Il
se pointe à la grille de l’entrée sud (sur le flyer il y avait marqué « Rendez-vous
entrée Sud – 19h30 – Demander Joséphine »), il est à la bourre, essoufflé,
il a fallu nager à contre-courant dans la foule du métro. Il y a une petite
dame dans la guérite, un peu ronde, avec une sorte de képi, il lui demande :
« c’est ici l’exposition George Braque ? » Elle s’approche, elle
lui fait un sourire avenant, il lui tend le flyer, elle jette un coup d’œil.
« Ils viennent juste de
partir, traversez la cour, vous allez les rattraper. »
Il la remercie, elle lui refait
un petit sourire, il s’éloigne d’elle : probablement qu’il ne la reverra jamais.
Ce serait difficile à calculer :
combien de gens approche-t-on qu’on ne revoit jamais ?
Il traverse la cour, elle est
pavée.
Il voit un écriteau, en forme de
flèche, il indique : « Exposition George Braque ».
Il y a un couple, un peu âgé, un
peu épais, qui lui barre la route. Le monsieur a l’air préoccupé.
« George Braque, c’est celui
qui a fait Tintin ?
- Mais
non, tu confonds avec Le Tintoret. George Braque c’est celui qui a fait la
voûte de la Chapelle Sixteen.
- C’est
un Anglais ? »
Il demande pardon, il s’infiltre
entre eux, il y a un escalier, il le prend. Il monte. Ce sont de vieilles
marches, couleur crème et très usées, est-ce que c’est du marbre ? Il ne s’y
connaît pas bien en pierre. Quand on pense à tous ces siècles de gens qui les
ont montées avant lui !
A l’étage il ne voit toujours pas
le groupe, il y a d’autres visiteurs qui vont quelque part, et un gardien dans un
renfoncement de fenêtre, il lui trouve un air suspicieux. Mais c’est sa
fonction après tout, de faire semblant de ne pas regarder les gens, l’œil en
coin et suspicieux. Sont garnis de placards, d’armoires, de bibelots vieux et
probablement fragiles, immobiles, incrustés, appuyés à de petites plaquettes
explicatives en trois langues, français, anglais et chinois.
Ça l’embête, il a un fil tiré à
une jambe de son pantalon, un fil à la patte, ça l’amuse de se dire ça. Voici
une maison d’Icarie, il ne sait pas ce que c’est mais c’est marqué, des rangées
et des rangées d’objets de plein de sortes derrière des vitrines, de temps en
temps il s’arrête et les examine pour ne pas se faire remarquer. Il a peur de s’être
trompé d’aile. Cinq fenêtres de front. En bas il aperçoit la pyramide, moche et
en verre. Ce serait bête de ne pas les trouver. Il s’est inscrit sur
Billetreduc, il a payé en ligne et sûrement ils ne voudront pas le rembourser.
Et puis il les voit, tout au bout
du couloir, tout un groupe, ils marchent lentement et se tournent d’un côté
puis de l’autre, ils semblent attentifs aux explications de quelqu'un qu’il ne
voit pas. Ça le rend tout joyeux, de les avoir retrouvés, comme des amis, il se
sent maintenant plus en règle, une anomalie qui rentre dans l’ordre. Il n’aime
pas penser que les autres puissent penser à lui comme à une anomalie. Même d’ailleurs
s’il n’y a personne, il imagine, c’est comme s’il y avait quelqu'un d’invisible
pour le voir, pour voir qu’il ne fait pas comme il faudrait.
« Julien ! Tu viens !
Toujours à la traîne, celui-là ! »
Il vient d’entendre ça, de le
revivre, l’injonction exaspérée de sa mère, son frère et sa sœur qui ricanent,
son père est déjà loin sur le sentier côtier, il ne les attend pas. Lui il
aurait bien aimé s’arrêter un instant dans les buissons.