samedi 16 juin 2018

Retour à Bollène, de Saïd Hamich

On suit avec plaisir et intérêt ce retour de l’enfant prodigue (le thème n’est pas sans rappeler celui de la très belle pièce de Nasser Djemaï, Vertiges), retour sur ses traces, regard paradoxal : c’est la Provence (celle des « quartiers », du traditionalisme musulman et de l’extrême-droite) qui devient « l’étranger » où on voyage, qu’on observe, comme un processus curieux et inquiétant. Pas d’idéologie ni de prosélytisme dans le regard du réalisateur, mais une tendresse inquiète, critique et désabusée.
Un film « simple » (et court) par sa forme, qui suggère beaucoup, dessine les ombres possibles du futur, et, avant tout, (nous) s’interroge.

mercredi 13 juin 2018

Le dernier homme



                                              


            Sur le bord du rivage. Le clapotis du lac. Comme un silence. Mes doigts ramassent une tige de bois. Plus qu’une brindille. Une branchette. Comme un tronc à deux fourches en miniature. Qui ne signifie rien.

De l’autre côté du lac la cime des arbres coiffée de brume.

Comme un voile de couleurs devant les yeux.
Je vois le monde.
Incrusté dans le paysage gris, bleu froid, qui m’entoure, un  tourbillon de jaunes et d’oranges.

Je suis seul au monde.
Humanité effacée de la terre, à jamais, sans une trace.
Peut-être, çà et là, dans un désert, une pierre griffée, où l’espèce qui nous succèdera croira lire des runes.

Je reste assis sur le bord du rivage, à même les lichens, la lumière grise et froide, dernier homme. J’ai rêvé le monde, j’ai rêvé l’histoire du monde. J’ai rêvé les Pyramides. Le choc hurlant des batailles antiques. Les bulldozers qui rasent les bidons-villes. Les tours de verre et d’acier à l’escalade du ciel. Les enseignes clignotantes. Les marées d’automobiles, flux et reflux de l’épuisant labeur.
Si je veux, je peux inventer. Nul ne saura si j’ai menti. Je peux prétendre que nous avions des objets qui volaient. Que nous étions servis par des esclaves d’albâtre. Que nous étions tous rois. Tous mendiants, tous voleurs. L’oubli est notre tombe. Nos mots de néant sont retournés au néant. Il y avait les livres, tant de livres, que nous faisions témoins de nos mensonges. Leurs pages sont redevenues blanches. Ensuite elles se sont enflammées. Se sont tordues comme des hélices de colère. Elles se sont faites cendres, grises amères. Et le vent a dispersé les cendres.

Après nous, personne, car ceux qui viendront ne sauront pas que nous avons été. Un jour, peut-être, ils nous imagineront, nous rendront forme à la fantaisie de leurs hypothèses. Ils nous inventeront, quand ils en ressentiront le besoin.

Je sens le lac, l’eau qui remue faiblement, l’air au-dessus qui crépite.

Puis plus rien.

dimanche 1 avril 2018

Mektoub My Love, Kechiche



 Mektoub, My Love : Canto Due
Mektoub My Love : Canto Uno


Immersion en territoire de « djeun’s basiques »

Intéressant, mais il faut s’accrocher : 3 heures, c’est long. Des scènes étirées jusqu'à l’interminable (mais dans la vraie vie, c’est encore plus long …) au ras de ces relations standardisées : ça bavarde, souvent du désir, ça baratine, ça picole, ça danse … Une conception élémentaire et vide de « la fête », que semble contempler de loin, perplexe ou gêné, le personnage principal, Amin, apprenti réalisateur.
Performance des dialogues : pas une seule réplique « intelligente », qui ait un contenu, qui soit personnelle, en fait, dans tout le film. Kechiche scrute et reproduit ce commerce de phrases toutes faites, de commentaires stéréotypés, de banalités sur « la vie et l’amour » qui constituent la (fausse) monnaie de ces relations mécaniques vécues par (notamment) une grande partie de ces jeunes qui prennent la convoitise pour de l’amour, l’ivresse alcoolisée pour de l’extase, et la consommation pour le bonheur.
Les deux personnages qui échappent (en partie, et comme malgré eux) à cette surexcitation vide (pittoresque performance de l’oncle, en libidineux toujours bourré, toujours réjoui, toujours éconduit, pure tchatche ; ou encore Tony, séducteur en série, stakhanoviste triste de la baise, hâbleur pour oies blanches) restent ou sont rejetés en marge, vaguement en recherche « d’autre chose », et ouvrent le film dans sa dernière séquence.
Vu au premier degré par des spectateurs qui y retrouvent leur mode festif, c’est ironiquement un éloge des plaisirs de la consumation qui est perçu : comme si, à la longue et bruyante scène de la discothèque, où les filles essaient en quelque sorte désespérément « de faire signe en trémoussant leurs fesses », ne s’opposait pas celle (pas plus elliptique !) où Amin photographie l’accouchement des brebis.
Document ethnographique si l’on veut, ou sociologique (performance d’une reconstitution pointilleuse et efficace), soutenu par un beau choix de musiques, de Bach au rock en passant par la techno.