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jeudi 5 septembre 2024

Vénère

 

Vénère

 

 

Pourquoi faut-il toujours que vous adoriez ?

Vous me direz, qu’est-ce que ça peut me foutre ?

Pas faux. Mais quand même. Aujourd'hui, grand soleil bleu, personne en vue : ça va encore.

Mais difficile de vous échapper longtemps, de ne pas se faire encore et encore engluer dans votre guimauve amère. Marteler la tête de vos ovations imbéciles. Ça peut tomber dessus n’importe quand, à n’importe quel coin de rue, émanant des sources les plus diverses.

Les uns, c’est Proust. Kundera. Virginie Despentes, ou Bernard Werber. Ou n’importe lequel des 2 845 728 autres écrivains-de-génie. Ah bon, t’aimes pas ? Tu connais pas ?! Ou Tarentino, Visconti, Bresson. Il suffit que Delon meure pour qu’on soit sommés de s’extasier sur quel « grand acteur il était ». Ou Johnny. Ou Simone Weill. Il y en a pour tous les goûts. Chacun sa paroisse. Chacun sa génuflexion, son culte, son idolâtrie complaisante, bruyante, envahissante.

Catherine Ribeiro aussi, est morte. On n’en a pas fait tout un plat. Même pas parlé, dans la plupart des médias. Qui ça ? Ribeiro : une chanteuse belle comme un rêve de passion, aux textes incandescents, à la voix qui me traversait les tripes.

Vous vous frottez les mains, vous ricanez de jubilation : eh ben voilà ! Moi aussi ! Moi aussi, je vénère, c’est pas les mêmes saints, c’est tout !

Vous êtes cons, ou quoi ? Bouchés à l’émeri ? Oui, vous êtes cons, c’est ça le problème.

C’est justement le contraire que j’essaie de vous expliquer, et je me demande bien pourquoi. Ça fait des millénaires que vous persistez, et vous êtes des milliards, alors … Aucune ambition de vous « changer ». Vous me faites chier, c’est tout.

Vous salissez tout, avec vos vénérations à deux balles. Vous comprenez pas que c’est vous-mêmes que vous concélébrez bruyamment, dans ces rites de prosternations serviles ? Pas le chanteur, l’acteur, l’écrivain, le penseur, dont la valeur, si elle est réelle, se passe très bien de toute retape promotionnelle. Vous adorez Spinoza, Marx ou Jésus ? Pourquoi ne pas vous mettre à essayer de mettre leurs enseignements en pratique, plutôt que de vous borner à en chanter en boucle les louanges ? L’un n’exclut pas l’autre … ? Ben si, justement, d’après ce que j’observe ...

Vous déifiez narcissiquement vos jouissances. Peu importe que vous préfériez Céline Dion à Môrice Bénin, encore que si, ça compte aussi : c’est aussi ça, le problème de vos notoriétés moutonnières : c’est toujours des mêmes qu’on parle, qu’on vous assène chez Drucker, de l’Aznavour consensuel, du Gainsbourg « rebelle » mais pas trop quand même, suffisamment conformiste, sous ses provocs, pour s’insérer dans le business, pas trop déranger l’ordre bourgeois, pas trop creuser là où ça coince. Ceux qui disent vraiment quelque chose, les Ribeiro, les Bénin, les Bertin, les Brua, les masses consuméristes des centres commerciaux n’en entendent même pas parler, pas perturber leurs achats.

Mais pas une raison pour autant d’allumer des contre-cultes, d’autres prosternations, hautaines et raides de la certitude d’être l’élite éclairée. J’aime quant à moi les textes de Bénin, le cinéma de Kubrick, le clavecin de Scarlatti (mais aussi bien, à d’autres moments, le balancement feutré de Garcia-Fons, ou les déferlements de Led Zeppelin), mais il ne me viendrait pas à l’idée de vous les proposer (encore moins : de vous les imposer !) comme objets de cultes ! Que vous puissiez ne pas aimer, ça tombe sous le sens. Si nous avons ces plaisirs en commun, tant mieux : occasions de partage. Si ce n’est pas le cas : tant mieux aussi, ça nous fait des tas de trucs à découvrir. Je ne ressens nul besoin de vous les vendre comme « un immense compositeur », « le plus grand réalisateur » ou « il faut vraiment que tu écoutes ce chanteur ». J’ai plaisir, grand plaisir, à leur pratique, sans trouver qu’il y ait matière à m’en vanter particulièrement, et tant mieux si j’ai l’occasion de vous les faire apprécier, mais je n’en fais pas une Croisade.

