samedi 8 août 2015

Sexe Libre !



La libération sexuelle n’a pas eu lieu.

Une libération timide, peut-être, marginale et formelle. Quelques pseudo-audaces qui masquent la peur persistance du sexe. Le sexe, ça reste « mal », c’est encore « sale ».
On se la joue « libéré », mais c’est de la frime. Comme les « rebelles » d’apparat arborant la bobine du Che sur leurs T-shirts. Du toc, de l’intox, de l’auto-mystification.

Sauf sur quelques stations branchouilles, dans la réalité, dans la « vraie vie », on ne parle pas sexe, si ce n’est en pouffant, ou en se la jouant beauf sévèrement burné dans les vestiaires.
Entre amis, on s’invite à manger, pas à baiser. On se demande si on a bien dormi, bien roulé, passé de bonnes vacances, jamais si la baise a été bonne. On parle du dernier film, pas des dernières positions essayées : et pourtant, nous en aurions, des « recettes » à échanger …

Les Puritains hypocrites (pléonasme) invoquent la délicatesse, le « respect de l’intimité », la décence, le savoir-vivre … Mon cul !
On ne parle pas de baise, de sa baise, de la baise de l’autre, pour ne pas remuer le couteau dans la plaie. On peut s’étendre sur la recette du délicieux canard de Tante Alberte, se répandre en dithyrambes sur le « ravissant vase en céramique ramené de Tunisie », parce que ça ne mange pas de pain : pas de risques, pas d’enjeu.
Mais dire à une copine (pire, à une inconnue !) au décolleté faussement offert : « j’adore tes seins, je rêve d’en caresser le velours », ça ne se fait pas, ce serait opération suicide. Ça manquerait de tact.
Ce serait vulgaire. Le puritain (qui s’ignore et s’en défendrait, si on lui suggérait le diagnostic) projette ses refoulements sur la pulsion sexuelle : il la voit « sale » par ce qu’elle lui évoque de turpitude, il ne se rend pas compte que c’est la honte qu’il en éprouve qui lui fait percevoir une bite turgescente, une vulve entrouverte, des seins érigés plus condamnables ( ?) et scandaleux qu’un bras, des cheveux, un nez.

Il y a une géographie des tabous du corps. Beaucoup savent ce qu’elle a de variable, de relatif à la latitude et la « culture » d’un pays, aux dogmes assénés, instillés tout au long de l’enfance, mais rien n’y fait. L’interdit en vigueur paraît au vulgum pecus un horizon indépassable. Ça ne se fait pas.
Que dans les pays les plus rétrogrades, au nom d’un Islam pour le moins subjectif, ce soit les cheveux qu’il faille absolument dissimuler en plus du sexe et des seins, voire tout le visage, le corps tout entier, qu’ailleurs ou en d’autres temps la cuisse ou le mollet, le téton ou le ventre aient pu donner lieu à licence ou proscription, ne lui donne toujours pas à penser : son interdit à lui, dans le code de sa culture, qu’il croit intemporel et imprescriptible, ça ne se fait pas. Montrer ses seins (ce sont surtout les femmes, qui ont à subir les interdits catégoriques en matière de dissimulation des parties du corps : voilà qui devrait donner matière à réfléchir à cette nouvelle sorte de « féministes » qui loin de continuer à vouloir « brûler leur soutien-gorge » comme leurs devancières des années 60, crient à l’oppression des femmes à la moindre exhibition charnelle), c’est impensable : c’est, justement, quelle que soit la partie sur laquelle se focalise l’intention répressive, impensé.
En quoi la vision d’un homme qui bande, d’une femme foufoune à l’air, d’une fellation (ou, oui oui d’un cunnilingus, ça va sans dire mais pas pour les obsédé(e)s du rituel de la parité) constituerait plus « un manque de respect » (de qui ?) que celles quotidiennes de la misère, de l’incivilité, de l’avidité.
Qu’est-ce qui devrait plus susciter l’indignation, pour un humaniste rationnel et dégagé des préjugés de toutes confessions : une Femen seins à l’air, ou un clochard dormant (ou crevant) sous les pas des passants ?

