dimanche 14 juin 2015

Sophie Kinsella, Confessions d'une accro du shopping




Premier volume d'une série à succès, dont le 2e est plus fade, simple "allongement d'une sauce" qui paye ...
Mais cette 1e histoire est drôle et moins futile qu'il n'y paraît : certes nous sommes dans ce que le marketing éditorial appelle "chick lit", littéralement traduisible par "littérature pour nanas" ("chiken", "poule" en anglais, n'a pas les connotations vulgaires et méprisantes du français ; c'est, disons, familier et affectueux), terme néanmoins idiot et sexiste ...
Elle raconte les bévues et mésaventures ... d'une accro du shopping ! C'est enlevé, souvent astucieux, et peu de risques d'attraper une migraine.
Mais c'est aussi, entre les lignes, plus malin que ça : le lecteur, homme ou femme, reconnaîtra souvent ses petites ruses pour justifier ses renoncements, ses reculades ; toutes nos stratégies pour ne pas tenir nos résolutions, et continuer à nous considérer comme un type (une nana) épatant ...
Dommage que le roman suivant (il y en a tout une série !) sente l'exploitation d'un filon, et réchauffe inlassablement (sauf pour le lecteur) les mêmes procédés qui à force perdent leur vertu comique.

vendredi 20 février 2015

Goulicimeb



              Goulcimeb, ça s’appelle. C’est pas un patelin connu. Cherchez pas sur la carte : le dernier arpenteur du Service du Cadastre est reparti à poil arpenter ailleurs.
A Goulcimeb, on aime pas trop être arpenté, cadastré, référencé, répertorié, enfiché, localisé, si vous voyez ce que j’veux dire. Et même si vous voyez pas, d’ailleurs.
Goulcimeb, c’est l’patelin d’où je viens. Une planque comme y’en a pas.
Pourquoi j’en suis parti ? Ça, c’est une autre histoire.
Y’a pas d’rues, à Goulicimeb. Et partant, pas d’trottoirs. Et conséquence, pas d’femmes qui font l’trottoir. Pas de crottes de chiens non plus. Enfin si, des crottes, y’en a, puisqu’y a des chiens, suffit de faire attention où on met les pieds, mais c’est moins traître, du coup, puisqu’il est pas censé pas y en avoir. Dans l’herbe. Y’a de l’herbe partout, sauf là où y’a pas d’herbe, bien sûr.
-       Ben alors, c’est pas une ville, c’est une prairie !
-       Non, passque dans cette prairie y’a des maisons. Disposées çà et là, comme des coulemelles sur un alapage.
-       Et comment y fait, l’facteur, si y’a pas d’rue, pour distribuer le courrier ? Passque si y’a pas d’rue, j’suppose qu’y a pas de numéros de rue.
-       Y’a pas d’facteur.
-       Et comment tu fais, une supposition que je veuille t’écrire ?
-       Ça m'étonnerait qu’j’aie envie d’te lire.
-       Une supposition, que j’dis.
-       Eh ben tu viens me parler. Ou si t’es trop timide, tu viens m’apporter ta lettre à la maison.
-       Et comment j’la trouve, ta maison ?
-       Ben, tu sais où elle est.
-       Mais si j’le sais pas ? L, maintenant, ta baraque, j’la connais pas, vu qu’je sais même pas où ça crêche, ton bled.
-       Ben tu demandes aux gens.
-       Ah ? Y’ a des passants ?
-       Les gens qui y vivent.
