lundi 29 octobre 2018

Fascisme au Brésil : la "démocratie" en question


Cette élection, qui porte au pouvoir des bonshommes aux valeurs ouvertement fascistes (racisme, sexisme, homophobie, etc), a au moins un mérite : elle illustre la nécessité de redéfinir la notion de démocratie, qui ne peut se limiter à la pratique d'un vote à scrutin majoritaire (portant au pouvoir un peu partout : Turquie, Russie, Hongrie, Italie, Etats-Unis ... des types agressifs, autoritaires et intolérants.)

L'exemple algérien, qui me paraît sensé (invalider les élections pour barrer la route aux islamistes), illustre ma remarque : un vote majoritaire (ou, en fait, celui de la plus grande minorité) ne constitue pas une garantie de démocratie. (de ses valeurs, telles qu'elles figurent par exemple dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme).
Il est dangereux de sanctifier, figer la définition d'un concept, même au prétexte qu'il est effectivement également dangereux de le faire évoluer. Méfions-nous que "notre" définition de la démocratie, et de ses supposés adversaires, ne soit que la traduction de nos intérêts, personnels et de classe. La "bourgeoisie" s'est jusqu'ici très bien satisfaite de sa définition de démocratie bourgeoise (c'est-à-dire qui repose sur les principes de la propriété privée, de sa transmission héréditaire, de la compétition entre les individus pour l'accès aux moyens de subsistance ...), mais ce simulacre (où ne sont possibles ni égalité, ni fraternité, ni donc liberté) est à bout de souffle : tous ceux qui sont exclus du jeu par les règles fixées par ceux qu'elles arrangent ont de moins en moins envie de "jouer" ... Retour à la case 89 (17..), quand la noblesse ne voyait pas de raison de changer un système qui établissait ses Privilèges ... Ce que l'intelligence ne résout pas, la violence s'en occupe ...

Techniquement, nos sociétés sont des oligarchies : les décisions y sont prises par les minorités qui détiennent le plus de richesses.
C’est la question de ce qui fait société, qui se pose, du « vivre ensemble » comme il est à la mode de dire. Il est facile de mettre en évidence le système que nous subissons :

Imaginons une famille, ou un groupe d’amis, qui part ensemble en vacances. Et que, pour se répartir les chambres, l’un dise : « puisque mon grand-père avait tel métier, je prends la plus confortable » ; qu’un autre ajoute : « moi, j’ai fait plus d’études, donc je prends la 2e. » Le troisième « ami » doit se contenter du canapé du salon, bien qu’il y ait encore deux chambres libres, mais « elles sont » à « l’ami n°1 ». Le 4e devra dormir dehors (il a la peau plus foncée, ne connaît pas par cœur la Table Périodique des Eléments, et son arrière-grand-père était étranger).
Pour les repas, les deux premiers partagent force victuailles, le 3e se contente d’un vague sandwich, le 4e mange un jour sur deux. Et tout à l’avenant, en ce qui concerne l’accès aux sanitaires, aux loisirs (le 4e doit porter le sac du 1er, mais ne bénéficiera évidemment de ce qu’il contient).



Peu importe qu’on trouve cela « juste » (qu’on le « justifie ») ou non. Ça ne peut pas marcher.
Les deux avantagés pourront protester de toute leur amitié aux deux autres, de l’affection qu’ils éprouvent pour eux, de leur estime et respect … il vient un moment où ceux qui sont lésés par cet « arrangement » vont se mettre à râler …

Il vient un moment où il faut redéfinir les règles du jeu, du vivre ensemble, de la répartition des richesses, de la prise des décisions. Et peu importe le nom qu’on donne au système. Il vient un moment où c’est la réalité qui prime, pas les « éléments de langage ».


lundi 24 septembre 2018

Enquête (policière)




Une homicide.
Un homicide.
Non, c’est une femme qui a été tuée.
Alors, ne dis pas « homicide ». C’est un fémicide.
Une fémicide !
Ils se rendent sur les lieux.
Sous le pin pousse la ronce. En silence.
Comment tu t’appelles ?
Je m’appelle Victor.
Me llamo Victor.
Ben non, c’est marqué Anne-Louise.
Oui, mais tu m’as demandé comment je m’appelle.
Anne-Louise, c’est comment mes parents m’ont appelé. Et m’appellent. Et mes anciens camarades.
Autobus tonnerre.
Comment ?
Hein ?
Avec le boucan du bus, j’ai pas entendu la fin de ta phrase.
Je dis que si c’est pour savoir comment les autres m’appellent, ne me demande pas comment je m’appelle. Moi, là, maintenant, soussigné sain de corps et d’esprit, je m’appelle Victor. Ne serait-il pas aberrant que, pour désigner notre être changeant, divers, multiple, nous nous limitions à un nom unique, toujours le même ?
Sérénade en forêt.
Il y avait longtemps que ces deux-là faisaient équipe.
Pitre et Mitre, on les appelait. Un  sacré duo.
Mirage.
A la surface du lac asséché l’air ondoyait.
Tout au fond, des montagnes rouges, et le soleil presque couchant, une bande bleu acier encore entre les deux.
Rime et rire. On connaît les causes de la mort ?
Ils se regardèrent ; la même pensée.
Depuis le temps, la cause de la mort, on n’en savait toujours rien. Est-ce que c’est la vie qui cause la mort ? En quelque sorte. Ou l’absence de vie. Est-ce que c’est à force de ne pas s’en servir, de la vie, qu’elle finit par s’échapper du corps ? Ou est-ce que c’est une substance qui s’épuise, peu à peu, comme un gaz combustible.
Mère et prisme. Moire déversée. Mine défaite, torrent, ou cascade.
Vous êtes allés vous balader, ce week-end ?
Elle aimait bien qu’il lui donne quelques échos de sa petite vie de famille.
Mais Victor, c’est un nom d’homme.
Et pourquoi une femme pourrait pas avoir un nom d’homme ? Les noms, aussi, il vous les faut, rien qu’à vous ?
Il trouva une place où se garer, devant l’immeuble tout délabré.
Le sort et la poire, le soir et la poisse.

