samedi 19 mai 2012

L'imposture des "évidences"

  (suite de l'article précédent sur "l'écologisme", réponse à l'objection : "l'écologie n'est pas une croyance, elle procède d'une pensée rationnelle")


Je suis d’accord que les menaces (les mises en garde) religieuses et écologistes sont d’apparences et de natures différentes : c’est bien pour ça qu’on peut les comparer, c'est à dire établir des similitudes, au-delà des différences indéniables.
Pour, justement, mettre en évidence le substrat irrationnel, fantasmatique, d’une démarche qui se prétend rationnelle, se croit telle et se présente comme telle : le « constat matériel », la revendication de « l’objectivité » constituent l’imposture des toutes les idéologies postérieures à la révolution scientifique, comme auparavant la transcendance religieuse.
Dans l’un et l’autre cas, il « n’y aurait rien à voir », rien à discuter (la vérité, surtout scientifique, n’est-elle pas « indiscutable » ?), pas d’autre choix : le « sens de l’histoire » des marxistes, le « réalisme économique » des libéraux d’aujourd'hui, ici ces observations des « déséquilibres que nous avons causés en un siècle », ces nouvelles évidences dicteraient une façon univoque de penser, d’agir, sans alternative possible.
L’objectif bannit, évince le subjectif : il n’y a plus rien à décider, à l’échelle du sujet, de la personne.
Et s’il s’agissait justement d’instaurer une fois de plus un « exercice de pouvoir et de contrôle », une manipulation des consciences, inconsciente peut-être, ou plutôt sans que les nouveaux moralistes, ayatollahs modernes, n’aient conscience d’imposer quoi que ce soit, tant chacun est persuadé de sa légitimité à universaliser ses croyances …
L’enfer (chrétien, communiste, libéral, écologiste, etc) est pavé des meilleures intentions, il s’agit toujours du bien de l’homme, du bien du monde : du bien.
Le moralisme prescripteur et proscripteur est d’autant plus redoutable qu’il se dissimule ou s’ignore.
Prends, c’est plus facile à concevoir, « l’évidence libérale » : puisque nous sommes en déficit, « il faut bien » supprimer des dépenses, des fonctionnaires ; puis que nous bénéficions d’un allongement de l’espérance de vie, il faut bien travailler plus longtemps … C’est logique, et ce n’est même pas discutable, seuls les fous peuvent en douter …
C’est toujours le symptôme du déni philosophique : le recours à l’évidence (« Dieu a dit », « la science a prouvé que »).
Ne peut-on préférer utiliser notre gain de temps de vie (dans la mesure où ce gain statistique s’applique à notre cas !) à autre chose qu’à travailler ?
Est-il si certain qu’on ne peut sortir du déficit qu’en réduisant les dépenses sociales ?
Il existe évidemment d’autres choix possibles : discutons-les, acceptons l’incontournable dissension …
Si l’on en revient à l’écologisme (1er symptôme sémiologique : quand une idéologie – un choix philosophique et moral – se déguise en science en perdant le suffixe (« isme ») significatif pour se banaliser en « écologie » !), la question n’est pas de nier les effets destructeurs de l’humain sur son environnement ; mais de la replacer dans un contexte historique (le phénomène n’est pas nouveau !), politique (il y a plus urgent que respecter « la planète » : ce qui me choque – mais c’est ma position philosophique – dans le barrage géant chinois, ce n’est pas le risque écologique, c’est le mépris total de millions de personnes déplacées ; on voudrait que les décideurs se fassent agneaux pour le climat, tout en restant d’ignobles charognards pour les populations ?) et philosophique.
« Se priver » ne me paraît en rien un gage de vertu ni un espoir de justice. Prendre mon vélo (ce que j’aime à faire de temps en temps par ailleurs : mais je n’aimerais pas qu’un « commissaire du peuple » vienne m’obliger à le faire ; et la « société vertueuse » que certains appellent de leurs vœux, faite de transports en commun, me paraît une sacrée régression du plaisir de vivre) au lieu de ma voiture ne me paraît pas changer grand-chose à l’équilibre du monde, et relever plutôt du symbole, de la génuflexion conformiste, comme aller à la messe pour le catho ou jeûner tout le jour pour le musulman, entre deux saloperies …
Réfléchir aux conséquences, proposer des alternatives, recommander des choix : l’écologiste est là dans son rôle, tant qu’il me laisse ensuite décider de mes préférences, sans dramatiser le problème.
« Pour WWF, en 2030, nous aurons besoin de deux planètes pour survivre » : c’est typiquement la rhétorique qui essaie de faire peur pour imposer sa vision !
En 2030, personne, sauf Madame Soleil, Nostradamus et la Pythie de Delphes ne peut savoir de quoi nous aurons besoin. Ce futur est une imposture logique.
Et l’image de « deux planètes pour survivre » joue bien sur le registre sensationnaliste, le verbe « survivre » suscite bien ces images de SF post-apocalyptique …
Le problème, c’est pas 2030, c’est aujourd’hui ! Des millions de gens n’ont pas, dès maintenant (« dès hier ! » La famine, la malnutrition ne doivent rien aux dépravations supposées de notre monde moderne), de quoi « survivre », et des milliards sont des esclaves à peine déguisés …
Alors, les problèmes de la « biodiversité », dont je ne doute pas qu’ils existent, les préférences pour le bio, les techniques douces et les énergies propres (quel lexique symptomatique des fantasmes hygiénistes ! – « Bienvenue à Gattaca »), les « gestes pour la planète » et les « comportements écologiquement citoyens » apparaissent comme d’aimables préoccupations de nantis culpabilisés …

