Parfois, le couple "est coûteux".
Vivre en couple, c’est
mieux. Mais pas toujours.
Ça dépend comment.
Et avec qui.
Ça dépend de
comment on a choisi le « avec qui ».
Ambivalence
de l’agrément de la vie en couple
La
vie en couple présente d’évidents agréments : échanger, partager, entendre
l’altérité de l’autre, qui nous stimule, nous signale des aspects du monde
peut-être imperçus ; agrément relatif à l’adéquation de cet autre à notre
système de valeurs.
Et,
simultanément, (et cela croît souvent en importance avec le temps passé
dans cette relation) l’autre est aussi source d’inconforts, plus ou moins forts
selon nos concordances.
Par exemple, celle
des moments : de manger, de parler, de se taire, de dormir, etc ; et
évidemment celle des contenus (manger quoi, parler de quoi, aller où, faire
quoi).
Comme
deux curseurs, agrément et désagrément varient en proportion de notre
« ressemblance » avec cette autre personne (quel que soit d’ailleurs
le type de relation : amicale, professionnelle, amoureuse …). Notion « d’homogamie » :
la relation peut être plus harmonieuse, la communication plus facile avec quelqu'un
partageant les mêmes « coordonnées » culturelles : pays, milieu
social, croyances, etc.
Pour
que ça marche, la relation de couple, et que ça marche « le mieux possible »,
de la façon la plus épanouissante, la moins aliénante possible, il vaut mieux
renoncer à un angélisme souvent véhiculé par les discours ambiants : l’amour,
la séduction, ciments indispensables, ne font pas tout, ne suffisent pas à
créer une relation durable.
L’affection qu’on porte à
quelqu'un peut modifier cette variable de compatibilité, mais pas
essentiellement : même avec ceux qu’on aime (exemple de parents et
enfants), la relation demande un effort
d’adaptation, dont la gêne croît avec la durée. Vivre avec quelqu'un, c’est ne
plus être tout à fait soi, c’est perdre, au moins temporairement, des aspects
de soi, rythmes de vie, activités, pensées, envies …
Une première solution
facile à ce caractère « polluant », altérant de la relation à
l’autre, ce sont les séparations temporaires : à chacun de revenir à soi,
à ses rythmes, son modus vivendi, avant
d’arriver à saturation.
A
ces effets « mécaniques » de l’altérité s’ajoute le «degré
d’égocentrisme » des partenaires : moins quelqu'un prend en
compte la différence de l’autre, plus il se contente d’en rester à son tempo,
de satisfaire ses envies, plus son côtoiement est potentiellement pénible, et
rapidement, quelle que soit notre affection pour lui.
Dans
le couple, ces effets sont sur-multipliés, du fait de la permanence du
côtoiement, de manière intrinsèque, c'est à dire quels que soient les
partenaires.
La vie de couple
est simultanément (et successivement) pénible et agréable ;
source de contrariétés et de joies.
La proportion des
unes et des autres dépend du comportement des partenaires, et de la façon
dont ils se sont choisis.
Le
« choix » du partenaire
Deux
critères motivent notre choix.
Le deuxième est
souvent négligé, sous-estimé.
Le plus évident est celui de la
« séduction », tant physique que psychologique, intellectuelle, etc. On
la perçoit au plaisir apporté par l’autre.
C’est
souvent cette séduction que nous appelons « amour » : il faut
qu’il y ait ce « je ne sais quoi » chez l’autre, ce trouble, cet émoi
qui nous attire, nous stimule. Dans notre conception « moderne » du
couple, l’absence de cette « épice » engendre la lassitude, l’ennui.
Malheureusement,
cette séduction peut varier avec le temps, et s’atténuer : quand elle est
due à des paramètres qui changent (par
exemple le physique, ou le comportement ; elle peut donc aussi à l’inverse
« s’entretenir », ou se déplacer d’un domaine à un autre : ce
qui plaisait au premier abord s’atténue et est remplacé par une autre qualité,
découverte ensuite), et plus encore quand elle procédait d’une illusion :
si on surestimait chez l’autre telle qualité, dont on découvre l’absence, à
l’épreuve du temps.
Cette séduction
constitue un fort élément d’attraction, mais elle n’est pas stable, donc pas
suffisante pour pérenniser la relation.
