mercredi 4 décembre 2013

l'Exposition George Braque



            Il se pointe à la grille de l’entrée sud (sur le flyer il y avait marqué « Rendez-vous entrée Sud – 19h30 – Demander Joséphine »), il est à la bourre, essoufflé, il a fallu nager à contre-courant dans la foule du métro. Il y a une petite dame dans la guérite, un peu ronde, avec une sorte de képi, il lui demande : « c’est ici l’exposition George Braque ? » Elle s’approche, elle lui fait un sourire avenant, il lui tend le flyer, elle jette un coup d’œil.
« Ils viennent juste de partir, traversez la cour, vous allez les rattraper. »
Il la remercie, elle lui refait un petit sourire, il s’éloigne d’elle : probablement qu’il ne la reverra jamais.
Ce serait difficile à calculer : combien de gens approche-t-on qu’on ne revoit jamais ?
Il traverse la cour, elle est pavée.
Il voit un écriteau, en forme de flèche, il indique : « Exposition George Braque ».
Il y a un couple, un peu âgé, un peu épais, qui lui barre la route. Le monsieur a l’air préoccupé.
« George Braque, c’est celui qui a fait Tintin ?
-       Mais non, tu confonds avec Le Tintoret. George Braque c’est celui qui a fait la voûte de la Chapelle Sixteen.
-       C’est un Anglais ? »
Il demande pardon, il s’infiltre entre eux, il y a un escalier, il le prend. Il monte. Ce sont de vieilles marches, couleur crème et très usées, est-ce que c’est du marbre ? Il ne s’y connaît pas bien en pierre. Quand on pense à tous ces siècles de gens qui les ont montées avant lui !
A l’étage il ne voit toujours pas le groupe, il y a d’autres visiteurs qui vont quelque part, et un gardien dans un renfoncement de fenêtre, il lui trouve un air suspicieux. Mais c’est sa fonction après tout, de faire semblant de ne pas regarder les gens, l’œil en coin et suspicieux. Sont garnis de placards, d’armoires, de bibelots vieux et probablement fragiles, immobiles, incrustés, appuyés à de petites plaquettes explicatives en trois langues, français, anglais et chinois.
Ça l’embête, il a un fil tiré à une jambe de son pantalon, un fil à la patte, ça l’amuse de se dire ça. Voici une maison d’Icarie, il ne sait pas ce que c’est mais c’est marqué, des rangées et des rangées d’objets de plein de sortes derrière des vitrines, de temps en temps il s’arrête et les examine pour ne pas se faire remarquer. Il a peur de s’être trompé d’aile. Cinq fenêtres de front. En bas il aperçoit la pyramide, moche et en verre. Ce serait bête de ne pas les trouver. Il s’est inscrit sur Billetreduc, il a payé en ligne et sûrement ils ne voudront pas le rembourser.
Et puis il les voit, tout au bout du couloir, tout un groupe, ils marchent lentement et se tournent d’un côté puis de l’autre, ils semblent attentifs aux explications de quelqu'un qu’il ne voit pas. Ça le rend tout joyeux, de les avoir retrouvés, comme des amis, il se sent maintenant plus en règle, une anomalie qui rentre dans l’ordre. Il n’aime pas penser que les autres puissent penser à lui comme à une anomalie. Même d’ailleurs s’il n’y a personne, il imagine, c’est comme s’il y avait quelqu'un d’invisible pour le voir, pour voir qu’il ne fait pas comme il faudrait.

« Julien ! Tu viens ! Toujours à la traîne, celui-là ! »
Il vient d’entendre ça, de le revivre, l’injonction exaspérée de sa mère, son frère et sa sœur qui ricanent, son père est déjà loin sur le sentier côtier, il ne les attend pas. Lui il aurait bien aimé s’arrêter un instant dans les buissons.

