les
autres, et demain peut-être pour eux aussi :
voilà en vérité une perspective révoltante. Tant que c’est chez les autres, les
famines, le manque d’eau, la maltraitance policière, l’oppression tyrannique,
on compatit. De tout cœur. Mais sans faire
grand-chose : c’est l’ordre du monde. Dans trois mille ans leur situation
se serait améliorée, le smic serait passé à 1400 €, les gens à l’aise ont le
talent de prêcher la patience, « le progrès est lent », mais il
progresse. Ne pensez pas à vous, bandes d’égoïstes, à vos petites misères de
pauvres, mais aux générations futures, ce
beau mythe d’éternité, ce nouvel au-delà édénique, préoccupez-vous du Salut de l’Humanité, comme on promouvait
jadis celui de l’âme.
Vous qui vivez mal, on vous adjure de vivre encore plus mal,
dans l’espoir grandiose que les petits-fils de vos petits-fils vivent un peu
mieux. Moins de salaire, moins de retraite, moins de consommation, tous ces
vices du pécheur contemporain : ayez le sens du sacrifice.
Quant à ceux qui adjurent, rassurez-vous, ils s’en sortent
très bien.
Convaincus de mériter, par leur travail, par leurs qualités
et compétences, le mieux dont ils vous privent, en toute bonne conscience. Déculpabilisés
de cette inégalité par toutes leurs bonnes paroles, leur « engagement »,
leurs conférences moralisatrices.
Cette nouvelle aristocratie a trouvé la justification de ses
privilèges. Ce ne sont plus l’ancienneté du nom, la vaillance sur le champ de
bataille, la très opportune Volonté de Dieu, mais le niveau de leurs diplômes, l’étendue
de leur savoir, la profondeur de leur intelligence. Honneur et prospérité aux
hommes de « valeur », ainsi auto-proclamés et complaisamment cooptés !
Et comme toujours, il y a des impies qui doutent, des
sacrilèges qui se rebiffent, des matérialistes à courte vue qui renâclent …
Qui regimbent à monter avec enthousiasme sur l’autel du
sacrifice. Qui osent, les ignares, poser la question qui fâche : « pourquoi
nous ? »
Et qui ne se laissent pas tondre.