Ce qui me débecte, c’est pas qu’on aime, c’est qu’on clame universel, forcément sublime,  incommensurablement supérieur ce qui a l’insigne mérite de nous plaire. C’est trop génial ! « Marcel Papatempon porte au pinacle l’art subtil et délicat de l’invention romanesque … Assurément l’un des 10 auteurs majeurs du XXe siècle ! » Ben non. Désolé, j’accroche pas, j’adhère pas, ça me fait pas vibrer, malgré toutes les recommandations de Télérama ou Salut les Copains. La Joconde, j’aime pas, je m’en fous, c’est pas un sujet, vous aurez beau y débarquer devant tous les cars de Japonais du monde, et faire crépiter les selfies. Le Saint Suaire, c’est pas mon truc. Pourquoi faudrait-il toujours admirer ? Et pas, simplement, apprécier, se réjouir, sans forcément proclamer urbi et orbi qu’on a trouvé la quintessence et que sont imbéciles  tous ceux qui n’en conviennent pas ? N’avoir que le choix de la Chapelle où rendre ses dévotions, de la caserne où s’enrôler ?

Alors, évidemment, les foules en liesse parce qu'un type a pulvérisé de trois centièmes de micro-seconde le record galactique de la course en sac dans la spécialité main gauche attachée derrière le dos, ça me laisse rêveur … Vaguement nauséeux. Voire carrément à cran. Qu’on vaticine pendant des semaines, à grands débours de millions d’euros,  de kilowatts-heures, de cataractes d’eau, « ce bien rare et précieux », au sujet de la « victoire historique du Bélouchistan du Nord 35 à 34 sur la Manganésie Occidentale lors de la finale du jeu de billes », que ça embouchonne les rues de la capitale, prive les usagers de transports, les étudiants de chambre universitaire, remplisse les médias de prônes futiles et complaisants, célébrant « La Grande Fraternité entre les Peuples », à grands coups de compète nationaliste sur quel pays a remporté le plus de médailles, pendant que leurs Etats-Majors bombardent, répriment, emprisonnent, torturent, assassinent … forcément ça me fout en pétard.

Vous avez réellement rien de mieux à foutre ? Rien de plus urgent ? Non, évidemment, c’est même le but : oublier, balayer sous le tapis, l’urgence des vrais exploits à accomplir. Vous voulez qu’on en crée, des disciplines olympiques qui aient un peu de sens ? Par exemple : qu’on trouve moyen à reloger, et décemment, tous les pauvres bougres qui croupissent sur nos trottoirs : ça, ça serait pas un vrai, un bel exploit ? Et on s’en foutrait, que les gens qui y parviendraient aient un passeport français ou guatémaltèque : ce qui nous foutrait la patate, ce serait de savoir que quelques êtres vivent un peu moins de souffrance.

Et tout à l’avenant. Y aurait du boulot. Un paquet de chantiers. Vous aviez envie de performances ! De gens qui « se dépassent », « s’investissent » ! C’est pas faire la fête à neuneu qui pose le plus problème, si c’est comme ça que vous concevez le réjouissement, prenez du bon temps (vous êtes pas obligés pour autant de pomper l’air de ceux que ça emmerde), c’est la chronologie : on n’a qu’à juste dire ça : on fait « la fête », toutes les fêtes que vous voudrez, mais avant, on règle les problèmes les plus urgents. On s’y met un bon coup, et après, on rigole. C’est pas réaliste ? C’est pas vos priorités … Je comprends. Ben alors, puisque la misère des autres c’est pas votre souci majeur (ou seulement le temps d’émouvants discours et déclarations), faites peut-être un peu plus discret sur les grands sentiments humanistes, les envolées lyriques de fraternité universelle. Non plus ? C’est pas comme ça que ça marche ? Les hymnes à la joie et les odes à l’amour, les génies vénérés et le culte des idoles, c’est justement pour donner le change ? Pour pas se rendre compte de la saloperie à laquelle on participe ? C’est malin. On cite Voltaire, la « tolérance », et puis on fout en taule. Pas con ! L’amour du prochain, et hop ! on l’encule. Astucieux. On tresse des lauriers à l’entraide, et on met le paquet sur la compète et la concurrence. Fortiche.

Eh ben, je sens que vous avez pas fini de me faire chier.

 

                                                                                                                           

lundi 1 juillet 2024

Voisins

 

                                                                               Voisins

 

87 –

 J’habite dans un cimetière. Une impasse, on ne peut pas mieux dire. Même les peupliers qui lui donnent son nom sont en fin de vie, ils ont largement dépassé la longévité de l’espèce : il faudra les abattre.