(Il faudrait aussi
aborder toutes les « fausses séductions », les effets inconscients de
nos failles psychiques qui nous poussent parfois vers « la mauvaise
personne » : par exemple un conjoint indifférent « choisi » justement « pour réparer »
l’image d’un père ressenti comme indifférent – situation où le
« scénario » blessant est rejoué, dans une tentative désespérée d’en
modifier le dénouement ; ou « le garçon gentil » choisi parce
que ressenti comme moins risqué par rapport aux capacités de séduction qu’on s’attribue
…)
Interroger les
« mauvaises raisons » qu’on a de trouver quelqu'un séduisant
constitue un grand pas vers la lucidité.
Le
deuxième critère est la « concordance » (parfois représentée
comme « ressemblance ») : elle est plus ou moins étendue, elle
constitue la « liste » des activités qu’on aime en commun, et qui
permettra de faire ensemble, et de faire des choix communs.
Cette
notion de ressemblance est subtile et complexe, puisqu’il ne suffit pas
« d’aimer une même chose », encore faut-il « l’aimer de la même
façon » : par exemple, aimer l’un et l’autre telle musique n’implique
pas que les deux auront le même degré d’implication, les mêmes désirs
d’investissement en temps, en argent, etc.
C’est la classique
question des vacances : mer ou montagne ? Sportives, ou
paresseuses ? Et elle vaut pour tout, engage et complique chaque choix,
par rapport à la vie célibataire : habiter en appartement ou dans une maison ?
Propriétaire ou locataire ? Couchés tôt ou tard ? A l’infini …
Et chaque
jour ; à chaque instant : des arbitrages à prononcer.
Cette concordance
initiale, on n’en découvre la portée que peu à peu, au fur et à mesure de la
vie de couple.
A la séduction
initiale, première, peut succéder plus ou moins vite l’amertume de
l’incompatibilité.
Tout dépend de
« la qualité » de cette concordance : si les deux conjoints ont
su se choisir (et ont eu la chance de se rencontrer !), par-delà l’effet
brouillant de la séduction (« brouillant » au sens où les délices de
la séduction masquent et poussent à négliger les questions de la concordance),
suffisamment « semblables » dans leurs valeurs (ce à quoi ils
attachent de la valeur, ce qui vaut d’être fait), leur vie commune demandera
évidemment moins d’efforts d’ajustements.
La
recherche de l’adaptation
Finalement,
c’est une troisième caractéristique qui va faire toute la différence :
l’adaptabilité des deux partenaires du couple.
Quelle que soit
l’adéquation, l’étendue de la ressemblance, « il y a un reste » :
ce qu’aime l’un et pas l’autre, et, plus difficile, ce qu’aime l’un et que
n’aime pas l’autre.
Cela peut porter
sur des choses « infimes », mais essentielles parce que quotidiennement
répétées : la capacité des deux partenaires à « négocier » le
choix final sera déterminante.
Cette capacité de
dialogue nécessite une première condition : être conscient de cette
divergence de désirs, et à percevoir l’égale validité du désir de
l’autre !
Beaucoup de couples
butent là-dessus : c’est la position de l’un qui l’emporte, et celui-là ne
se rend même pas forcément compte que l’autre était dans un autre désir (« c’est
comme ça que les choses se font » : forte est notre propension à
universaliser les habitudes et les préférences de nos famille, région, milieu,
à ne pas supposer possible, ou légitime, une alternative … On mange à midi, ou
à une heure, on part en vacances à l’hôtel, ou chez la famille, on dépense pour
acheter des meubles, ou au contraire on fait à l’économie … Myriades d’appréciations,
de galaxies aux valeurs différentes, de micro-jugements rendus perçus comme des
évidences : et d’autant plus in-discutables …).
Et celui qui a
« cédé », pas davantage, parfois : emporté par la force, la
« contagion » du désir du « dominant », il n’a même pas perçu
parfois l’existence d’un désir autre au fond de lui ; ou alors à peine,
comme une possibilité presque coupable, vite abandonnée ; ou un regret,
après coup.
Il n’y a pas
« un coupable » : il y a juste le mécanisme aveugle d’un système
psychique de deux personnalités articulées.