Ecologie et catastrophisme millénariste


« Pour WWF, en 2030, nous aurons besoin de deux planètes pour survivre"
« Pour assurer leurs besoins, les pays développés puisent chez leurs voisins du Sud, au détriment de la biodiversité, souligne le dernier rapport de (...) »

          Pas si simple, voire simpliste ... Il y a quelque chose des vieux fantasmes millénaristes, apocalyptiques, dans ces annonces spectaculaires, avec leur arrière-plan moralisateur ("malheur aux impies qui se consument dans les plaisirs !" On lit ça depuis la Bible ! (le fantasme de "Babylone", la pécheresse, condamnée à la destruction).
Ce genre d'avertissement (si tu n'es pas gentil, le croquemitaine viendra te prendre !) méconnaît au moins deux notions, et c'est ce qui rend si souvent l'écologisme si niais et peu crédible : d'une part, l'histoire montre que les sauts qualitatifs ont été le résultat de la confrontation à des obstacles majeurs : découverte de nouvelles énergies, de nouvelles terres (non, notre planète n'a rien d'unique !), de nouvelles organisations. Projeter dans le futur les modes de vie actuels a peu de sens. C'est la nécessité qui pousse l'homme à inventer de nouvelles solutions.
D'autre part, notre espèce n'est pas (et n'a jamais été) un gentil club d'humanistes compatissants. On s'est toujours piqué, entre nations, entre classes, entre voisins, ce que l'autre avait de mieux, de plus. Pas nouveau d'annexer les terres voisines : on peut le déplorer (mais l'angélisme est toujours suspect : "qui veut faire l'ange fait la bête", nous prévient Pascal ; qui veut méconnaître ses pulsions prédatrices les recouvre d'un manteau pudique et hypocrite), mais dans ce cas il faut chercher ce qu'il y a à changer, et non faire comme si nous étions de fait déjà solidaires. Pour le dire autrement, les solutions passent par le domaine politique, philosophique (en termes de rapports de force, de concurrence non seulement pour la survie mais aussi - surtout ? - pour le plaisir.) ça n'enlève rien à la validité de certaines mesures écologiques, à leur intérêt ; mais des solutions de pure gestion des problèmes sur le plan écologique aboutissent paradoxalement à des effets liberticides, au risque de ce qu'on a appelé 'l'intégrisme vert". Il y a à interdire aux autres leurs plaisirs "polluants" la même jouissance trouble que celle des pères la pudeur chrétiens, en des termes étrangement similaires ; la même fierté de supériorité morale ; et le même déni que la vie, surtout humaine, est intrinsèquement polluante et prédatrice ( "je vis donc je pète" pourrait être une belle devise). Ce qui n'interdit pas de réfléchir aux conséquences néfastes de nos plaisirs ; puis de négocier. Mais sans se cacher que c'est une négociation : mon plaisir (de fumer, de voyager, de bouffer, etc) sera toujours le déplaisir de quelqu'un, tout aussi estimable que moi, mais pas plus. Conduire un 4*4 ou bouffer de gros beefsteaks est peut-être finalement beaucoup moins "grave" (?), "condamnable" (?) que d'autres comportements plus écologiquement corrects ... Je redoute toutes les ligues de vertu. Que derrière tout ordre moral, quel qu'il soit, il y ait surtout l'Ordre.

