Elle s’est pointée avec un bon quart d’heure de retard. Ça commençait d’enfer. Gainée dans un fourreau blanc, sandales dorées, bandeau en faux diamants sur sa chevelure blonde : les Marocains allaient adorer. Sa valise roulante, hérissée d’étiquettes multicolores, faisait un bruit terrible, tous les passagers se retournaient sur son passage. « Impulsive, fantaisiste, imprévisible », disait sa fiche : au moins, là-dessus, elle n’avait pas triché.
C’est toujours compliqué de partir en couple en vacances. Surtout quand on est célibataire. Je m’étais dit : avec une inconnue, on s’attend à rien. J’avais trouvé l’idée rigolote. Un peu moins, depuis que l’heure limite d’embarquement approchait.
« Salut, ça va, je ne vous ai pas trop fait attendre ? J’ai horreur de me stresser. Surtout en vacances ! »
Sourire radieux, bises embarrassées, bouffée de parfum vanillé : j’avais gagné la poupée Barbie. Je me demandais si c’était une chance.
Deuxième salve de sourire, « On y va ? », on aurait pu croire que c’était moi le retardataire, je commençais à piger le principe : une phrase, un sourire. Ça me changeait des dépressives.
Litanie fastidieuse des rites d’accès à l’avion. File qui piétine. Je lui jetais de petits coups d’œil à la dérobée : c’est vrai qu’elle était jolie. Documents plein les mains, qu’on a peur de perdre. Contrôle suspicieux des hôtesses, validé par un sourire : est-ce que c’était une épidémie ? Un conseil exprès de magazines féminins ? Ou Marjorie était-elle hôtesse ? Sa fiche ne le précisait pas. Nous n’avions pas beaucoup échangé. J’en avais ma claque des présentations interminables, succession de mails vagues entrelardés de demi-mensonges, puis de rendez-vous en terrasse pendant deux ou trois semaines, débouchant au mieux sur le resto ou la balade décisifs, ne débouchant le plus souvent, eux, sur rien. Et rebelote, profil suivant. Il fallait s’y résigner : en général, on ne se plaisait pas. Les gens ne sont pas faits pour se plaire. Trop sérieuse, trop fofolle, pas assez jolie, trop exigeante. Autant garder au moins le souvenir d’un agréable voyage. On s’était mis d’accord sur Agadir. Surtout elle : je craignais une réserve touristique dénuée de charme. On pourrait toujours se baigner.
L’hôtel était un peu au-dessus de mes moyens. Nettement au-dessus, même. Mais pas le moment de passer pour un radin.
Et la chambre ? Il y avait le problème de la chambre. Sans se connaître, une pour deux était sans doute prématuré. Deux chambres séparées, pas génial pour faire fondre la glace. Et encore plus cher.
On avait tenté la chambre pour deux. « Je vous fais confiance. Vous savez vous tenir ? ». Je me demandais si je saurais me tenir. On peut résister à tout, sauf à la tentation. J’avais dit oui.
***
Comment je vais lui tourner ça ?
« Marjorie ». Non. Un peu sec. On a quand même eu des chouettes moments.
« Ma chère Marjorie ». « Ma chérie » aurait été l’idéal, mais ça s’était pas passé comme ça. Et si ça avait été le cas, je n’aurais pas eu besoin de lui écrire cette lettre. Pas avec le même contenu.
« Chère Marjorie,
Ces trois jours ont été super. »
C’est vrai. C’est une chouette fille, finalement. Je vais garder ça. «Tu es vraiment une chouette fille. La plage, les cocktails, les balades. Ce que tu m’as raconté de toi. Tes complexes, au collège, sur ton physique, c’est dingue ! Jamais j’aurais imaginé. Etant donné la femme magnifique que tu es devenue. Je ne cherche pas à te flatter : tu le sais, tu es une belle femme. Une très belle femme, même. J’ai vu les regards des mecs, sur la plage, ou la piste de danse. Sur toi, l’œil assoiffé de types perdus dans le désert, qui auraient trouvé une source. Et sur moi, celui qu’on adresse au salaud qui a mis des barbelés autour de la source. Forcément, ils ont cru que … J’ai joué le jeu (merde, j’ai failli écrire « joui » !), tout le monde nous croyait en couple, j’ai joué le mec chanceux, et toutes les nanas se demandaient quel talent caché je pouvais avoir pour que tu m’aies choisi. Non, ne proteste pas : c’est comme ça. Sauf exceptions, les très belles choisissent des très beaux (ou des très friqués, ou très célèbres : je ne suis rien de tout ça.) Tu m’avais demandé (tu te souviens ?) si je saurais me tenir. C’est pas ça, le problème. C’est que je n’y tiens plus. Trois nuits à dormir à tes côtés comme si on était des copains d’enfance, c’est au-dessus de mes capacités.
Je préfère rentrer. Garde la chambre, profite du séjour. Je te fais confiance pour ne pas rester seule très longtemps.
C’est, je ne dis pas sans regrets, mais sans rancune. Ça a été une chouette expérience, malgré tout. Vraiment. Mais les contes et la réalité, c’est pas les mêmes scénarios.
Heureux de t’avoir connue. »
Franck.