mardi 9 juillet 2024

R haine

 

La haine, elle est partout : caricaturale et bien visible chez ces tristes héritiers d’une idéologie mortifère, mais aussi virulente et fielleuse chez les « gens convenables », qui, au mépris de toute raison historique, essaient d’englober dans le même terme délirant d’ « extrêmes » le bord opposé, dont la tradition a toujours été de se battre contre les fascismes … Chez « ces gens-là », la haine et le mépris sont enrobés d’accusations doucereuses, d’un chantage méprisable « Nous ou le chaos », quand ils sont la matrice du chaos : souvent dans l’Histoire, et particulièrement en France, le peuple gronde quand on le violente : quand les inégalités et les injustices s’accroissent, quand la jouissance effrénée et inconséquente des fortunés qui se croient et s’octroient le droit de posséder aux dépens de tous les autres les condamnent au labeur abrutissant et sans fin.

La violence, elle est dans les salons dorés, dans ces officines feutrées où l’on décide froidement de la vie des gens à leur place : Macron, et tous ses suppôts, ses épigones et la foule de ceux qui collaborent pour maintenir l’ « ordre » bourgeois, est le père naturel de Bardella, son meilleur agent, sa cause première. Je crois que beaucoup de RNistes haïssent d’abord  la précarité qu’on leur impose : s’ils le font de manière imbécile, c’est parce qu'on les abreuve d’inepties sans que quiconque trouve à y redire : émissions de « divertissement » ineptes, destinés à en faire des citoyens dociles et des consommateurs zélés : la bourgeoisie « éclairée » préfère garder pour sa consommation exclusive la culture qui permet de s’affranchir des préjugés. Au peuple, le pain et les jeux, pour que l’Empereur et sa Cour règnent en paix. On récolte ce qu’on sème.

Ce qui est terrifiant, c’est que les dominants ne tirent aucune leçon de leurs erreurs : le Prince capricieux ne se soucie plus que de tourner à son avantage la pagaïe qu’il a déclenchée ! On s’apprête à continuer comme avant, les « élites », soulagées, se réjouissent de ce que ça n’a pas encore été pour cette fois. Ils retournent à leurs jouissances cyniques, heureux de ne pas avoir à craindre le moindre infléchissement de leur train de vie : « profitons, tant que ça dure … »

lundi 1 juillet 2024

Le Visage

 

L’essentiel, c’est ton visage. Il est là, devant mes yeux, depuis les temps immémoriaux. Devant ma perplexité. L’horizon de mon désir. La défaite de mon voyage, incommencé.

Ton visage, contrepoint de ma conscience. Reproche, regret, souvenir, esquisse des possibles, fin des temps.

Je n’ai pas eu envie de participer. A quoi bon ? Le bal m’a paru surfait. Les costumes, des impostures. Entre dans la danse ? Si tu m’y avais invité, peut-être.

Le monde a fini sans commencer.

Je porte en moi ton éternel visage. Comme un soleil immobile au centre d’un ciel immarcescible. Seul être au monde. Seul rivage, seul océan.

Ton visage est mon énigme. Des yeux d’avant. Le temps n’a plus coulé. A quoi bon ? Fiché pour toujours sur la pointe d’un moment.

Il reste à feindre. Toucher, du bout des lèvres, les mets du banquet insipide. Envisager : feindre de croire à ces visages qui s’adressent à moi en silence, leurs lèvres remuent, sans aucun  son. Prendre part, du bout des doigts, à la suite de l’histoire.

Acquiescer, répondre, donner un avis sans importance. Quand s’arrête l’histoire qui n’a pas commencé ?

Voisins

 

                                                                               Voisins

 

87 –

 J’habite dans un cimetière. Une impasse, on ne peut pas mieux dire. Même les peupliers qui lui donnent son nom sont en fin de vie, ils ont largement dépassé la longévité de l’espèce : il faudra les abattre.

