jeudi 8 avril 2021

et la danse et la fête

 

C’est la fête au village, c’est la fête. La foule danse et tangue, c’est la fête et les corps,

Les corps se frôlent, et se croisent, et s’éloignent,

Et les trognes

De rires

Se festoient.

De rires, ô damoiselles, de rires, ont tous 20 ans, les villageois, nos souvenirs ont tous 20 ans quand ils se croisent.

C’est chaos, c’est langueur, c’est attente, le feu aux joues et les désirs qui flambent, feu de paille, danse, danse, danse le tournoiement l’oubli des jours

Qui se traînent

Les corps se gavent et se remplissent

C’est bombance, ce soir, dans la salle pleine

Les boissons, les appels

S’appellent,

Les regards

Se croisent

Ce soir

C’est la fête au village, silencieuse, en les corps chauffés de nourritures

Ils ne savent plus qui les a invités,

Pourquoi, ne savent plus la vie qu’ils mènent, la nourriture dans les ventres, les boissons dans les gosiers, ils se réchauffent l’âme aux feux du groupe

La foule est une, elle a oublié

Les vieux discords, les mésententes, envies et racontars,

La foule est une,

Ce soir.

C’est la fête au village, demain est loin,

Hier, oublié

C’est le temps d’une pause, une trêve dans la rivière qui emporte

Vers la mort

Ou on ne sait quoi

Chanter,

Ensemble, frapper dans les mains,

Trépigner des pieds,

Saluer les plats qu’on apporte, comme si bombance devenait éternelle,

Que la fête immuable

Que la table commune,

Rêve de paix

Et les mendiants honnis,

Hors les murs

Accroupis

Dans la misère qui n’a pas de place

A la table commune

On ne veut pas voir les désordres du monde

Le froid laissé dehors, ce qui peine, ce qu’on craint,

Comme des loups mais loin

Ils sont aux abords du village, mais pas ce soir

Ce soir,

C’est la fête au village

Et j’oublie ton absence, c’est la fête, la fête

Et je marche, par les prés, dans les arbres je cueille des nids, des fruits, et des fleurs parmi les herbes

Paisible est le village,

Après la fête,

Je vais,

Par les champs et les prés

Au hasard de mes pas, dans la forêt

Je ne sais plus qui me parle,

Un oiseau qui m’appelle, l’éclat d’une corolle, un oiseau dans le ciel, une flûte qui trille,

Des talus, et l’ombre où s’allonger.

Le monde est un ruisseau

Qui somnole

Une fraîcheur,

Alanguie, comme une femme offerte

Et je rêve, et je dors

Et c’est la fête, loin du village,

La danse

Des libellules

Et des scarabées d’or

Le cerf passe une tête, entre les branches, coiffée de bois,

Et c’est la danse

Qui reprend

Jamais ne cesse,

Le carrousel des fous

La vie comme une danse

Qui festoie

Jamais ne cesse,

La vie

La danse

Tournoient,

Aimables et rieurs,

Oublieux des misères

Seule la folie

De ceux qui rient ensemble

Et font les pas, les entrechats

Chacun rit sa commère chacun cherche son chat

C’est la fête, la fête, la fête

Au village.

lundi 5 avril 2021

Contemplation

 

