dimanche 14 juin 2015

La Loi du Marché, un film de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon

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Fort, prenant. Parce que là, ce n'est pas (que) du cinéma. Il faut s'adapter au ton des dialogues : ils "font bizarre", parce que justement les voix ont les intonations de la vie réelle, et non celles des codes du cinéma, même le plus réaliste (technique du cinéma-vérité). Pas réellement d'intrigue.

Mais des personnages, semblables à ceux qu'on peut croiser dans la vie (mais justement, dans la vie, on ne fait que les croiser - au mieux ... Beaucoup de nos décideurs, je pense, n'en ont vu qu'à l'état de statistiques ... -, ici on reste avec eux, on les voit.)

 Ce n'est pas misérabiliste : juste le quotidien de ce qu'on peut appeler la violence au travail, la violence banale du mode de vie que nous trouvons "normal", sauf qu'ici elle n'est pas nommée, même pas dénoncée (pas frontalement), seulement montrée, sèchement, constat sans trémolos ni fioritures. Et ça cogne. "Est-ce ainsi que les hommes vivent ?"...

Le Labyrinthe du silence, film de Giulio Ricciarelli (avril 2015)

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J'ai trouvé ce film d'une très grande force. Et "indispensable à voir" : c'est un sentiment que j'ai rarement, une prescription que je trouve souvent dénuée de sens. Mais ici ... A la fois pour tout ce qu'il nous fait découvrir sur l'époque (1958, en Allemagne), sur un ton qui me semble nouveau : sans supplément de pathos. le personnage principal, jeune procureur débutant, voit poser la question à des passants : "qu'évoque pour vous ce nom : Auschwitz ?" Tous répondent, perplexes : "Rien". Et ce qu'il réfléchit de la nôtre.
C'est un film peut-être sur l'indifférence. La question de savoir si on peut rester indifférent. Pas concerné. Et pourquoi. A ce qui se passe. préférer ne pas voir, ne pas savoir. Laisser les crapules en place : tentation frileuse de toutes les époques (rappelons-nous Papon, préfet de De Gaulle - ce "héros" -, après l'avoir été sous Vichy, et dans les deux cas de façon sanglante ...). Un film sur la jeunesse, l'enthousiasme ou le carriérisme. ça parle bien encore aujourd'hui.

Sophie Kinsella, Confessions d'une accro du shopping




Premier volume d'une série à succès, dont le 2e est plus fade, simple "allongement d'une sauce" qui paye ...
Mais cette 1e histoire est drôle et moins futile qu'il n'y paraît : certes nous sommes dans ce que le marketing éditorial appelle "chick lit", littéralement traduisible par "littérature pour nanas" ("chiken", "poule" en anglais, n'a pas les connotations vulgaires et méprisantes du français ; c'est, disons, familier et affectueux), terme néanmoins idiot et sexiste ...
Elle raconte les bévues et mésaventures ... d'une accro du shopping ! C'est enlevé, souvent astucieux, et peu de risques d'attraper une migraine.
Mais c'est aussi, entre les lignes, plus malin que ça : le lecteur, homme ou femme, reconnaîtra souvent ses petites ruses pour justifier ses renoncements, ses reculades ; toutes nos stratégies pour ne pas tenir nos résolutions, et continuer à nous considérer comme un type (une nana) épatant ...
Dommage que le roman suivant (il y en a tout une série !) sente l'exploitation d'un filon, et réchauffe inlassablement (sauf pour le lecteur) les mêmes procédés qui à force perdent leur vertu comique.