« Ça n’a rien à voir » s’exclameront les bien-pensants qui préfèrent s’ignorer (je ne parle même pas des culs-bénits qui auront déjà brandi crucifix et fatwahs). « On peut très bien condamner l’un et l’autre »

Sauf qu’au quotidien, c’est l’un, et pas l’autre, qui déclenche les ires. Les dépôts de plainte, les indignations, sous d’autres latitudes les jets de vitriol et les lapidations. C’est l’un qui est légalement interdit, pas l’autre. On a les « respects » qu’on peut. Balancer une famille de crevards à la rue ; renvoyer à leurs famines et à leurs guerres civiles des clandestins ; mettre des populations au chômage pour « optimiser la rentabilité » ; etc, etc, ad nauseam : ça, c’est légal. Mais montrer son corps ! Oh non ! Ce serait insupportable ! On a les priorités qu’on veut.

Ça a à voir. Malgré tout. Si on veut bien se donner la peine de se poser la question.

Ce n’est peut-être pas un hasard si les religions répressives (les systèmes répressifs de façon générale : la société soviétique ne leur cédait en rien sur ce plan-là non plus) ont cette obsession « de la chose », font une fixette sur la zigounette, confondent sexe et diable, et voient avec angoisse toute femme (non voilée) comme une Eve tentatrice.

Pas une coïncidence non plus si l’athéisme, au XVIIe siècle, associe dans le même terme de « Libertinage » l’aspiration aux libertés de conscience et de concupiscence.

A l’inverse il serait chimérique de donner symétriquement au sexe et au corps une importance démesurée, particulièrement comme vecteur de libération. On voit mal pourquoi et comment la liberté de se promener à poil ou de s’envoyer en l’air protègerait magiquement des oppressions, encore moins de l’esprit même d’oppression (comme ont pu – ou voulu – le croire certains dans les années 60). Se balader la quéquette à l’air ne saurait constituer un certificat de liberté intellectuelle. Il y a de fausses libérations comme il y a de faux sens de la pudeur. Tartuffe est toujours un hypocrite : qu’il susurre « Cachez ce sein que je ne saurais voir », concupiscent honteux, ou qu’il clame « Exhibez ce sein que je ne saurais ne pas voir. » Les libertés obligatoires ne sont que des contraintes qui se travestissent. Une vertu proclamée, se prétendît-elle libertaire, est pour la galerie, et d’abord l’intérieure.

Mais enfin repenser la place du corps et du sexe (car c’est bien cette relation qui fait problème : le corps « sans sexe » - ou présenté comme tel -, il a droit de cité. Dans le sport, dans l’art, il lui est permis de s’exhiber – et aux spectateurs de se rincer l’œil en loucedé), s’interroger sur la légitimité rationnelle des interdits (ce qui ne revient pas à les rayer d’un trait de plume : arbitraires et répressifs, ils n’en remplissent pas moins des fonctions – on n’ouvre pas impunément la boîte de Pandore. Libérer le sexe, on le sait bien, c’est, littéralement, jouer avec le feu), revoir le mode de nos comportements, ça n’est déjà « pas si mal ».

L’interdit du corps et du sexe est à la fois le produit, le symptôme et une source des structures répressives de notre société. L’examiner, c’est faire apparaître des blocages plus profonds, mettre à jour et à nu des représentations aliénantes.
A commencer par celle de « l’amour ». Et de ce qui s’ensuit : le couple, le mariage, la famille. « Amour » construit, en couches historiques successives, du Christianisme obsédé de transcendance au Romantisme ivre d’absolu, par exemple, sur le mépris et la détestation du corps : plus « pur » s’il est chaste, plus vertueusement constitué de « sentiments » que de désir sexuel. Trajectoire intrinsèquement vouée à l’hypocrisie : parler d’amour, pour pouvoir le faire.

Honni soit qui sexe y pense, même « s’ils ne pensent qu’à ça » (et si le ça en question se révèlera parfois bien décevant : parce qu'il n’est pas que ça ; l’interpénétration ( !) du corporel et du psychique dans la complexe alchimie sexuelle est désormais une évidence pour ceux ont laissé de côté leurs peurs rances. Ce qu’ont depuis longtemps perçu certains mouvements religieux, que l’on pense au Tantrisme indien ou au Soufisme, où le divin et le sexuel ne s’excluent pas, mais au contraire s’atteignent l’un par l’autre. L’extase concerne l’un et l’autre plan.)