Comme un chemin d’amour, qui monte, saisissant, entre deux collines blanches : la forêt, mystère impénétrable, qui invite à s’y perdre. Mon nez  tout près de ton buisson, ardent, fournaise des sens. Doux fils noirs entremêlés, qui jettent une ombre tendre sur le sentier suave, en son cœur le temple de l’Incarnation. Ou forêt tempétueuse, boule orageuse de poils drus. Ou pluie dorée nacrant une chair pâle. Il est des mystères sucrés qui appellent l’initié à la célébration des rêves. Pluie brûlante de boucles rousses. Je vous contemple dans le vertige de votre vérité. Se perdre dans l’infini de cet espace minuscule, où s’oublie tout ce que je ne sais pas de vous. A quoi bon paroles ? Ici, pas de mensonges. Pas de serments. Pas de promesses. La vérité simple des sens. Nous n’avons pas de nom. Pas d’histoire à mentir. Chacun livré à l’immédiat de la sensation. C’est le cœur de la rencontre. Vous n’avez pas d’autre visage. Que cette paix sauvage du creux de vous. Votre vraie chevelure. L’autre, celle d’en haut, n’est qu’un phare pour guider le voyage. Un appel. Un avant-goût, de ce qui se cache pour que l’élu le découvre. Non l’Origine du monde, mais sa signification. Son essence, miraculeuse. S’approcher, religieusement, de la Sainte vallée. Contempler, ébloui, rassasié, ce qui hante les hommes, Toison d’or ou d’ébène de toutes les quêtes. Il n’est point d’autre voyage. Tous ne sont que les subterfuges à celui-ci. Parvenir à destination, se recueillir, à l’orée de la grotte souveraine. Rêver d’en explorer les crêtes, comme le premier explorateur d’une nouvelle planète. Ne pas désirer d’autres horizons. Toute l’existence est dans cette arrivée à la Terre souvent promise, entraperçue dans les brouillards volages, incertains, perdue soudain, le voyageur se perd, doute du but à atteindre, qu’il y parvienne. S’il persévère, opiniâtre, si lui est accordée la faveur sainte, il gagne enfin le rivage enchanté, la paix des herbes accueillantes. D’abord, il se recueille. Alors, toutes ses identités déposées sur le seuil, il commence le nouveau voyage. Il écarte les mèches brunes, rousses ou dorées.

mardi 9 février 2021

La nuit volée

 

Elle cesse. Elle s’abandonne. A la nuit qui descend. Pénombre. Le monde se voile. Elle ne discerne plus. Ce monde obscur dont la réalité vacille, effacé. Plus tangible. Elle s’allonge. L’éclat dehors d’un réverbère. Une bougie rougeâtre, comme un fanal incertain. Perdus de vue, les autres. Absents. Peut-être l’ont-ils toujours été. Elle s’engourdit, elle s’assoupit. Du fond d’aileurs surgissent des images. Des visages. Des pièces, inconnues. Oubliées, de son enfance. Elle ne sait plus si elle a eu une enfance. Probablement. Elle est suspendue entre deux temps. Cône vertigineux. Quelques voix. Indistinctes. Elle ne sait plus. C’était un été, probablement près de la plage, c’est arrivé, c’est tout. Il y avait des oncles et des enfants, galopant entre les jupes des femmes. L’apéritif se prépare, on cause, elle ne fait pas attention. Elle est allée se reposer dans une chambre. Elle n’a pas envie d’être avec les autres, trop de soleil, trop de bruit, le bruit des voix. Elle entend la porte s’ouvrir, une ombre qui s’est faufilée, elle n’est plus seule. Mais elle n’ouvre pas les yeux. Elle sent le contact d’une main. Sur sa cuisse. Elle a 16 ans. Mais elle n’ouvre pas les yeux. Tout se brouille. 16 ans pour toujours.

L’ombre est épaisse, maintenant. Elle a avalé tous les objets dans la pièce. Ça ne marche plus, le temps. Toutes les nuits depuis ce jour-là, ça ne marche plus. Peut-être aurait-elle dû ouvrir les yeux. Voir. Qu’est-ce que ça aurait changé. La nuit volée. Tous les jours après ses 16 ans. Elle est encore dans cette chambre, elle est ici, maintenant, mais aussi dans la chambre, avec l’ombre, qui la dépèce. Méticuleusement. On entend les enfants, dans le salon, qui crient, une voix les gronde, des bruits de verres qui trinquent.

Ça fait comme des herbes, au bord de la plage, des herbes pour se cacher. Entre les herbes regarder les baigneurs qui vont et qui viennent, le miroitement aveuglant de la mer, ils ne la voient pas. Elle garde la tête baissée entre les herbes, qui la cachent.

