mardi 11 juin 2019

Cercle Révolutionnaire de mes Couilles


            C’est dingue ce que j’ai pu rencontrer dans ma vie comme gens qui savaient à ma place !
Ce qu’était l’art, le combat politique, la poésie, la littérature, le cinéma, la bonne bouffe, les vacances réussies, comment bien s’habiller, ce qui est élégant, ou seyant, comment faire un cours, ce qu’est un bon prof, un ami, l’amour, la réussite, la Vie, la baise, le vrai Dieu évidemment, la vraie religion, le respect, l’honneur, la décence, où aller, quoi faire, qui voir, pour qui voter, ne pas voter, et la liste est sans fin, ad nauseam, substituable à l’infini, modulable en une infinité de variantes, de détails tous plus essentiels les uns que les autres, incontestables, indiscutables : évidents …
Moi, je voulais bien (mais en fait non : ça me hérissait, cette arrogance satisfaite, cette certitude de bien faire, cette absence de doutes d’agir pour le Bien commun, en parfaite générosité, chacun voyant « l’altruisme » à sa porte), mais ça se contredisait tous azimuts, la Vérité de l’un se retrouvant mise en pièces par les affirmations de tous les autres … Sacré capharnaüm, concert discordant, foutue pagaille.

Ça dégomme à tour de bras, ça dézingue le camp d’en face, voire celui juste à côté, ça « dénonce », ça s’indigne, ça en appelle à la vertu, ça jette l’opprobre et ça voue aux vindictes publiques.
Ça appelle aux armes le citoyen responsable, concerné, ça réquisitionne à grands cris, ça en appelle à la Conscience, au sens du devoir, ça brandit le Beau, le Bon, le Juste, ça s’émeut des turpitudes, toujours celles des autres, ça ricane des errements, des fautes de goût, ça stigmatise, ça pointe du doigt, toujours au nom de l’amour, de l’honnêteté, de la liberté, menacés mais irréductiblement défendus par quelques Elus, lucides, eux. No pasaran ! Il y a toujours quelque part un hymne pour rameuter les fidèles, dernier rempart de la Civilisation et de l’humanité gémissante.

Dans une accélération vertigineuse de la prescription et de la proscription, de l’anathème et de l’injonction, chacun me dicte ce que je peux manger (ou pas), boire, et combien, dire, penser, aimer, pratiquer, faire.

L’admonestation est sans appel : il y va de mon Salut, de ma santé, de mon bien-être psychique, de la survie de la planète, de l’équilibre des comptes publics, de l’intérêt de l’enfant, des femmes, des peuples opprimés, de la sauvegarde de la faune et de la flore, de la suprématie de la race ou de la grandeur de la Nation.

Bigre ! Je ne me croyais pas d’une telle importance pour le cours des choses …

« Tu ne te rends pas compte ! » Ce doit être ça.

Me voilà mis en demeure de « choisir mon camp ». Il faudra se résoudre à trahir tous les autres, à se voir conspué par les cénacles qu’on n’aura pas rejoints, l’heure est grave, l’hésitation n’est pas de mise. Peu importe dans lequel : il faut s’engager. Etre pour ou contre. Suppôt des Puissants, ou complice des rebelles. Laquais ou factieux.

Facétieux, serait ma préférence, mon œil droit louche vers ma main gauche, je vois le mal partout et du sérieux nulle part.

Gilet jaune ou macroniste ? Ecolo ou consommateur irresponsable ? Végétarien ou viandard, romantique ou libertin, figuratif ou conceptuel, réaliste ou avant-gardiste ? Ceinture, ou bretelles ?
Il y a du complot dans l’air, et chacun, bien informé, a éventé ceux du camp d’en face, passés et à venir. Flic ou voyou ? Propriétaire ou collectiviste ? Rangé ou dérangé ? Chacun s’insurge, Danton en chaire, désigne le Péril à contenir, molécule tueuse ou substance cancérigène, montée des extrêmes, basses manœuvres du Grand Capital, populaces déchaînées, hordes migrantes, chacun s’exhibe, de bonne foi, comme le dernier recours, le bastion de la sagesse désintéressée, l’unique réponse de la Raison assiégée.

Et si chacun, au fond, ne faisait que défendre son bout de gras ? Témoigner, justement, de sa part de vérité ? S’il ne fallait que s’essayer à admettre les divergences d’intérêts, se pousser un peu pour faire de la place aux autres, se coltiner son lopin de terre sans insister pour régner sur celui du voisin …

C’est la grande empoignade de toutes les Tribus, le moment de vérité, la Mère de toutes les Discordes, Babel s’effondre de toutes ses langues, il se fait partout un grand tumulte d’Armageddon.

C’est pour demain, l’ultime épisode final.

Et puis, une nouvelle série qui recommence.

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