samedi 17 mars 2012

SECESSION


Et comme des pirates, nous mutinerons le monde !
                                               Grand vaisseau craquelé, grand bordage voilé,
                                               il cassera les câbles et la raison carrée.
                                               Cagoule, ton visage me sourit dans le silence noir,
                                               Soyons les assassins de l'ordre
Qui nous ronge
Les fossoyeurs joyeux de l'urbanité rance.
Enlèvement des badines au sérail
Sécession générale !
Rêve à tous les étages et folies dans les rues,
Mort à la mort des âmes
Réveillons l'incoercible soif
L'inextinguible rut des images en action
Que se lève la houle, et franchisse les digues et se joue de                      nos précautions
sages qui formalisent d'ennui nos victoires piteuses ;
Pâle orgueil de nos richesses creuses ! De nos mains vides de leur trop plein
De nos peurs vaines de manquer
Nous manquons à nos rêves d'enfants oubliés,
Nous nous manquons à nous-mêmes et nous manquons l'ombre qui passe, et nous      
frôle,
rêve d'humain, songe d'un corps entr-aperçu sitôt effacé par l'oubli de plomb de        
nos
convenances respectueuses
respectueuses condoléances à la vie que nous avons craint de mener,
à son terme,
inaliénable,
D'irruption.
J'interrupte dans le Bon Sens irréfragable de vos dormissions.


La neige tomber




A cloche-pied. A tire-larigot, à qui mieux mieux.  A la queue leu leu, à la va comme je te pousse, à la hussarde.
Sotte caillette.
Il regardait la neige tomber à flocons.
Dans un sens immuable.
Comme un dais vertical.
Inutile et blanc, inutilement blanc. Floculence tourbillonneuse. Etait-ce pour qu'on en fît des comptines?
La neige n'est pas idiote à ce point.
Lui, était là, vertical. Debout devant cette fenêtre fermée, couverte d'un rideau de dentelle tout aussi inutile que la neige qui tombait dehors.
Il était vertical, et vide. Planté, à regarder cet instant qui coulait en brume blanche, sans fin. Derrière lui, peut-être, le tintement clair d'une cloche d'église, pour marquer cinq heures, ou bien six, le soir descend, il y a sûrement des gens qui se pressent, emmitouflés.
L'ombre l'enveloppe, commence à le dissoudre.
Mais tant qu'il y a ce blanc, devant, de l'autre côté de la vitre, il ne risque rien. Aucun souvenir ne l'assaille. Le village, qu'il ne voit pas, juste un ou deux murs voisins, biffés de poudre blanche, pourrait être une station de sports d'hiver. Ces endroits où on vient seulement faire du ski, et toutes les choses qui sont autour, il faut déjeuner copieusement avant d'aller skier, préparer à manger au retour du ski, après avoir fait des courses, les grosses chaussures cognent sur le caillebotis et encombrent le plancher devant le poêle.
Ce n'est pas son cas.
Il n'est pas là en vacances, avec son épouse, un ou deux enfants, et un couple d'amis, dans un chalet un peu juste pour tout ce monde, où il faut attendre  pour aller aux toilettes ou se laver les dents ; où les bruits résonnent, bien que chacun fasse attention, sauf les enfants, auxquels il faut sans cesse répéter de ne pas crier et de ne pas monter les escaliers en courant ; où c'est l'heure de l'apéro, le beauf du couple d' "amis" ( c'est sa femme qui a eu l'idée de les inviter ) prépare les verres et les bouteilles, ça passe le temps quand on n'a rien à se dire.
Juste lui et la neige qui descend.
Une petite vieille se dépêche pour attraper la messe de six heures, si on est samedi.
Les réverbères font un halo jaunâtre et solitaire.
Il fait tout à fait noir maintenant dans la pièce.
Il regarde juste la neige, qui tombe, à flocons.