Même chose pour les voisins, en ce qui concerne les dépassements de longévité, du moins. En face, c’est Clinton (mes filles lui trouvent une ressemblance) : aimable, discret, la démarche titubante. Maniaque de la taille de ses haies (ils ont tous choppé la maladie, dans le coin), c’est nickel, mais c’est joli, c’est fleuri.

A gauche, les Chtis. Eux, ont ratiboisé leur parcelle : ils n’aiment pas les feuilles. Dommage d’être venus habiter dans une ancienne pépinière.

 

52 –

 Au début, j’ai pensé que ce serait sympa. Une petite impasse proprette, ça allait nous changer de la frénésie parisienne. La France profonde au soleil. Les voisins nous ont accueillis aimablement. Au début. Le type à côté de chez nous a la tête de Clinton. C’est un maniaque souriant de la taille des haies. Clic-clac, on l’entend avant de le voir. Son jardin est impeccable, on va pas se plaindre. Mais, comme dit Marion, une nuit on va se le retrouver dans la chambre : Clac-clac.

Tout le contraire du fou-furieux d’en face. Chez lui, c’est Bornéo. Il doit tondre une fois tous les huit ans, ses haies partent à l’assaut des maisons voisines. Aimable, au demeurant, quand on l’aperçoit : retraité actif, il remonte sur Paris la moitié du temps. Qu’il dit. On sera peut-être  surpris un jour de découvrir ses réelles activités.

Entre les deux, la maison des Chtis ferme l’impasse. Grosse maison, grosse voiture, le bonjour bourru et épisodique. Il faut dire qu’ils ne supportent pas les feuilles qui tombent, les branches qui dépassent, les haies qui grimpent : chez eux, ils ont tout ratiboisé. Avec le retraité intermittent, ils sont servis.

mardi 7 mai 2024

les mots

 

        Si mon écriture était une couleur, elle serait noire. Invisible. Une deuxième peau. Un camaïeu iridescent. Un kaléidoscope, indexé sur les valeurs de la vie. Rouge rage, bleu espoir, vert mystère, jaune sérénité, gris baveux de l’ennui qui déborde, blanc incandescent de la surface traversée.

Le plus court chemin d’un point à un autre est : l’absence.

Suis-je seul dans cette pièce ? Dans ce pays, sur cette planète à la lumière éteinte ?

C’est comme ça qu’on essaie de découvrir des extra-terrestres. On leur envoie des signes. A travers l’espace. A charge pour eux de répondre. Sans même savoir s’ils existent.

Ou s’ils sont parmi nous. Echange de rites. Formules rituelles, salamalecs : c’est le cri de la sentinelle : « Qui va là ? »

Il faut donner le code, s’identifier, est-ce l’ennemi ? On ne sait pas. Quand l’autre entre en nous, il est trop tard, et c’est tant mieux : il met tout à sac, et nous sauve de nous, de notre nous trop semblable à nous : au plus profond de moi j’éprouve l’appel du large, que mes habitudes se fassent la malle, que ma routine prennent l’eau, que ma mémoire se dissolve. Etre autre. Tant de gens font tellement semblant d’être toujours eux-mêmes. Arpentent leur cellule, circulaire. Des mots pics, des mots tarières, pour creuser un tunnel sous la carapace de l’ordinaire. Des mots béliers, pour ébranler les conventions. Des mots qui ne disent pas, mais qui questionnent.

Il y a tant de mots pour reboucher les mystères. Au lieu de creuser les questions. On commence à percevoir l’autre quand on commence à ne plus le connaître. Perdre identité, comme on perd pied. Ne plus bien savoir la limite entre soi et l’autre.

écrire

 

Au début, entre les mots et moi, ce fut ... je ne sais pas. Ça sortait. C’était une sueur, à la surface indécise de l’âme. Il n’y avait pas les mots et moi, les mots et moi c’était pareil, de la substance qui s’écoulait, un souffle exhalé à la rencontre des autres, sana y penser. Les mots caracolent, sans que j’y pense, jouent à cache-cache, font irruption, se déguisent, fanfaronnent, s’amenuisent ...

De mon écriture, on disait qu’elle était surprenante, précoce, inquiétante (ma grand-mère me craignait fou), envahissante, aberrante. Quand elle n’était que la vie qui court dans les veines. Une tentative pour résoudre l’énigme : le dedans et le dehors. Ce n’est pas si simple.