Dans toute
relation, occasionnelle ou durable, amicale, professionnelle ou amoureuse, le
même jeu en partie inconscient, involontaire, intériorisé comme allant de soi,
ce même rapport de forces, ce bras de fer entre deux pulsions désirantes, qui
rejouent tout le passé de chacun des deux protagonistes, « là où il en
est ».
Dans beaucoup de
cas, la messe sera dite, le système se règle par défaut, rapidement : le
plus « égocentrique » impose sa position ; parce qu'il
« veut plus », parce que ce « n’est pas assez important »
pour l’autre pour qu’il bataille, ou parce qu'il « n’a pas eu le
temps » d’entendre son propre désir, ou parce que céder sur ce point est
finalement moins important que la tension du conflit, la peur de la lutte de
l’autre, les conséquences, etc.
Dans un tel schéma,
si l’un impose (et surtout s’il ne s’en rend même pas compte) son mode de vie
(activités, horaires, lieux, plaisirs, personnes, etc) à l’autre, à terme les
deux sont perdants. Celui qui « prend sur lui » vit frustration après
frustration (éventuellement sans s’en rendre compte), ne s’épanouit pas, au
mieux s’étiole. Il risque d’y avoir un moment de rupture, où la personne lésée
(mais avec sa « complicité », au moins son laisser-faire) ne supporte
plus la perte des satisfactions attendues.
Même si ce point
n’arrive pas, ou tard, les tensions, les insatisfactions produisent un climat
morose, ou tendu, une succession d’escarmouches, sortes de simulacres de
« rébellions » ; il n’est pas rare que celui qui « cède en
général » le fasse « payer à l’autre » sur un autre plan :
ce peut être le cas de femmes financièrement ou psychologiquement dominées qui
pratiquent en rétorsion la privation sexuelle, ou le dénigrement privé ou
public.
Les
choix des attitudes
Il n’y a dans cet
« état de guerre » naturel, propre à toute relation humaine,
rien d’inéluctable, mais inversement rien ne permet à cette situation de se
résoudre d’elle-même.
Les
« solutions » ressortissent aux points qui font problème.
D’abord le
« choix » du partenaire : une concordance « minimale »
(évidemment impossible à définir : mais rapidement « éprouvée »
dans la vie du couple) permet des moments et des choix communs.
Ensuite la
recherche de l’écoute (percevoir ses besoins et ceux de l’autre), le dialogue,
la négociation : la recherche du meilleur compromis, celui où les deux
sont le plus gagnants ; qui passe parfois par la dissociation : le
choix d’une activité, d’un lieu, etc, qui font débat, ne s’impose pas forcément
comme unique et commun ; chacun peut et doit nécessairement, sous peine
d’asphyxie du couple, et d’écrasement des personnalités, mener aussi sa vie.
Ce qui constitue un
3e moyen d’aération : beaucoup de couples étouffants
fonctionnent dans le tout ou rien, une symbiose appauvrissante : il
faudrait tout vivre en couple.
Alors que le
« curseur » de la vie ensemble offre une grande variabilité
d’ajustement aux situations de chacun et aux variations dans le temps : la
relation de couple, c’est d’abord une « idée » (une représentation de
ce que « doit » ou pourrait être la vie en couple), qui ne s’incarne
que dans les formes que chaque couple veut décider. Là encore, beaucoup de
marge entre un « tout » illusoire et le « rien » :
aucun couple ne passe tout son temps au même endroit à faire la même chose …
Chacun de ces trois paramètres, temps, lieu et activité peut être dosé à
l’infini : et chaque configuration apporte son lot d’agréments et de
désagréments. Habiter dans le « même lieu » (notion elle-même
relative et aménageable : chacun peut avoir ses espaces) oblige à
« baigner » dans l’univers de l’autre, se confronter à son tempo,
mais offre, outre des avantages pratiques (c’est aussi ça, le couple : une
alliance face aux difficultés de la vie en société, notamment financières),
toute l’intimité du partage.
Au fond, tout
redevient possible, « ajustable », « réglable », adaptable,
à partir du moment où aucun des deux n’est dans l’illusion idéaliste, enfantine
(le fantasme d’une symbiose, d’une fusion spontanées – maternelles !), que
le couple « va de soi », se fait tout seul, que l’entente est
automatique et éternelle. Dans la peur de nommer ce qui ne va pas, par une
sorte de sentiment de sacrilège, comme si c’était être en faute que n’être pas
en accord, sans avoir eu à fournir l’effort mutuel, répété, tâtonnant de la
recherche de l’accord.