-       Mais si y’a pas d’rues, y peuvent pas passer ?
-       Y passent pas, y s’promènent.
-       Ben, elle est drôle, ta ville. Et y’a d’autres trucs, comme ça, qu’y a pas ?
-       Plein. Y’a qu’ça, des trucs qu’y a pas.
-       Comme quoi ?
-       Comme la Mairie.
-       Y’a pas d’mairie ?
-       Non. Pasqu’y a pas d’maire.
-       Et comment y votent, les gens ?
-       Y votent pas.
-       Y votent pas ?
-       Non.
-       Mais comment y décident ?
-       Comment y décident quoi ?
-       Ben j’sais pas, moi. Les trucs que décide un maire. Les jours de marché, par exemple. Tu vas m’dire qu’y a pas d’marché ?
-       Si, y’a un marché, mais y’a pas d’jours de marché. Si t’as un truc à vendre, tu t’installes, tu déplies ta camelote, les gens te voient, et si ça les intéresse, y viennent.
-       Ben merde alors !
-       Comme tu dis.
-       Ben c’est l’bordel, alors ! Une putain d’anarchie, comme qui dirait.
-       Comme tu dis.
-       Ben merde alors. Ça m’dirait pas, moi, de vivre dans une ville où qu’y a pas d’maire. Et alors, le Monument aux Morts ?
-       Ben y’en a pas. Les morts, y s’en foutent, des monuments, puisqu’y sont morts.
-       Y’a un cimetière, au moins ?
-       Surtout pas.
-       Ben mon cochon, tu les mets où, tes macchabées ?
-       Où tu veux. Devant ta maison, ou derrière. Ou dans la forêt. Chacun s’arrange comme il veut.
-       Et le Gendarmerie ?
-       Non ;
-       Pas d’Gendarmerie ?
-       Non.
-       Et où c’est qu’tu vas porter plainte, si on t’vole ?
-       On m’vole pas, vu que personne manque de rien. Et si tu t’avisais de me chouraver un truc, par pure malfaisance, moi ou mes potes on t’verrait, et on t’ferait passer l’envie de recommencer.
-       C’est pas trop catholique, ton truc. Et tu vas m’dire aussi qu’y a pas d’église.
-       Encore moins.
-       Pourquoi ? Z’êtes des putains de terroristes de musulmans ?
-       Non, y’a pas de mosquée non plus. Si tu veux t’faire des films, tu vas au cinéma.
-       Ah, y’a un cinéma ?
-       Sept.
-       Sept ?
-       Et huit théâtres. Cinq salles de concert. Des salles de sport, des saunas, des restos, des salles de jeu, de danse …
-       Que des trucs pour faire la fête !
-       Tu connais une autre façon de vivre ?
-       Bon ; suppose que j’aie envie d’aller voir, comme ça, à quoi ça ressemble, vot’cirque. J’m’y prends comment ? C’est quoi la route ? La gare la plus proche ? Et pour pieuter ? Uo s’en jeter un ? Y’a un site où j’peux trouver tout ça ?
-       C’est pas utile.
-       Ben pourquoi ?
-       T’es pas l’bienvenu. C’est pas un zoo où tu peux venir mater.
-       Y’a personne qui vient vous voir ?
-       Ceux qu’on invite. Ceux-là n’ont pas besoin de carte routière, ni de réservation de billet de train. Il leur suffit de grimper dans leur rêve, de se laisser glisser dans leur fantaisie, et là c’est tout droit, ou tout en méandres, ils suivent leur bon plaisir, et quand ils sont bien, c’est là, ils sont arrivés.

Expansion



(expansion d’un extrait d’ Ulysse de Joyce)