Les signes griffent la surface de l’apparence. Invocations, incantations. Ce qui est étonnant, c’est que certains aient si peu besoin des mots pour être. Comme si le monde, leur présence au monde, étaient évidentes. Allaient de soi, nul besoin de dire. Leurs mains creusent la terre, et en font naître les moissons. Leurs doigts cousent et recousent, penchés sur le labeur. Le mot est tout au plus aiguille, marteau, scalpel, pioche : il n’a pas de fin en soi.

Le mot pour héler. Ce qui se passe ensuite a-t-il besoin de paroles ?

Ecrire, pour creuser l’énigme. Scruter les entrailles. Certitude (illusion ?) qu’il y a autre chose, à découvrir, à mettre au jour. On écrit parce qu’on ne sait pas ce qu’on a à écrire. Parce qu’il manque quelque chose, qu’on ne sait pas nommer. Celui qui ne manque pas n’a pas besoin d’écrire. Il boit, et sa soif est étanchée. Il dort, et son âme est apaisée. Il rit, et le monde est en fête.

Le mot serait l’exorcisme de celui qui doute. Ou la conjuration. Il y a des mots pour qu’il advienne, et des mots pour tenir à distance. Ce sont peut-être les mêmes.

lundi 22 janvier 2024

Le regard de l’enfant

 

(« Par à-coups éclairés, les cheveux de Maman semblaient trempés dans l’or : la petite ne pouvait s’empêcher de les regarder, comme en état d’hypnose. »)

Comme un halo autour de sa tête. Un brouillard de fils d’or. Un ballet de lucioles. Et ses yeux bleus, toute douceur, rien que pour elle. Rien que d’amour. Maman était une créature divine, née du ciel, descendue du ciel pour elle, et son sourire. On ne pouvait avoir envie de rien d’autre que de son sourire. Quand son sourire s’entrouvrait, le monde s’illuminait. Cessait d’être rempli d’ombres, inquiétant de menaces, inconnu, trop grand. Le sourire de Maman dissipait toutes les ombres, remettait tout à sa place, faisait le monde juste comme il doit être, bien rangé, bienveillant, comme sa chambre avec ses poupées gentiment alignées autour du jeu de marchande. Le sourire de Maman. Sa voix dorée, quand elle disait une parole de louange, ou d’encouragement, et ça devenait d’un coup facile, ce qu’on n’arrivait pas à faire, la voix de Maman, grave et douce, transformait l’impossible en facile, hop, les objets et tout le reste se mettaient à lui obéir, sa voix de Princesse.

Elle suit la ligne claire du nez, le creux des lèvres, le cou, qui sépare l’air en deux.

Jusqu'à une petite tache, en bas du cou, au creux, un petit mystère, caché de tous, qu’elle ne se lasse pas de redécouvrir. Maman dit une fantaisie de jeunesse, et elle rit, son regard brille un peu plus. C’est un petit dessin très joli, et très petit. Presque rien, on pourrait croire à un grain de beauté, à une concentration du grain de la peau très fine : ça fait comme deux petites gouttes, qui tomberaient vers le haut, avec des ailes, quand Maman bouge l’épaule on croirait qu’elles se mettent à voler, c’est son petit secret, l’étoffe de son corsage le dissimule. Elle adore dévaler le cou de Maman de baisers, repousser un peu le tissu, comme par mégarde, et découvrir encore le mystère de ces petites bulles d’encre, s’extasier qu’elles soient encore là, qu’elles ne se soient pas encore envolées, qu’elles se soient envolées mais qu’elles soient encore là.

Maman est ce qu’il y a de plus important dans le monde. Et elle sait qu’elle aussi, elle est importante : parce que c’est Maman qui l’a faite.

Félicité

 

Miroir étale, planitude claire, lumière. Lumière bleue du ciel, au-dessus, tout autour, lumière blonde du soleil rebondi sur les gouttes.

Irisations.

Espace, de tous côtés du miroir plan. Je l’entrouvre.

Je m’y glisse. L’eau glisse sur ma peau, deuxième peau, peau liquide autour de ma peau de chair. Mes jambes disparaissent dans l’en-dessous, perceptibles, encore, mais diffuses.

J’avance dans la masse douce et semi-transparente, je me plonge un peu plus, ruissellement cristallin des ondes d’eau autour de mon étrave. Liquide amniotique jusqu’en haut de ma poitrine, contre mon cou, le bout de mon menton, mes lèvres affleurent le fluide tiède, je me dissous un peu, s’atténue la claire conscience de mon corps, s’efface l’évidence de ses limites, contenu et contenant, je ne sais plus si je suis dans la mer opale, ou si je suis elle, ou si je suis autre, espace, multiple syncrétique de ciel, d’eau et de sang.