Même chose pour les voisins, en ce qui concerne les dépassements de longévité, du moins. En face, c’est Clinton (mes filles lui trouvent une ressemblance) : aimable, discret, la démarche titubante. Maniaque de la taille de ses haies (ils ont tous choppé la maladie, dans le coin), c’est nickel, mais c’est joli, c’est fleuri.

A gauche, les Chtis. Eux, ont ratiboisé leur parcelle : ils n’aiment pas les feuilles. Dommage d’être venus habiter dans une ancienne pépinière.

 

52 –

 Au début, j’ai pensé que ce serait sympa. Une petite impasse proprette, ça allait nous changer de la frénésie parisienne. La France profonde au soleil. Les voisins nous ont accueillis aimablement. Au début. Le type à côté de chez nous a la tête de Clinton. C’est un maniaque souriant de la taille des haies. Clic-clac, on l’entend avant de le voir. Son jardin est impeccable, on va pas se plaindre. Mais, comme dit Marion, une nuit on va se le retrouver dans la chambre : Clac-clac.

Tout le contraire du fou-furieux d’en face. Chez lui, c’est Bornéo. Il doit tondre une fois tous les huit ans, ses haies partent à l’assaut des maisons voisines. Aimable, au demeurant, quand on l’aperçoit : retraité actif, il remonte sur Paris la moitié du temps. Qu’il dit. On sera peut-être  surpris un jour de découvrir ses réelles activités.

Entre les deux, la maison des Chtis ferme l’impasse. Grosse maison, grosse voiture, le bonjour bourru et épisodique. Il faut dire qu’ils ne supportent pas les feuilles qui tombent, les branches qui dépassent, les haies qui grimpent : chez eux, ils ont tout ratiboisé. Avec le retraité intermittent, ils sont servis.

vendredi 7 juin 2024

Les "addictions" sont les loisirs des autres

 

Il me semble que cette analyse biaise subrepticement son propos, en se fondant, sans l’expliciter, sur des a priori moraux. (Article de Bertrand Cochard, dans The Conversation, 6 juin 2024 : 

https://theconversation.com/pourquoi-les-series-sont-elles-devenues-notre-passe-temps-favori-231087

L’idée que l’humain ait besoin d’ « agir » pour échapper à un insupportable vertige de néant, c’est ce que Pascal nommait déjà « divertissement » : ce qui nous détourne de l’horreur de nous savoir mortels, de nos frustrations, de la conscience de la futilité de nos efforts.

Le terme englobe aussi bien le travail que les « loisirs », liant dans une même fonction anesthésiante la traditionnelle opposition entre « otium » et « nec otium ». Le risque de l’Ennui (« Qui dans un bâillement avalerait le monde », selon Baudelaire) a toujours menacé les classes oisives, que l’on pense au Seigneur Pococurante dans le Candide de Voltaire, ou à Madame Bovary. Ce « privilège » s’est étendu à d’autres classes à mesure que diminuait le temps de travail.

Qu’est-ce qui différencierait les Séries des autres stratégies pour occuper ce temps libre ?

On observe une propension à un emploi implicitement moralisateur du terme « addiction » employé hors de son domaine de pertinence, la physiologie : désormais (et naguère, sous des termes similaires : dans les années 70, on était simplement « drogué » par les écrans : la récente anglicisation du concept lui apportant un opportun gain de « scientificité »), c’est par cette étiquette dévalorisante, mais dissimulée derrière un semblant d’ « objectivité scientifique », que l’on désigne … les loisirs des autres ! (quand ils nous paraissent sans intérêt, saugrenus).

