vendredi 14 juin 2019

La grande arnaque des "Générosités"

L’idée de base, quand même, pour bien remettre les débats à leur juste place, c’est que pas grand monde en a à foutre de pas grand monde.
Ça calme un peu sur toutes les grandes postures écolos, tiers-mondos, socialos, et un tas d’autres, je parle même pas des cathos, sur lesquels  à peu près plus personne ne nourrit plus d’illusions (mais de nouvelles boutiques ont repris le secteur).

« Comment ! » « Mais pas du tout ! » « Parle pour toi ! » « Bien au contraire, il y a de plus en plus de cons-cernés ! » …

Tout dépend de l’unité de mesure qu’on adopte pour évaluer le « rien à foutre ».
Si c’est à l’intensité exclamative, déclamatoire, à la surenchère dans le pathos, aux grandes envolées compassionnelles, à la profusion de banderoles, de « Rencontres », Tables rondes, conclaves, Think tanks, chapelles de tous ordres, à la conviction comminatoire des sermons vertueux, au déploiement d’écrans « Nous sommes tous Charlie », là, bien sûr, nous sommes tous des anges, la crème des gens de bien, les recordmen de la générosité altruiste, les Stakhanov du Bon Sentiment …

Pas un d’entre nous qui n’ait ses heures de présence en association caritative, ses dons (défiscalisés) aux bonnes œuvres, voire son engagement militant.

Mais le rien à foutre, ça peut aussi se calculer en quantité de bouger son cul pour aider vraiment ceux qui en ont besoin.

Si quelqu'un a faim, que vous déplorez, vous insurgez vigoureusement, mais ne partagez pas votre gamelle, est-ce que ça compte ?
Si pour « sauver la planète », vous envisagez sérieusement de serrer la ceinture des autres, restreindre leur mode de vie, piquer un peu plus dans leurs poches, est-ce que vous n’êtes pas des petits roublards qui se la coulent douce et en même temps se donnent bonne conscience ? L’impression d’agir, en se payant de mots.

C’est commode, de recommander l’accueil des migrants, si vous n’habitez pas dans les quartiers où on parquera leur misère.
De réclamer la diminution des retraites, quand la vôtre est confortable (voir l’astuce des Vauquier, pour qui deux mois sont comptés comme treize ans ! https://www.ouest-france.fr/politique/wauquiez-13-ans-de-droits-la-retraite-pour-2-mois-passes-au-conseil-d-etat-5245741) ; l’allongement de la durée de travail, quand le vôtre est peinard ; la hausse du prix de l’énergie, quand elle reste dérisoire par rapport à votre salaire supérieur ; la fermeture des frontières, quand vous avez tiré le bon numéro à la loterie du pays de naissance, etc.

Les prédicateurs du millénarisme écologiste (on est foutus, le monde est sur le point de s’écrouler) nous annoncent une mort probable à brève échéance : personne ne les avait prévenus que c’est la règle du jeu depuis le départ, que chacun de nous est promis à cette mort dans des délais variables ? (voir par exemple le virtuose jeu de bonneteau de cette conférence de Jancovici - veni vidi : https://www.youtube.com/watch?v=2JH6TwaDYW4&t=10s )