Elle n’a pas dormi. La tâche du réverbère s’est élargie, une lueur blanchâtre qui se répand sur toute la fenêtre, à l’assaut du dedans. Le retour de la lumière, sans penser elle s’habille et va travailler, elle croise des gens et fait ce qu’elle a à faire, ils lui sourient sans la voir, ils lui parlent, elle leur répond sans entendre ce qu’elle dit. Elle ne dit rien, peut-être. Elle les quitte, revient dans la pièce, nourrit son corps, regarde des silhouettes s’agiter sur l’écran, elle ne met pas le son. Elle reste longtemps à les fixer, comme si elles avaient quelque chose à lui raconter.

Elle sent dehors la nuit se rapprocher, descendre comme un voile, avaler la lumière, elle éteint la télé, elle se laisse prendre, emporter, glisser dans la pénombre, se dissoudre, ses yeux fixent la nuit comme s’ils voyaient. La nuit la vide. Les images reviennent. Le film passe en boucle.

mardi 12 janvier 2021

L'Expérience

 

L’Un est multiple.

La poussière sur le chemin.

Sur cette pierre, je bâtirai une église.

La poussière et le chemin.

Au commencement. Au firmament.

Sur ton sein remémoré. Dans ta substance.

L’expérience est multiple.

Le son.

L’immobilité du son.

Transperce l’espace.

Le devenir.

Nous deviendrons poussière.

Amas de matière, incertaine, chancelante, nous devenons.

Immobiles. Suspects. Accrochés comme à des branches. Suspendus les uns aux autres.

De l’autre côté, nous nous apercevons.

Nous faisons signe.

Aux yeux aveugles.

A la destinée que nous lisons dans les traces.

Est-ce possible.

Je ne suis pas sûr.

Je ne suis sûr de rien.

Est-ce possible ?

Ils marchent comme des ombres. Vêtus d’amples robes de coton. Noires et rouges, grises, ou brunes.

Ils se rendent à la source, croient-ils.

Je n’en connais aucun.

Pas de son. Aucun son ne sort des lèvres entrouvertes. Ils essaient de parler. On voit leurs lèvres bouger.

Tes lèvres rouges. La salvation de ta chair ivoire. La source première.

Ce serait un peu simple.

La poussière sur le chemin.

Il fait un soleil souverain. Atteindre l’autre rive. Est-ce possible ?

Il faut renoncer à croire. Et ça devient plus supportable.

Nous étions dans une cage. Chacun. Les cages se sont ouvertes (comme tes lèvres, et j’y ai vu l’horizon).

Hésitants, apeurés, nous sommes sortis. Nous nous sommes mis à marcher. Certains ont pris la direction.

La direction de quoi.

Les autres les ont suivis.

La direction de la lumière.

Sans savoir.

Ce pouvait être là ou ailleurs.

Dans ma cage. J’y suis resté le dernier.

Je ne crois pas aux foules qui avancent, mais je vous ai suivis, sans savoir, votre marche lente, comme des ombres.

La poussière du chemin.

Quelques-uns se sont écroulés de fatigue. D’épuisement. De ne pas savoir. Sans un mot, sans une prière, à quoi bon, le soleil implacable au-dessus.

J’ai dit : « il faudrait que nous disions. »

Quelques têtes se sont tournées vers moi. Leurs regards morts. Mes mots inaudibles.

Qu’importe, dit leur marche, tout ce que nous avons à faire est d’avancer.

Je n’avais pas envie de crier.

J’aurais crié vers toi, si je t’avais aperçue, tes lèvres rouges, mais tu avais disparu, tu avais disparu de mon souvenir, de toi je ne conservais plus que le doute de ton existence.

Si seulement. Si nous avions pu. Si nous avions su. Si nous avions été capables. De nous rejoindre. De part et d’autre du chemin. Si nous avions quitté la poussière. Nous aurions traversé les champs, serions entré dans la couleur de l’herbe, aurions trouvé le vert, les fleurs qui chantent, les insectes qui dansent, nous serions entrés dans la forêt, trouvé la source douce, et nous nous serions allongés, comme frère et sœur d’éternité, amants pour toujours, et nous aurions regardé l’aube claire. Nous aurions eu le ciel. Tu te serais abandonnée entre mes bras, j’aurais bercé ton souffle, j’aurais contemplé ta chaleur.

Le jour aurait duré toujours.

Le temps suspendu, immobile, au-dessus de nous, comme un dais, serein.