C’est
dingue ce que j’ai pu rencontrer dans ma vie comme gens qui savaient à ma place !
Ce qu’était l’art, le combat politique, la poésie, la
littérature, le cinéma, la bonne bouffe, les vacances réussies, comment bien s’habiller, ce qui est élégant, ou
seyant, comment faire un cours, ce qu’est un bon prof, un ami, l’amour, la réussite, la Vie, la baise, le vrai Dieu évidemment, la vraie religion, le respect, l’honneur,
la décence, où aller, quoi faire, qui voir, pour qui voter, ne pas voter, et la
liste est sans fin, ad nauseam, substituable à l’infini, modulable en une
infinité de variantes, de détails tous plus essentiels les uns que les autres,
incontestables, indiscutables : évidents …
Moi, je voulais bien (mais en fait non : ça me
hérissait, cette arrogance satisfaite, cette certitude de bien faire, cette absence de doutes d’agir pour le Bien commun, en parfaite générosité, chacun voyant « l’altruisme »
à sa porte), mais ça se contredisait tous azimuts, la Vérité de l’un se
retrouvant mise en pièces par les affirmations de tous les autres … Sacré capharnaüm,
concert discordant, foutue pagaille.
Ça dégomme à tour de bras, ça dézingue le camp d’en face,
voire celui juste à côté, ça « dénonce », ça s’indigne, ça en appelle
à la vertu, ça jette l’opprobre et ça voue aux vindictes publiques.
Ça appelle aux armes le citoyen responsable, concerné, ça
réquisitionne à grands cris, ça en appelle à la Conscience, au sens du devoir, ça
brandit le Beau, le Bon, le Juste, ça s’émeut des turpitudes, toujours celles
des autres, ça ricane des errements, des fautes de goût, ça stigmatise, ça
pointe du doigt, toujours au nom de l’amour, de l’honnêteté, de la liberté,
menacés mais irréductiblement défendus par quelques Elus, lucides, eux. No
pasaran ! Il y a toujours quelque part un hymne pour rameuter les
fidèles, dernier rempart de la Civilisation et de l’humanité gémissante.
Dans une accélération vertigineuse de la prescription et de
la proscription, de l’anathème et de l’injonction, chacun me dicte ce que je
peux manger (ou pas), boire, et combien, dire, penser, aimer, pratiquer, faire.
L’admonestation est sans appel : il y va de mon Salut,
de ma santé, de mon bien-être psychique, de la survie de la planète, de l’équilibre
des comptes publics, de l’intérêt de l’enfant, des femmes, des peuples
opprimés, de la sauvegarde de la faune et de la flore, de la suprématie de la
race ou de la grandeur de la Nation.
Bigre ! Je ne me croyais pas d’une telle importance pour
le cours des choses …
« Tu ne te rends pas compte ! » Ce doit être
ça.
Me voilà mis en demeure de « choisir mon camp ».
Il faudra se résoudre à trahir tous les autres, à se voir conspué par les
cénacles qu’on n’aura pas rejoints, l’heure est grave, l’hésitation n’est pas
de mise. Peu importe dans lequel : il faut s’engager. Etre pour ou contre.
Suppôt des Puissants, ou complice des rebelles. Laquais ou factieux.
Facétieux, serait ma préférence, mon œil droit louche vers
ma main gauche, je vois le mal partout et du sérieux nulle part.
Gilet jaune ou macroniste ? Ecolo ou consommateur
irresponsable ? Végétarien ou viandard, romantique ou libertin, figuratif
ou conceptuel, réaliste ou avant-gardiste ? Ceinture, ou bretelles ?
Il y a du complot dans l’air, et chacun, bien informé, a éventé ceux du camp d’en
face, passés et à venir. Flic ou voyou ? Propriétaire ou collectiviste ?
Rangé ou dérangé ? Chacun s’insurge, Danton en chaire, désigne le Péril à contenir,
molécule tueuse ou substance cancérigène, montée des extrêmes, basses manœuvres
du Grand Capital, populaces déchaînées, hordes migrantes, chacun s’exhibe, de bonne foi, comme le dernier recours,
le bastion de la sagesse désintéressée, l’unique réponse de la Raison assiégée.
Et si chacun, au fond, ne faisait que défendre son bout de
gras ? Témoigner, justement, de sa part de vérité ? S’il ne fallait
que s’essayer à admettre les divergences d’intérêts, se pousser un peu pour
faire de la place aux autres, se coltiner son lopin de terre sans insister pour
régner sur celui du voisin …
C’est la grande empoignade de toutes les Tribus, le moment
de vérité, la Mère de toutes les Discordes, Babel s’effondre de toutes ses
langues, il se fait partout un grand tumulte d’Armageddon.
C’est pour demain, l’ultime épisode final.
Et puis, une nouvelle série qui recommence.
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