L’Amour est forcément Unique, comme la divinité imposée. Tu n’auras qu’un seul Dieu, et, en Occident du moins (depuis sa Christianisation), qu’une seule épouse. Une seule à la fois ; double impératif de l’unicité, temporelle et spatiale : sont également condamnés le fait d’avoir plus d’une femme dans sa vie – relations extra-conjugales – et dans le même lit … Pourquoi … ?
On comprend sans trop d’effort ce qui est « mal » dans le fait de tuer, de frapper quelqu'un, de lui voler quelque chose, de lui parler de façon injurieuse … La raison est la même : on lui fait du tort, c’est « mal » parce qu'on lui fait mal, qu’il le dit et que nous éprouverions nous-mêmes la même chose.

Mais se faire jouir … ? S’apporter du plaisir, de la joie ? Frotter ses peaux, là où ça fait du bien, la douceur, l’humanité des peaux ? La lumière des corps nus ? Comment peut-on être tordu au point de voir du « mal » là-dedans ? Quelle peur ou quelle haine faut-il avoir du plaisir et du corps pour ressentir comme sales des actes aussi magnifiques ?

Le sexe peut être sale, glauque, abject : n’en faisons pas à son tour un objet de culte. (la religiosité, l’attitude qui consiste à vénérer plutôt qu’à penser, discuter, interroger, se glisse vite partout, y compris dans l’irréligiosité – voir par exemple les grands-messes où communient les formations « d’extrême-gauche » …)
 Essentiellement quand il est contraint, forcé, quand il n’est pas réciproquement consenti, ou mieux, ardemment désiré par la totalité des participants (de un à l’infini …) Quand l’acte sexuel résulte de la contrainte : qu’elle soit physique (et psychologique bien sûr), dans le viol, mais aussi bien économique ou sociale … comme dans certaines situations du mariage, de la prostitution, voire de « séductions » ressenties d’abord comme libres mais procédant en réalité d’un ascendant social ou psychologique (la jeune naïve éblouie par les charmes frelatés du Séducteur à grosse voiture/situation prestigieuse/forte personnalité … – on veut bien croire que la réciproque existe aussi : je ne me soumettrai pas dans la singerie en vogue qui consiste à tout écrire rituellement en double (en triple ?) pour conjurer toute suspicion de sexisme ou d’homophobie ; mon énonciation est clairement masculine et hétéro, aisément transposable quand ça fait sens aux situations féminines et/ou ( ! « et-et-ou- ou ! », crie le hibou) homosexuelles. Bref, démerdez-vous. 

Le sexe, comme toutes les autres relations entre humains, peut être glauque et triste et dégueulasse. Il n’est pas en soi gage de bonheur ni de jouissance. Mais lorsqu’il est sale, il ne l’est pas en tant que sexe, parce que sexuel : il l’est comme toutes les sales relations qui peuvent se nouer, quand prévalent rapport de force et prédation. Dans le sale boulot qui enchaîne à son poste aliénant, dans la vie de couple et en famille quand elle tourne à l’ennui ou au conflit …

Aux prochains épisodes :

Ø  - aimer deux (trois) femmes (hommes : ne recommencez pas !) à la fois, c’est possible ?
Ø  Baiser comme on respire – les sex friends – l’utopie sexuelle
Ø  « Pourquoi » le sexe, le corps, « c’est mal » (l’enfer du décor : quels risques pour une sexualité libérée)
Ø  Les Naturistes, libres de leurs corps, vraiment ? L’imagerie : les faux-nez de la liberté sexuelle.

mercredi 29 juillet 2015

Laurie Colwin, Famille, tracas & Cie

(A big storm,                    1993)
Edition française : Autrement,    2005

Intéressant mais m'a moins  plu :
moins net que le précédent, plus emberlificoté, beaucoup de noms de personnages, m'y suis perdu. Les angoisses d'une femme qui vient de se marier : son mari, sa famille, ses amis, son boulot …


Laurie Colwin, Une épouse presque parfaite

Edition française : Autrement,    2004

Très intéressant :
analyse fine des affres d'une bourgeoise conformiste et formatée dé-rangée par les tentations du désir.