Ils se soucient des aggravations prochaines de notre mode de vie. Ils ignorent que la majeure partie de l’humanité se débat déjà dans des conditions de vie plus que difficiles ? A moins qu’ils ne parlent du leur : qu’ils ne se fassent du mouron parce que leur confort actuel risque bien de morfler ? Que ça remet en question leurs vacances en station balnéaire, que ça risque de compromettre leurs séances de bronzette ou de tourisme culturel.
Il y aura des troubles sociaux, de la précarité, des conflits internationaux. Voilà qui ressemble furieusement à aujourd'hui. Aujourd'hui pour les autres, et demain peut-être pour eux aussi : voilà en vérité une perspective révoltante. Tant que c’est chez les autres, les famines, le manque d’eau, la maltraitance policière, l’oppression tyrannique, on compatit. De tout cœur. Mais sans faire grand-chose : c’est l’ordre du monde. Dans trois mille ans leur situation se serait améliorée, le smic serait passé à 1400 €, les gens à l’aise ont le talent de prêcher la patience, « le progrès est lent », mais il progresse. Ne pensez pas à vous, bandes d’égoïstes, à vos petites misères de pauvres, mais aux générations futures, ce beau mythe d’éternité, ce nouvel au-delà édénique, préoccupez-vous du Salut de l’Humanité, comme on promouvait jadis celui de l’âme.
Vous qui vivez mal, on vous adjure de vivre encore plus mal, dans l’espoir grandiose que les petits-fils de vos petits-fils vivent un peu mieux. Moins de salaire, moins de retraite, moins de consommation, tous ces vices du pécheur contemporain : ayez le sens du sacrifice.
Quant à ceux qui adjurent, rassurez-vous, ils s’en sortent très bien.
Convaincus de mériter, par leur travail, par leurs qualités et compétences, le mieux dont ils vous privent, en toute bonne conscience. Déculpabilisés de cette inégalité par toutes leurs bonnes paroles, leur « engagement », leurs conférences moralisatrices.
Cette nouvelle aristocratie a trouvé la justification de ses privilèges. Ce ne sont plus l’ancienneté du nom, la vaillance sur le champ de bataille, la très opportune Volonté de Dieu, mais le niveau de leurs diplômes, l’étendue de leur savoir, la profondeur de leur intelligence. Honneur et prospérité aux hommes de « valeur », ainsi auto-proclamés et complaisamment cooptés !

Et comme toujours, il y a des impies qui doutent, des sacrilèges qui se rebiffent, des matérialistes à courte vue qui renâclent …
Qui regimbent à monter avec enthousiasme sur l’autel du sacrifice. Qui osent, les ignares, poser la question qui fâche : « pourquoi nous ? »
Et qui ne se laissent pas tondre.

mardi 11 juin 2019

Cercle Révolutionnaire de mes Couilles


            C’est dingue ce que j’ai pu rencontrer dans ma vie comme gens qui savaient à ma place !
Ce qu’était l’art, le combat politique, la poésie, la littérature, le cinéma, la bonne bouffe, les vacances réussies, comment bien s’habiller, ce qui est élégant, ou seyant, comment faire un cours, ce qu’est un bon prof, un ami, l’amour, la réussite, la Vie, la baise, le vrai Dieu évidemment, la vraie religion, le respect, l’honneur, la décence, où aller, quoi faire, qui voir, pour qui voter, ne pas voter, et la liste est sans fin, ad nauseam, substituable à l’infini, modulable en une infinité de variantes, de détails tous plus essentiels les uns que les autres, incontestables, indiscutables : évidents …
Moi, je voulais bien (mais en fait non : ça me hérissait, cette arrogance satisfaite, cette certitude de bien faire, cette absence de doutes d’agir pour le Bien commun, en parfaite générosité, chacun voyant « l’altruisme » à sa porte), mais ça se contredisait tous azimuts, la Vérité de l’un se retrouvant mise en pièces par les affirmations de tous les autres … Sacré capharnaüm, concert discordant, foutue pagaille.

Ça dégomme à tour de bras, ça dézingue le camp d’en face, voire celui juste à côté, ça « dénonce », ça s’indigne, ça en appelle à la vertu, ça jette l’opprobre et ça voue aux vindictes publiques.
Ça appelle aux armes le citoyen responsable, concerné, ça réquisitionne à grands cris, ça en appelle à la Conscience, au sens du devoir, ça brandit le Beau, le Bon, le Juste, ça s’émeut des turpitudes, toujours celles des autres, ça ricane des errements, des fautes de goût, ça stigmatise, ça pointe du doigt, toujours au nom de l’amour, de l’honnêteté, de la liberté, menacés mais irréductiblement défendus par quelques Elus, lucides, eux. No pasaran ! Il y a toujours quelque part un hymne pour rameuter les fidèles, dernier rempart de la Civilisation et de l’humanité gémissante.

Dans une accélération vertigineuse de la prescription et de la proscription, de l’anathème et de l’injonction, chacun me dicte ce que je peux manger (ou pas), boire, et combien, dire, penser, aimer, pratiquer, faire.

L’admonestation est sans appel : il y va de mon Salut, de ma santé, de mon bien-être psychique, de la survie de la planète, de l’équilibre des comptes publics, de l’intérêt de l’enfant, des femmes, des peuples opprimés, de la sauvegarde de la faune et de la flore, de la suprématie de la race ou de la grandeur de la Nation.

Bigre ! Je ne me croyais pas d’une telle importance pour le cours des choses …

« Tu ne te rends pas compte ! » Ce doit être ça.

