samedi 9 novembre 2013

Homme assis au bord d'un rectangle de lumière



         Il n’aurait pas dû la faire monter.
Rumine. Bougon. Même pas barbu, non. Déjà vieux. Ronchon. Cloporte qui claudique entre quatre murs. Bientôt entre quatre planches.
Il fixe le rectangle de lumière sur le plancher.
Comme s’il cherchait à y apercevoir.
Quoi ?
Il ne sait pas. Il ne se rappelle pas.
Il l’a vue dans l’embrasure de sa porte. Elle attendait. Qui ? Pas lui, en tout cas. Elle ne lui a pas fait signe. Il l’a regardée, honteux quand même, ses gros seins dans l’échancrure de sa robe rouge, robe de stupre, souliers à talons ridicules sous ses gros mollets, il ne l’a pas trouvée belle.
Elle ne lui a pas plu. Elle le regardait approcher, mâchant son chewing-gum. C’est peut-être pour ça qu’il l’a accostée, qu’ils ont mécaniquement négocié la passe, si elle avait été belle, comme une femme qu’on rêve, comme une de ces créatures au cinéma, il n’aurait pas osé, peur qu’elle dérange l’ordonnancement de laideur de sa chambre.
Elle ronfle, les fesses à l’air. Ça ne leur a pas plu ni à l’un ni à l’autre.
Qu’est-ce qu’il va en faire, maintenant ? il croyait que les putes, leur ouvrage terminé, ça se rhabillait et ça filait en vitesse faire un autre client. En tout cas c’est comme ça qu’elles font dans les films.
Il va souvent au cinéma. Voir les putes, jamais. Qu’est-ce qui lui a pris ? Qu’est-ce qu’il croyait ?
Il est sorti comme ça, histoire de sortir, tout en sachant que ce serait pareil dehors que dedans, le même ennui, mais plus bruyant.
Il est parti s’acheter quelque chose à manger, une boîte, quelque chose, dans une épicerie, quelque part où il n’aurait pas à parler. Et c’est une pute qu’il a ramenée.
Elle dort et elle a le dessous des pieds sale. Elle prend tout le canapé ; il n’a nulle part ailleurs où s’assoir. Qu’est-ce qu’il va en faire ?
Il la regarde, de dos. Sa nuque. Il pourrait la tuer. Ce serait facile. Il y a un mince filet de vie qui glisse sous les vertèbres. Il suffirait d’appuyer, fort, un coup sec, peut-être avec les deux mains, et ce serait fini. C’est fragile, une vie, et ça ne sert à rien.
C’est une idée stupide. Ce serait pire. La foule, les cris, les curieux qui se presseraient sur le seuil, pour apercevoir un bout du spectacle effarant, un corps dont est sortie la vie, presque pas différent d’un corps vivant, mais pourtant définitivement dissemblable. C’est drôle comme on fait tout une histoire d’une vie, quand elle a cessé ; vivante, cette pute n’aurait intéressé personne ; lui non plus. Personne ; On fait semblant. Il y a les conventions, le simulacre du respect appris. Mais en réalité, rien.
Les flics. Il y aurait les flics et leurs questions, les gyrophares, tout ce bruit, toute cette agitation. Ce serait pire ; Les questions, une mitraille de questions. Les gens veulent comprendre, ils aiment croire qu’ils comprennent, ils exigent des réponses, des explications, s’imaginer qu’eux ne sont pas comme ça, qu’ils n’auraient pas fait ça, ils ont besoin de se fabriquer leur fable, que tout soit en ordre.
Il fixe le rectangle de lumière sur le sol et il ne discerne rien.

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