vendredi 20 février 2015

Goulicimeb



              Goulcimeb, ça s’appelle. C’est pas un patelin connu. Cherchez pas sur la carte : le dernier arpenteur du Service du Cadastre est reparti à poil arpenter ailleurs.
A Goulcimeb, on aime pas trop être arpenté, cadastré, référencé, répertorié, enfiché, localisé, si vous voyez ce que j’veux dire. Et même si vous voyez pas, d’ailleurs.
Goulcimeb, c’est l’patelin d’où je viens. Une planque comme y’en a pas.
Pourquoi j’en suis parti ? Ça, c’est une autre histoire.
Y’a pas d’rues, à Goulicimeb. Et partant, pas d’trottoirs. Et conséquence, pas d’femmes qui font l’trottoir. Pas de crottes de chiens non plus. Enfin si, des crottes, y’en a, puisqu’y a des chiens, suffit de faire attention où on met les pieds, mais c’est moins traître, du coup, puisqu’il est pas censé pas y en avoir. Dans l’herbe. Y’a de l’herbe partout, sauf là où y’a pas d’herbe, bien sûr.
-       Ben alors, c’est pas une ville, c’est une prairie !
-       Non, passque dans cette prairie y’a des maisons. Disposées çà et là, comme des coulemelles sur un alapage.
-       Et comment y fait, l’facteur, si y’a pas d’rue, pour distribuer le courrier ? Passque si y’a pas d’rue, j’suppose qu’y a pas de numéros de rue.
-       Y’a pas d’facteur.
-       Et comment tu fais, une supposition que je veuille t’écrire ?
-       Ça m'étonnerait qu’j’aie envie d’te lire.
-       Une supposition, que j’dis.
-       Eh ben tu viens me parler. Ou si t’es trop timide, tu viens m’apporter ta lettre à la maison.
-       Et comment j’la trouve, ta maison ?
-       Ben, tu sais où elle est.
-       Mais si j’le sais pas ? L, maintenant, ta baraque, j’la connais pas, vu qu’je sais même pas où ça crêche, ton bled.
-       Ben tu demandes aux gens.
-       Ah ? Y’ a des passants ?
-       Les gens qui y vivent.
-       Mais si y’a pas d’rues, y peuvent pas passer ?
-       Y passent pas, y s’promènent.
-       Ben, elle est drôle, ta ville. Et y’a d’autres trucs, comme ça, qu’y a pas ?
-       Plein. Y’a qu’ça, des trucs qu’y a pas.
-       Comme quoi ?
-       Comme la Mairie.
-       Y’a pas d’mairie ?
-       Non. Pasqu’y a pas d’maire.
-       Et comment y votent, les gens ?
-       Y votent pas.
-       Y votent pas ?
-       Non.
-       Mais comment y décident ?
-       Comment y décident quoi ?
-       Ben j’sais pas, moi. Les trucs que décide un maire. Les jours de marché, par exemple. Tu vas m’dire qu’y a pas d’marché ?
-       Si, y’a un marché, mais y’a pas d’jours de marché. Si t’as un truc à vendre, tu t’installes, tu déplies ta camelote, les gens te voient, et si ça les intéresse, y viennent.
-       Ben merde alors !
-       Comme tu dis.
-       Ben c’est l’bordel, alors ! Une putain d’anarchie, comme qui dirait.
-       Comme tu dis.
-       Ben merde alors. Ça m’dirait pas, moi, de vivre dans une ville où qu’y a pas d’maire. Et alors, le Monument aux Morts ?
-       Ben y’en a pas. Les morts, y s’en foutent, des monuments, puisqu’y sont morts.
-       Y’a un cimetière, au moins ?
-       Surtout pas.
-       Ben mon cochon, tu les mets où, tes macchabées ?
-       Où tu veux. Devant ta maison, ou derrière. Ou dans la forêt. Chacun s’arrange comme il veut.
-       Et le Gendarmerie ?
-       Non ;
-       Pas d’Gendarmerie ?
-       Non.
-       Et où c’est qu’tu vas porter plainte, si on t’vole ?
-       On m’vole pas, vu que personne manque de rien. Et si tu t’avisais de me chouraver un truc, par pure malfaisance, moi ou mes potes on t’verrait, et on t’ferait passer l’envie de recommencer.
-       C’est pas trop catholique, ton truc. Et tu vas m’dire aussi qu’y a pas d’église.
-       Encore moins.
-       Pourquoi ? Z’êtes des putains de terroristes de musulmans ?
-       Non, y’a pas de mosquée non plus. Si tu veux t’faire des films, tu vas au cinéma.
-       Ah, y’a un cinéma ?
-       Sept.
-       Sept ?
-       Et huit théâtres. Cinq salles de concert. Des salles de sport, des saunas, des restos, des salles de jeu, de danse …
-       Que des trucs pour faire la fête !
-       Tu connais une autre façon de vivre ?
-       Bon ; suppose que j’aie envie d’aller voir, comme ça, à quoi ça ressemble, vot’cirque. J’m’y prends comment ? C’est quoi la route ? La gare la plus proche ? Et pour pieuter ? Uo s’en jeter un ? Y’a un site où j’peux trouver tout ça ?
-       C’est pas utile.
-       Ben pourquoi ?
-       T’es pas l’bienvenu. C’est pas un zoo où tu peux venir mater.
-       Y’a personne qui vient vous voir ?
-       Ceux qu’on invite. Ceux-là n’ont pas besoin de carte routière, ni de réservation de billet de train. Il leur suffit de grimper dans leur rêve, de se laisser glisser dans leur fantaisie, et là c’est tout droit, ou tout en méandres, ils suivent leur bon plaisir, et quand ils sont bien, c’est là, ils sont arrivés.