Vivre en couple ce
n’est pas être en accord : c’est
avoir le désir commun d’y parvenir.
Il s’agit pour cela
d’être suffisamment sensible à la dimension de « lutte », de conflit
potentiel, de concurrence inhérente à la relation humaine.
Il ne s’agit pas
d’être cynique, mais de sortir du champ « moral » pour se situer dans
l’observation, le comment ça se passe, la relation humaine.
Ce n’est pas une
question de « méchanceté » ou de gentillesse, tous les organismes
vivants sont comme ça, « il faut qu’ils le soient », parce que c’est
la condition de leur survie : se soucier de leurs intérêts.
Ça ne veut pas dire
ne se soucier que de son intérêt, mais de veiller toujours à le
protéger ; en général, nos intérêts divergent, sauf coup de chance …
Dommage, mais c’est comme ça : notre liberté, c’est de voir ce qu’on fait
de cette situation ; faute de la considérer, certains se comportent comme
des prédateurs, des profiteurs, et d’autres comme des proies (ou des poires).
Il n’y a personne à qui en vouloir : on ne va pas traiter son chien de
salaud parce qu'il a bouffé le rôti qu’on a laissé par terre … On protège son
rôti, pas parce que ce chien est « un vilain égoïste » (position
moralisante qui débouche sur l’affrontement stérile des récriminations), mais
parce que c’est sa « nature de chien » de bouffer les rôtis qui
traînent ; de ne pas résister à la pulsion désirante.
Beaucoup de gens ont
du mal à résister à leurs pulsions désirantes ; peut-être parce qu'elles
sont particulièrement fortes ; ou qu’ils n’ont même pas l’idée (« que
personne ne leur a appris ») qu’on peut, qu’on doit parfois résister à
certaines envies : renoncer, non par esprit de sacrifice, mais pour un « bien
supérieur », l’équilibre des bien-être de l’un et de l’autre.
Peut-être à
l’inverse a-t-on excessivement « arraché » les racines de celui qui a
plus tendance à céder, quand il était petit, ce qu’on appelle
« éducation », et qui constitue parfois une « éradication » …
Certains ont
« trop » de pulsion, et d’autres pas assez (pour le bien-être des uns
et des autres) : du coup la solution est assez simple : borner
l’appétit des « trop », fût-ce à coups de pompes dans le train, et
réveiller celui des « pas assez » ; s’écouter. Dessiner clairement
la ligne, intangible, de ce « qu’il nous faut ».
Il reste
à « négocier » : plus avec soi qu’avec l’autre (plus ou moins
selon son degré d’écoute et de lucidité). Qu’est-ce que je veux, et qu’est-ce
que je ne veux pas ? Comment « payer moins cher » ? Comment
changer telle réalité, me mettre à l’abri de telle pollution de l’autre ?
Comment obtenir plus ce qui me manque ?
Les
matériaux, les paramètres combinables sont toujours les mêmes : lieu,
temps, activités, personnes.
Un
partenaire pénible, c’est plus de temps ailleurs, avec d’autres, pour faire ce
qui m’importe.
Sans
exclusive. Renoncer unilatéralement pour se plier aux préférences de l’autre,
c’est abdiquer, ne pas être.
Avec
cette liberté, non sans risque de douleur (mais vivre c’est souvent choisir
entre deux douleurs/plaisirs, pile et face, si je gagne ici je perds là), pour
chacun des partenaires, de mettre un terme à la relation, lorsqu’elle est plus
« coûteuse » que bénéfique, polluante que vivifiante ; ou de la
« distendre » : on peut n’être en couple que « plus ou
moins », être là plus ou moins souvent, séparer les espaces, vivre aussi
ailleurs, avec aussi d’autres gens …
Je crois
que la difficulté c’est que nous vivons tout cela comme un drame, plutôt qu’une
liberté, qu’entrent en conflit les deux paramètres de la relation (on peut
conserver de l’attachement pour quelqu'un avec qui on n’est plus en
« correspondance »), et que le changement nous fait peur : la
peur de perdre, la crainte que « ce soit moins bien » sans, après …