(suite de l'article précédent sur "l'écologisme", réponse à l'objection : "l'écologie n'est pas une croyance, elle procède d'une pensée rationnelle")
Je suis d’accord que les menaces (les mises en garde)
religieuses et écologistes sont d’apparences et de natures différentes : c’est
bien pour ça qu’on peut les comparer, c'est à dire établir des similitudes,
au-delà des différences indéniables.
Pour, justement, mettre en évidence le substrat irrationnel,
fantasmatique, d’une démarche qui se prétend rationnelle, se croit telle et se
présente comme telle : le « constat matériel », la revendication
de « l’objectivité » constituent l’imposture des toutes les
idéologies postérieures à la révolution scientifique, comme auparavant la
transcendance religieuse.
Dans l’un et l’autre cas, il « n’y aurait rien à voir »,
rien à discuter (la vérité, surtout scientifique, n’est-elle pas « indiscutable » ?),
pas d’autre choix : le « sens de l’histoire » des marxistes, le « réalisme
économique » des libéraux d’aujourd'hui, ici ces observations des « déséquilibres
que nous avons causés en un siècle », ces nouvelles évidences dicteraient
une façon univoque de penser, d’agir, sans alternative possible.
L’objectif bannit, évince le subjectif : il n’y a plus
rien à décider, à l’échelle du sujet, de la personne.
Et s’il s’agissait justement d’instaurer une fois de plus un
« exercice de pouvoir et de contrôle », une manipulation des
consciences, inconsciente peut-être, ou plutôt sans que les nouveaux
moralistes, ayatollahs modernes, n’aient conscience d’imposer quoi que ce soit,
tant chacun est persuadé de sa légitimité à universaliser ses croyances …
L’enfer (chrétien, communiste, libéral, écologiste, etc) est
pavé des meilleures intentions, il s’agit toujours du bien de l’homme, du bien
du monde : du bien.
Le moralisme prescripteur et proscripteur est d’autant plus
redoutable qu’il se dissimule ou s’ignore.
Prends, c’est plus facile à concevoir, « l’évidence
libérale » : puisque nous sommes en déficit, « il faut bien »
supprimer des dépenses, des fonctionnaires ; puis que nous bénéficions d’un
allongement de l’espérance de vie, il faut bien travailler plus longtemps … C’est
logique, et ce n’est même pas discutable, seuls les fous peuvent en douter …
C’est toujours le symptôme du déni philosophique : le
recours à l’évidence (« Dieu a dit », « la science a prouvé que »).
Ne peut-on préférer utiliser notre gain de temps de vie
(dans la mesure où ce gain statistique s’applique à notre cas !) à autre
chose qu’à travailler ?
Est-il si certain qu’on ne peut sortir du déficit qu’en
réduisant les dépenses sociales ?
Il existe évidemment d’autres choix possibles :
discutons-les, acceptons l’incontournable dissension …
Si l’on en revient à l’écologisme (1er symptôme
sémiologique : quand une idéologie – un choix philosophique et moral – se déguise
en science en perdant le suffixe (« isme ») significatif pour se
banaliser en « écologie » !), la question n’est pas de nier les
effets destructeurs de l’humain sur son environnement ; mais de la
replacer dans un contexte historique (le phénomène n’est pas nouveau !),
politique (il y a plus urgent que respecter « la planète » : ce
qui me choque – mais c’est ma position philosophique – dans le barrage géant
chinois, ce n’est pas le risque écologique, c’est le mépris total de millions
de personnes déplacées ; on voudrait que les décideurs se fassent agneaux
pour le climat, tout en restant d’ignobles charognards pour les populations ?)
et philosophique.
« Se priver » ne me paraît en rien un gage de
vertu ni un espoir de justice. Prendre mon vélo (ce que j’aime à faire de temps
en temps par ailleurs : mais je n’aimerais pas qu’un « commissaire du
peuple » vienne m’obliger à le faire ; et la « société vertueuse »
que certains appellent de leurs vœux, faite de transports en commun, me paraît
une sacrée régression du plaisir de vivre) au lieu de ma voiture ne me paraît
pas changer grand-chose à l’équilibre du monde, et relever plutôt du symbole,
de la génuflexion conformiste, comme aller à la messe pour le catho ou jeûner
tout le jour pour le musulman, entre deux saloperies …
Réfléchir aux conséquences, proposer des alternatives,
recommander des choix : l’écologiste est là dans son rôle, tant qu’il me
laisse ensuite décider de mes préférences, sans dramatiser le problème.
« Pour WWF, en 2030, nous aurons besoin de deux
planètes pour survivre » : c’est typiquement la rhétorique qui essaie
de faire peur pour imposer sa vision !
En 2030, personne, sauf Madame Soleil, Nostradamus et la
Pythie de Delphes ne peut savoir de quoi nous aurons besoin. Ce futur est une
imposture logique.
Et l’image de « deux planètes pour survivre » joue
bien sur le registre sensationnaliste, le verbe « survivre » suscite
bien ces images de SF post-apocalyptique …
Le problème, c’est pas 2030, c’est aujourd’hui ! Des
millions de gens n’ont pas, dès maintenant (« dès hier ! » La
famine, la malnutrition ne doivent rien aux dépravations supposées de notre
monde moderne), de quoi « survivre », et des milliards sont des
esclaves à peine déguisés …
Alors, les problèmes de la « biodiversité », dont
je ne doute pas qu’ils existent, les préférences pour le bio, les techniques
douces et les énergies propres (quel lexique symptomatique des fantasmes
hygiénistes ! – « Bienvenue à Gattaca »), les « gestes pour
la planète » et les « comportements écologiquement citoyens »
apparaissent comme d’aimables préoccupations de nantis culpabilisés …