Me voilà mis en demeure de « choisir mon camp ». Il faudra se résoudre à trahir tous les autres, à se voir conspué par les cénacles qu’on n’aura pas rejoints, l’heure est grave, l’hésitation n’est pas de mise. Peu importe dans lequel : il faut s’engager. Etre pour ou contre. Suppôt des Puissants, ou complice des rebelles. Laquais ou factieux.

Facétieux, serait ma préférence, mon œil droit louche vers ma main gauche, je vois le mal partout et du sérieux nulle part.

Gilet jaune ou macroniste ? Ecolo ou consommateur irresponsable ? Végétarien ou viandard, romantique ou libertin, figuratif ou conceptuel, réaliste ou avant-gardiste ? Ceinture, ou bretelles ?
Il y a du complot dans l’air, et chacun, bien informé, a éventé ceux du camp d’en face, passés et à venir. Flic ou voyou ? Propriétaire ou collectiviste ? Rangé ou dérangé ? Chacun s’insurge, Danton en chaire, désigne le Péril à contenir, molécule tueuse ou substance cancérigène, montée des extrêmes, basses manœuvres du Grand Capital, populaces déchaînées, hordes migrantes, chacun s’exhibe, de bonne foi, comme le dernier recours, le bastion de la sagesse désintéressée, l’unique réponse de la Raison assiégée.

Et si chacun, au fond, ne faisait que défendre son bout de gras ? Témoigner, justement, de sa part de vérité ? S’il ne fallait que s’essayer à admettre les divergences d’intérêts, se pousser un peu pour faire de la place aux autres, se coltiner son lopin de terre sans insister pour régner sur celui du voisin …

C’est la grande empoignade de toutes les Tribus, le moment de vérité, la Mère de toutes les Discordes, Babel s’effondre de toutes ses langues, il se fait partout un grand tumulte d’Armageddon.

C’est pour demain, l’ultime épisode final.

Et puis, une nouvelle série qui recommence.

dimanche 19 mai 2019

"L'école de la confiance"


« L'enseignant doit se considérer comme un modèle pour les élèves et être perçu comme tel par les parents. L'image du service public qu'il offre ne doit souffrir d'aucune tache. »

                                                                                  (le philosophe)


C’est une constante, non ? La femme de César doit être irréprochable. L’idée de la vertu, et de l’image de la vertu : le vertueux n’est-il pas celui qui semble vertueux, la vertu, n’est-ce pas croire à l’existence de la vertu ?
De ce à quoi je crois comme étant « bien en soi », souverain bien, légitimé par un pluriel, « nous » : la Communauté des croyants, le peuple de dieu, la volonté des Elus du Peuple, Gardiens de la foi ou de la Révolution voire des deux, la Charria pour une Umma.
Chrétiens Communistes Républicains Citoyens musulmans juifs hassidiques : au nom de toutes les orthodoxies, contradictoires mais universelles, devoir d’affichage.
Malheur à celui qui s’écarte pour aller fumer seul son cigare dans sa voiture ! Puisque celui-là menace la perfection de l’unanimité évidente.
Malheur à celui qui ne veut pas jouer, puisqu’il rend visible, risible, que ce n’est qu’un jeu.
La « Confiance », c’est bien dit : la foi commune. L’unique foi, peut-il en exister d’ autre ? Le contraire de la défiance, ce qui défait la foi, l’article de foi, le doute. Credo implicite, c’est plus fort, on est censé croire sans qu’il ait été prêché : Tu croiras aveuglément en la parole de ton maître.
Celui que tu sers, sous ta latitude : drapeau rouge ou noir, quel que soit le cri de guerre, cri de haine ; les dissidents, les divergents seront internés, exécutés, éradiqués, mis hors d’état de nuire.
Un bon serviteur est un serviteur à genoux.
Ce qu’ils n’ont pas compris, c’est que ce qui tue les religions, la certitude de ce en quoi il faut croire, l’absolue Soumission, c’est la multiplicité contradictoire des religions, des articles de foi, des soumissions dont chacune se revendique totale et absolue.
Je n’ai pas bien vu sur la photo si tu fumais un pétard ou un cigare.

mardi 14 mai 2019

L’Invitation


                                            


            Je suis vide comme un tiroir trop plein de chaussettes. Les chaussettes, ça prend de la place, ça déborde. Certaines ont des trous.
Elle me dit : « les chaussettes trouées, il faut les jeter. »
Pourquoi ?
Est-ce que c’est le trou qui défait la chaussette ? A partir de combien de trous peut-on affirmer qu’une chaussette ne remplit pas sa fonction ? Est-ce que ça vaut pour les gens, aussi, quand ils ont des trous on les jette ?