Trop de mystère il voit là-dedans. Est-ce qu’il est amoureux d’elle, de cette Marion ? Le changer de vie, ça risque, pour un autre couple, s’il cesse d’être le compagnon de Mary Cecil Haye.
Le disque suivant glissa le long de la cannelure, la voix langoureuse du leader des Sexy Top vibra un moment, le serveur s’immobilisa et leur fit de l’œil : six. Six minutes et ils pourraient passer à table.
A la caisse, Miss Dune tapa sur le clavier :
-       16 juin 1904.
« Zut ! il écrit n’importe quoi, c’machin. » Elle corrigea :
-       16 juin 2014.
Entre le coin gauche de Monypeny et le refuge pour clochards où la statue de Margaret Thatcher, de Wolfe Tone, ne s’élevait pas encore, cinq hommes-sandwiches jambon-beurre aux costumes tuyaux de poêle blancs firent demi-tour. Il quitta la fenêtre des yeux et les posa de nouveau sur Marion, soubrette charmante, et distraite, et abandonnée. Cette manie de se faire des tresses, de s’attifer en écolière. Cheveux moutarde et joues barbouillées de fard. Elle n’est pas jolie, vrai. Cette façon de pincer son petit pan de jupe, mine de suggérer « devinez ce que j’ai en-dessous », rien, peut-être, allez savoir, c’est tout le challenge, est-ce que vous aurez le culot de vouloir aller savoir, est-ce que vous aurez le cran d’avancer la main, de la tendre jusqu’au tissu à carreaux, est-ce que vous serez chiche de la glisser par la fente du tissu sur le côté, cap de l’aventurer sous le tissu, est-ce que vous n’aurez pas trop honte d’avouer votre désir d’aller savoir, pas trop peur qu’elle sache que vsq avez ce désir, est-ce que vous prendrez le risque qu’elle perçoive votre émoi de toucher la peau, et puis quoi ? et puis elle frémit et se dérobe, elle se rétracte et se dérobe à la caresse, elle bloque votre main et la repousse, vous repousse, elle repousse votre désir, elle crie un peu « Mais enfin ! Qu’est-ce qui vous prend ? » et se lève et s’en va d’un air outragé. Ou elle laisse faire, elle laisse glisser la main, elle fait semblant de rien, elle feint de ne pas s’être aperçue, de ne pas avoir senti, que tout est normal, que vous n’avez pas dérogé, que vous n’avez pas enfreint le code, brisé l’interdit, noli me tangere, que vous n’avez pas violé les bonnes manières, rompu l’us et la coutume, que vous n’avez pas tourné le dos à la civilité, plongé dans la barbarie, troqué le distant de la parole pour l’immédiateté du corps, l’absolue immédiateté, le vertige absolu de la sensualité.
Et puis quoi ? Votre main est là, sur la chaleur émouvante de cette peau qui bat, et vous pourriez rester là des siècles, une vie, et ce serait mieux que dire tout, il n’y aurait rien d’autre à dire, rien d’autre à connaître que cette chaleur douce de peau. Vos doigts vont frémir sur la peau qui frémit, leur pulpe frôle à peine la chair, ils bougent un peu peut-être pour éprouver le vertige de la caresse, ils bougent à peine, ils ont à décider s’ils vont aller plus avant, s’ils vont s’engager plus loin, à l’aventure d’autres secrets plus étonnants, à la découverte d’autres textures plus éblouissantes, c’est un engagement pour la vie, c’est tout une vie de sensations déployées en quelques secondes.
                        Le téléphone lui sonna brutalement aux oreilles.
Allô. Oui, monsieur. Non, monsieur. Oui, monsieur.
                        Autour d’eux il y a le bar. Autour d’eux il y a les autres. Entre eux il y a les autres. Entre eux et l’intimité du plaisir. Entre son bonheur et lui, il y a eux. Entre sa main et sa cuisse.

jeudi 12 juin 2014

Vision



eau coulé beaucoup fort. pas mistral eux glissé. Poing fendu aux ormes de ma mère. Abarricadé. Mélanie ta konoupé. Ofouli sa nissa. Corneilles a pas milé, tanapa sirocco. Escanope, hiloupète, Assurbanipal a pas mis tonoké.
Milangé, fantaisie a soupir, au revoir.
Au revoir, elle dit. Ses cheveux frisent blond, sur sa tempe qui bat.
Elle a l'œil qui s'éclaire de lacs mystérieux. Elle voit l'autre versant, l'herbe dorée de lune. Les tiges qui s'agitent et le vent qui fraîchit. Elle voit l'autre bord, idéal, au plus de la frontière.
Sa taille est souple d'un sourire qui bat.
Je la regarde bouche ouverte. Jamais je n'ai contemplé une telle eau de fontaine. Mélopée sa banka. Otononé Sana ! J'entonne au fond de ma gorge le kananké, le chant victorieux des lions tués. Là, le bitume se fissure, et se ride de radicules, les lianes s'encroisent d'une verve végétale, secouent la rue de leur chaos ravi, le monde salue la foulée pure d'une princesse.