dimanche 23 septembre 2018

les tablettes d'argile



                        Je ne l’ai pas encore dit
-       Ça m’étonnerait !
-       Non, pas encore.
-       Depuis combien de temps ?
-       Combien de temps quoi … ?
-       Tu parles. Tu nous parles. Tu écris. Tu bafouilles. Tu baragouines. Tu marmonnes, tu griffes. Les parois des roches. Les arbres.
-       Ce n’est pas moi.
-       Tu crois que je ne t’ai pas vu ?
-       Admettons.
-       Et tu n’as pas fini ? Pas encore fini ? C’est sans fin.
-       L’homme bredouille.
-       C’est ça, bredouille, tu ne prends rien dans tes filets. Tu ne captes rien. Pas la lumière. Pas ce qu’il y a au-dedans de la lumière. Alors à quoi bon ? Tu ne vas pas admettre qu’ils n’ont pas envie de t’entendre ? Depuis le temps que tu t’acharnes. Regarde-les, ils ne t’écoutent pas.
-       C’est vrai.
-       Tu le vois, maintenant ?
-       Je l’ai toujours vu. Je l’ai toujours su, que c’était en vain, que je gravais ces tablettes d’argile, ces tablettes de cire, ces papyrus, ces parchemins, pour rien. C’était plus fort que moi. Un spasme. Un  spasme dans la main, dans la gorge, dans tout le corps, dans toute l’âme, comme ces étoiles trop loin vers qui nous tendons les doigts, aveugles nous regardons, on ne sait pas quoi.
-       Arrête.
-       Arrêter quoi ?
-       D’écrire. De penser. Le rêve. De vouloir. Est-ce que la nuit sera plus claire ?
-       Je ne sais pas.
-       Il ne sait pas. Ecoutez-le, avec sa prétention, sa contrition d’orgueil blessé, il clame, il ne sait rien et il beugle comme un veau qui s’imagine que ça va retarder le moment de l’abattoir !
-       Tais-toi. Pourquoi me dis-tu tout ça ? Tu crois que je ne savais pas ? Toutes ces heures, ces milliers de pages, ces millions de bibliothèques, que j’ai remplies, comme on cueille l’eau entre ses doigts écartés, et il n’en reste qu’un peu de fraîcheur humide sur la peau. Toutes ces conférences ? tous ces préceptes. Il fallait, c’est tout. Parce que je suis l’homme qui écrit, comme il y a l’homme qui court, ou l’homme qui regarde le matin. Parce qu'il y a toutes ces aubes, chaque matin, et toutes ces nuits ensuite, et qu’il faut bien que quelqu'un les dise.
-       Est-ce qu’il n’y aurait pas d’aube, si tu ne les écrivais pas ? Ou moins de nuit ?
-       Regarde. Elle arrive.
-       Qui ça ?
-       La nuit.
-       Et alors ?
-       Est-ce que tu n’entends pas, ces voix qui se lèvent de la nuit ? Est-ce qu’elles ne vont pas croître, et enfler et grandir, et former un tumulte insupportable, si on n’écrit pas ? On écrit pour ne plus les entendre, pour qu’elles se taisent. On écrit pour se taire. Pour que le corps se liquéfie en paroles, pour que les paroles se mettent à rouler les unes après les autres, et rattrapent la rotation de la Terre, et se mêlent au chant des étoiles.
-       Tu délires !
-       Je délivre. Tu vois, quand je me mets à écrire, à parler, à jacasser, à cocoricoter, à braire, à coucouter, je cesse.
-       Tu remplis la nuit de ton tumulte.
-       Je la griffe. Je strie les ténèbres, de tous mes signes, de tous …
-       Et ça te fait du bien ?
-       Ça m’endort. Ça me berce. Comme le glissement d’une rivière.
-       Piteux. Tu es piteux. Mais continue, si ça t’amuse. Je ne pensais pas que tu comprendrais.
-       Le nom du jour, le vrai nom de la lumière, je ne l’ai pas encore dit