            Quand je suis en visite chez une dame, j’aime bien aller farfouiller dans son tiroir de lingerie. J’effleure l’étoffe douce et légère, encore attendrie du souvenir des seins qu’elle a caressés, frémissante des secrets approchés. Si je venais à être pris, je pourrais toujours prétendre que je me suis trompé de pièce. Alors qu’en fait, je me trouve au cœur du mystère. Quand on reçoit quelqu'un, on devrait toujours l’inviter à fouiller dans nos tiroirs. Là, l’invité se sentirait bien accueilli. A quoi bon aller chez l’autre, si ce n’est pas pour faire connaissance ?
Alors que les petites culottes sont rarement montrées, sinon à un public trié sur le volet, , elles rivalisent parfois dans la diversité des couleurs, des formes, échancrées ici, ténues ailleurs, et des motifs de la dentelle, de l’intensité de la transparence ou de l’opacité.
Comme si la dame voulait que demeurent dissimulés sa gaieté, son exubérance, ses désirs de s’exhiber. Elle doit bien rire sous cape, convenable et austère en apparence dans ses vêtements de surface, mais toute libre et imaginative en dessous. Montre-moi ta culotte et je te dirai qui tu es. Comme si elle mettait au défi le voyageur aventureux de découvrir sa vérité profonde, s’il l’ose. C’est de cela probablement que raconte la Quête du Graal.
Il peut arriver qu’une hôtesse ne se soit composé qu’une variation de culottes blanches, en jouant sur les différences de matières et de formes. Il n’y faut pas voir forcément le refus catégorique de toute fantaisie. Mais peut-être la confidence d’un rêve de pureté, comme si l’acte amoureux espéré que transmet cette invite discrète devait être éthéré, effleurement, chorégraphique. A moins qu’il ne s’agisse d’un jeu malicieux : que la belle ne dissimule sous le leurre de la blancheur virginale les tempêtes d’une nature tumultueuse.

            Le voyage au fond du tiroir se fait aventure, rêverie, chemin mystique vers l’être.
Il arrive que je découvre, sagement pliées entre les étoffes, quelques mots doux, quelques lettres intimes, que je ne déplie, en m’asseyant plus à mon aise sur le bord du lit, que si je suis assuré que la maîtresse de maison est durablement occupée en cuisine. Je tiens à ne pas paraître indiscret.
Je découvre alors quelque romance, quelque idylle ancienne pieusement conservée dans son alcôve sensuelle, ou quelque aventure en cours, illégitime et soigneusement soustraite aux regards. Je deviens le témoin attentif d’une âme qui s’épanche, le confident inespéré de moments essentiels, dont je recueille la mémoire. J’écoute les tourments de la passion, les méandres d’une histoire difficile, lumineuse ou torrentielle. Si le nombre de lettres est trop important, je dois décider de revenir une autre fois, ou d’en emporter une petite partie pour quelque temps.

            Au bout d’un moment, je reviens dans la pièce principale où celle qui m’invite me demande, avec un sourire : « tu as trouvé tout ce que tu voulais ? »
Je hoche seulement la tête, d’un regard entendu, sans révéler à quel point ma brève escapade m’a permis de faire davantage connaissance que ne me l’eussent permis les propos convenus d’une conversation banale.
Elle ajoute : «  excuse-moi d’avoir été si longue, j’avais deux trois choses à préparer. »
Je la rassure, le temps ne m’a paru long, il m’en eût fallu même davantage pour mener convenablement mon entreprise : il faut du temps, pour connaître les autres.
Fort de mes nouvelles perceptions d’elle, je l’envisage différemment, désormais. Je me plais à la voir d’en dessous, en quelque sorte. Je me demande la couleur et la forme qu’elle a choisies pour me recevoir, dans quelle humeur. Je la devine, et parfois, plus tard dans la soirée, il m’est loisible de confirmer mes hypothèses.
On ne se connaît bien qu’en entrouvrant nos tiroirs.