Il y aurait les façons légitimes, « saines », « utiles » (productives !) de passer son temps, et les lubies, polluées et polluantes, astreintes aux mécanismes de l’ « addiction » : forcément pathologiques.                             Deux catégories antagoniques, les « bonnes » et les « mauvaises », que le curseur moral de celui qui les énonce placera ici plutôt que là. Selon la doxa, le travail, la pratique d’un sport, d’un art, d’une responsabilité politique ou associative : activités salutaires, bien sûr, à encourager. A la rigueur, on suspectera la présence d’une « addiction » qu’en cas « d’excès », chez le « work-addict », par exemple : 40 heures par semaine, rien de plus normal, souhaitable, estimable, mais au-delà de … de combien d’heures, au fait, de quel seuil fixé par qui, en fonction de quels critères ?

Le passionné de lecture, du jeu d’échecs, de danse, de pratique instrumentale … est un passionné. Une personne cultivée, un artiste. Un passionné « des écrans » est un addict. Sans qu’on cherche particulièrement à le démontrer, il « perd son temps », contre sa propre volonté, et sans profit pour personne. Vision singulièrement autocentrée. Il ne s’agit pas de nier que « passer tout son temps » à travailler sa maîtrise du Clavier Bien tempéré ou à sillonner les chemins de randonnée puissent paraître plus « utile aux autres » ou « épanouissant » pour soi-même que le visionnage de trente épisodes d’une série : mais à qui revient-il d’en juger, selon quels critères, établis selon quelles finalités ? Qui serait à même de décider, sans suspicion d’égocentrisme arbitraire, ou d’utilitarisme social (méfions-nous des hygiénismes, qui viendraient nous dicter, à grands coups d’ « observations » et d’ « études »  forcément irréfutables, ce que serait une « bonne vie » : le discours de la science est souvent utilisé aujourd'hui comme l’était jadis celui de la religion : une position d’autorité dont on remet pas en cause les choix non dits), quelles activités méritent notre temps, et lesquelles il faudrait reléguer comme toxiques.

On ne peut discréditer une pratique, au regard qu’elle constituerait une « perte de temps », une façon de l’employer plus « vide » qu’une autre, sans expliciter d’abord les critères moraux, philosophiques, idéologiques qui ont présidé à ce tri (bien souvent, sans même que nous en ayons été même conscients, modelés par les croyances collectives ou les apparentes « évidences » : l’ « utilité » du sport, ou ses « bienfaits », vraiment ?).

La question posée garde tout son sens, et son intérêt, relativisée à ces préalables : qu’est-ce qui ferait la spécificité des séries dans l’engouement fréquent (mais pas universel) qu’elles suscitent comme façon de passer le temps ? Mais l’objet de l’étude est-il constitué, fondé, pertinent ? Existe-t-il un loisir qui serait « regarder une série », dont on pourrait étudier les caractéristiques quelle que soit la série, et qu’on pourrait opposer aux autres modalités du « divertissement » (otium et nec otium confondus) ? De même que, se plonger dans La Comédie Humaine et dévorer la « Chick lit » (cette nouvelle « addiction » d’un lectorat bien particulier), est-ce également lire ? Peut-on, et doit-on englober sous le même terme, selon des critères seulement formels, faisant l’impasse sur des données qualitatives (cet angle mort des approches « scientifiques »), bien malaisées à objectiver, mais néanmoins déterminantes, des activités qui semblent procéder de la même liturgie, mais mobilisent en réalité des fonctions cognitives bien différentes ?

Il me semble possible que le visionnage de telle série soit plus à rapprocher de la lecture de tel type d’œuvres littéraires, en termes de processus intellectuels et esthétiques engagés, et donc de motivations, que celui de telle autre ; qu’il n’y ait pas de spécificité intrinsèque, de cohérence pertinente à tel « genre » de loisir constitué sur des apparences formelles : la « lecture », les « jeux vidéos », les « programmes télé » : nous risquons d’opérer des apparentements illégitimes en isolant le support matériel plutôt que les processus mentaux qu’ils permettent.

Il est possible que, en fait, des personnes différentes en train de regarder des séries ne soient pas en train de faire la même chose …