lundi 22 juin 2015

Perpète à Lagny



A l’année, je perche à V D. Les Baumettes de Lagny.
J’ai pris 40 ans, autant dire perpète. Ces salauds, ils viennent de me rajouter encore 2 ans, tu parles d’une remise de peine. Ça a servi que dalle de se tenir à carreau.
La bonne nouvelle, c’est que je vais bientôt revoir le soleil. Tous les ans à la même époque, je bénéficie d’une sortie conditionnelle, et je m’échappe de ce trou à rats, de ce mouroir des esprits.
Après, faut rentrer, faut renoncer au petit miracle de la liberté, c’est comme se scier la main soi-même, mais jusqu’ici, j’ai toujours réussi à me forcer, j’ai fait le raisonnable, j’ai résisté à la douce folie de les planter là, tous, de me faire la belle, la définitive.
Ils te rattrapent toujours. Rêve pas.
Mais bon, ces quelques jours, c’est bon à prendre, c’est de la respiration en plein ciel, de la lumière que tu attrapes à pleins poumons pour les jours gris.
Après, c’est des corridors de longs mois, à se traîner en files avec les autres zombies ; à avaler la crasse de la taule, à cuver de la bêtise par litres, à côtoyer des sourires cauteleux de ceux qui pensent qu’à te soustraire ta pitance, par envie, ou juste par désoeuvrement, la consolation âcre, pour les damnés, d’être malfaisant. Tu es noyé dans le silence bavard des prisonniers qui ne parlent plus que des mots mécaniques. Tu as la répétition des jours inutiles qui te broie, les regards vides, les cérémonies solennelles et crapuleuses, tout ce sérieux, qui tient bien serrée toute cette tension … Le dirlo dit : « on est tous une grande famille. » Sérieux.
Y a les copains, quand même, quelques virgules de rigolades. Il n’y a pas d’enfer sans taches de lumière. Sans les bons moments, peut-être qu’on aurait crevé plus vite, un mal pour un bien. On sait, la plupart, qu’on sortira que les pieds devant. Que ça n’aura pas de fin, cette histoire, sauf à la fin.
Mais mon copain Frédo, Frédo l’Embrouille, lui, il s’accroche à son idée, il démord pas, il veut pas lâcher. Puisqu’on en est là, autant faire avec, il dit. Autant s’y faire, à quoi bon garder la hargne ? Alors Frédo il va aux séances de ciné-club, aux ateliers de réinsertion et à l’entraide des taulards …
Et il me tanne pour que je m’y pointe itou.
Là, ce qu’il s’imagine, c’est que je revienne au tombeau pour pas manquer sa petite fiesta : sûr que ce sera un moment de pure rigolade, ce qu’il a concocté, mais il imagine que pour 5 minutes de nouba je me retaperais toute la nuit des morts-vivants ? Que pour quoi que ce soit je remballerais mon chemin de la liberté ?
C’est un obsédé de l’optimisme, mon Frédo. Moi, des fiestas, avec lui ou quelques autres potes, autant qu’il en veut : mais entre nous, dans un rade bien joyeux et pas contaminé ; pas au milieu de tous ces crevards, ces mouches à merde, ces pue-la-mort, ces peine-à-jouir, ces tronches d’avortés, ces trognes d’embaumés !
Lui, il répète : « tout ce que t’as à faire, c’est de le prendre dans le bon sens. Pourquoi tu t’obstines ? Ça te sert à quoi ? Ça te sert à que nib. Nage dans le sens du courant. »
Si on veut, il a pas tort.
Juste comme une carpe qui conseillerait à un kangourou de faire la planche, et de se laisser glisser.
Pour lui, ma vindicte, c’est du style, juste un choix de tapisserie. Pas un truc au fond de la peau, qui t’explose dans les tripes, le genre de rage qui te fout la moelle à l’envers.
Ce qu’il peut pas admettre, c’est que la gerbe, ça se commande pas.
Un de ces jours, il me trouvera pendu dans les chiottes, la langue bien bleue déjà, et tout ce qu’il trouvera à me dire, c’est : « Bon allez, descends de là, ramène-toi en vitesse ! Tu nous fatigues, là ! »
En attendant, à moi la belle.