samedi 23 novembre 2013

Elle est partie



                  Partie.
            Elle est partie. Ce sont trois mots simples, faciles à penser, à dire, demain si je croise Mathurin devant Chez Félicie j’aurai à lui dire, il n’y a que ça que j’aurai à lui dire, mais je ne pourrai pas, je ne le lui dirai sûrement pas, c’est étrange comme on s’évertue à ne pas dire ce qui brûle les lèvres, entaille le gosier, emplit la boucle comme une houle amère.
Pas plus qu’à Mme Legorce en prenant mon pain
« Comment ça va, ce matin, Monsieur Sorel ? » me demandera-t-elle comme à chaque fois, d’un ton guilleret et engageant et derrière le client suivant et autour la foule qui attend aussi tout ce silence continu des mots attendus qui se referme derrière soi quand on sort de la boutique c’est impossible à rompre
Si à la question de Mme Legorce je réponds cette seule urgence : « elle est partie », ce serait comme un trou dans le voile uniforme de la paix collective, où il ne se passe rien, ou alors c’est le fracas d’un nouvelle
« Vous avez su ? Pour le fils de Mme Pigères. La pauvre. C’est malheureux quand même. Ça vous arrive sans qu’on s’y attende. »
Ou la commisération soudaine, ce basculement du regard désormais quand on vous voit, les chuchotements la compassion « Oh oui, c’est triste ce qui lui est arrivé, ah bon ? Vous ne saviez pas ? Sa femme l’a quitté. » et il y a une trace goguenarde dans la voix, on est content malgré soi que le malheur soit tombé sur quelqu’un d’autre, et quand c’est conjugal, il y a toujours un peu de ridicule, de vaudeville, l’homme quitté doit un peu y être pour quelque chose
Mais ce n’est pas ça !
C’est la table de la cuisine, le grand plateau de bois marron qui fait tout d’un coup une grande place inutile
derrière il y a la lumière de la porte ouverte sur dehors
et tout ça n’a plus d’intérêt, ne sert plus à rien
la maison autour est silencieuse de la présence disparue
c’est définitif et incompréhensible comme une mort
on ne comprend pas à quoi sert l’escalier, pourquoi les pièces en haut,
Il se dit qu’il ne saura pas le vivre
et pourtant peu de choses ont changé
Le ciel est toujours le ciel le village en bas la voiture pour y aller et Mathurin qui sortira de son café qui s’il savait tendrait une main consolatrice une brève étreinte sur l’épaule « Mon pauvre vieux. Ça va aller, tu vas voir » mais jamais il ne pourrait le leur dire à aucun
parce que les mots ne disent pas, ça ne dit rien : « elle est partie ».
            Il retrouve un peu sa respiration.
            Il y a un mot sur la table. « Je pars ». Comme quand elle allait faire une course, ou une balade, ou voir une copine. « Je vais voir Sophie. Ne m’attends pas pour manger. » Et il aimait l’imaginer avec son amie, toutes les deux à bavarder, et se faire sa soirée à lui, et puis elle revenait, et la vie continuait.
C’est ça qu’il doit se dire, ça qu’il faut comprendre, qu’il se répète pour voir si ça s’incarne, dans la lumière, dans sa chair, si les meubles le buffet les plaques de cuisson la hotte le comprennent, ou si les mots rebondissent, incompatibles, privés de substance
Qu’est-ce que ça peut vouloir dire : « elle est partie » ?
C’est comme après un accident, quand on ressort hébété de la carcasse broyée, et qu’on essaie de se répéter, sans y croire, « je suis vivant… », et on ne comprend plus ce que ça veut dire, on ne fait plus la différence la vie la mort c’est surtout une question de mots

dimanche 17 novembre 2013

Quai d'Orsay, film de Bertrand Tavernier







avec Thierry Lhermitte

Drôle et pertinent : comme un prolongement des répliques de Figaro dans la comédie de Beaumarchais ("feindre d'ignorer ce qu'on sait, de savoir tout ce qu'on ignore [...] voilà toute la politique !"), satire tonique des vanités et des incompétences du petit monde politique, ivre des délices du pouvoir et des hochets qu'il leur octroie.
Du rythme (les claquements de porte de Thierry Lhermitte, qui, gonflé de lui-même, brasse beaucoup d'air, tout à la séduction de lui-même, tel un Villepin - le "modèle" de la caricature - en pose pour l'Histoire), des dialogues qui font mouche, pointant jusqu'à l'absurde la farce grinçante de ces grands commis de l'Etat, issus du sérail, de ces Grandes Ecoles vaniteuses et compassées : coûteux et inutiles.
Au-delà du spectacle réjouissant, une réflexion acerbe sur l'un des travers (pas nouveau) de notre société : l'impéritie suffisante des "élites" qui nous gouvernent.

mercredi 13 novembre 2013

Gravity







Lourd !
Qu'ont bien pu trouver les critiques à ce film ?
Quelques "belles images" de l'espace ; quelques bons moments du scénario, essentiellement dus aux interventions drôlatiques de G. Clooney ...
Pour le reste, du déjà vu 100 fois dans le cinéma américain : une grosse dose de film-catastrophe (ça explose à tout va, les chutes d'immeubles sont juste remplacées par celles des stations orbitales .... Curieux comme les cinéastes américains ont ce besoin compulsif de tout faire péter, comme des gamins de 5 ans avec leurs jouets !), un scénario minimal (en même temps, une capsule spatiale, ça limite les possibilités ...), les péripéties up and down attendues, prévisibles de ce genre d'histoires ("va-t-elle y arriver ...?") ... Et (attention : claustrophobes s'abstenir !) plein de scènes pénibles à supporter : c'est décidé, l'espace, je n'irai pas.
Bon, oui, l'allégorie  (bien américaine elle aussi) maintes fois mise en scène de la-tentation-dépressive-qu'il-faut-savoir-combattre, les p'tits gars ... Mettez-moi à la place un bon Kubrick, ou un Clint Eastwood bien tassé !