Elle a une drôle de gueule, la frangine, aveugle, moi je
crois pas, juste une poupée ripolinée, bien sous tous rapports, avec son petit
col de dentelle, sa frange bien nette et ses lunettes de dactylo propre sur
elle, son rouge à lèvre de gentille psychopathe. Dolly gore, prête à tuer sans
sourciller. Des mirettes d’apparition cauchemardesque, bleu glacé.
Les jaillissements du désir
Tempête dans un vagin
Quand ça monte et ça cogne, le désir ça insiste, ça remplit
tout mais ça n’affleure pas, ça arrive pas à sortir, ça marmite en rond, c’est
pas si facile d’écarter les cuisses et de se laisser aller, d’écarter les
culpabilités et de se laisser prendre, emporter, noyer par ce désir qui bout
Ça insiste, on n’en veut pas, on en voudrait, les magazines
féminins disent que c’est bon pour la santé, 30’ de jambes en l’air par
semaine, la femme libérée, mais c’est dur à caser, entre les horaires de bureau
et les courses au Monop’
Et puis il faudrait un mec, c’est pas ça qui manque, mais c’est
encombrant, un bonhomme, avec ses envies pas ragoutantes, on sait pas trop quoi
en faire après, faudrait pouvoir le débrancher, après usage, pas avoir à se
taper la conversation, en plus, ou l’absence de conversation, un mec ça jouit
trop vite et tout seul et c’est content de soi, ça voudrait une remise de
diplôme
Tu devrais venir à la mer ! propose la copine
attentionnée, bien proprette elle aussi, le rouge à lèvres rouge baiser, son
petit chapeau trop mignon, Je l’ai eu pour trois fois rien chez Agnès B., il te
va à ravir
Si c’est pour voir les vagues autant ouvrir la cuvette des
wc, ça économise sur les temps de trajet
Ce sont des femmes libérées, de vraies copines, qui se
parlent de tout de leurs règles et des douleurs pré-menstruelles, elles se
cachent rien, leurs plans cul, la copine a toujours une histoire de baise à
raconter, elle se demande si des fois elle affabule, à l’en croire elle
grimperait aux rideaux elle tomberait que sur des super coups, qui offrent des
fleurs après, et se tirent après l’avoir tirée, les avantages du sexe sans les
inconvénients des mondanités
Elle, c’est pas ça qu’elle veut ce qu’elle veut elle en sait
rien au juste, c’est juste que ça la prend parfois au creux du ventre, elle a
essayé tout un tas de choses, consulté un sexologue à 150 € la séance, elle s’est
même tapé le sexologue, ensuite, qui proposait des travaux pratiques, c’est
compris dans le forfait, elle l’a laissé ramper entre ses cuisses, se
trémousser en faisant toutes ses petites affaires, rien n’y a fait, il est
parti dans un grand râle de contentement, elle s’est essuyée en piochant dans la
boîte de kleenex à disposition de la clientèle, elle a pris un taxi pour
rentrer, elle supporte pas le métro avec toutes ces senteurs moites et le
regard des types sur le plaisir qu’ils prendraient d’elle, va pour la mer
Elles prennent le train, elles descendent à Grandville, c’est
une petite station tout confort pour ceux qui n’aiment pas les vacances
Elles sont allées voir la mer après tout c’est pour ça qu’elles
sont venues, la copine a battu des mains en voyant les grosses vagues qui
giclaient comme des propositions salaces, toujours les mêmes, des promesses qui
n’engagent à rien, ça cognait contre les rochers, il y avait un jeune type qui
regardait lui aussi, la copine lui a jeté des regards en coin, elle le voyait
déjà dans son lit, un plan à trois ça te brancherait ? Elle a eu envie de
pousser la copine en bas de la falaise, de voir son corps tomber comme un
pantin ridicule, avec le petit cri qu’elle doit avoir quand elle jouit,
exploser en s’écrasant sur les rochers, léché par la mer qui vient aux
nouvelles, par le sang alléchée, qui s’enhardit sous la jupe, qui renifle la
chair encore chaude, toute palpitante de mort fraîche
Viens, on rentre à la chambre, l’autre est déçue mais elle n’ose
pas se dérober au ton sans appel
Elles rangent leurs affaires dans les tiroirs Maintenant qu’est-ce
qu’on fait ?
Elle lui retire son petit chapeau ridicule, elle lui défait
son petit tailleur convenable, l’autre se laisse faire elle n’est ni pour ni
contre elle n’a jamais essayé il faut pas mourir idiote Elle a un petit corps
qui sent bon, pas comme ces gros corps d’hommes qui sentent fort Elle la goûte
à petits coups de langue sages Elle lui immobilise les bras Elle l’attache aux
montants du lit L’autre y prend du plaisir à se laisser faire c’est tout
nouveau c’est des sensations qu’elle n’avait pas encore découvertes ça lui fera
une expérience à raconter
Dans le courrier des lectrices
Elle sort de son sac un petit coupe-papier Qu’est-ce que tu
fais ? Elle commence à se sentir un peu effrayée Elles ne se connaissent
pas tant que ça Elle enfonce un peu la lame dans la chair, ça fait mal Elle se
débat mais les cordelettes la tiennent bien attachée Elle lui fout la trouille avec
ses grands yeux bleus écarquillés Elle hurle quand l’autre lui enfonce la lame
au pourtour de l’orbite
L’œil se détache facilement comme de la pulpe de kiwi Le
jaillissement du désir La grande vague qui monte qui cogne contre les rochers
la grotte du vagin
Submergée, elle jaillit, enfin, elle explose au monde, elle
vient au jour C’est une naissance Elle jouit
Elle se sent en paix
Elle joue avec les petits coquillages posés sur la table de
chevet
C’est mignon, ces coquillages
Elle rajuste son petit col de dentelle.
***
Pas grand monde, dans le compartiment. Je préfère le train,
c’est plus reposant, et ça me permet de potasser les dossiers des clients. Il y
a une famille qui doit renter d’un séjour à la mer. La petite fille lit, bien
sagement, le petit garçon, lui, s’agite, il ne sait pas quoi faire, il cherche
quelle connerie faire. La mère ne s’en occupe pas. Elle laisse faire.
Il y a une grosse Noire à tresses teintes, qui s’esclaffe
grassement dans son téléphone. Elle discute sûrement avec une copine.
Et puis une jolie fille toute seule dans son coin, l’air
bien clean, genre secrétaire de comptable. Elle lit un magazine féminin. Elle n’a
pas l’air de s’amuser beaucoup. Elle a l’air d’une nénette qui ne doit pas souvent
s’éclater.
Je remets le nez dans mes dossiers. Pas folichon. Placer des
jacuzzi chez des jobards pleins de thune, c’est pas une vocation. Mais j’ai le
truc. Je sais flatter la vanité de ces prétentiards qui savent plus quoi faire
de leur fric : autant qu’ils le claquent dans ma boîte, ça me fait des
commissions. Le gamin commence à me taper sur le système, il donne des coups de
pieds dans mon dossier, je vais finir par lui en coller une. La mère laisse
faire, c’est pas ses oignons.
Je flaire l’opportunité. Il y a moyen de coup double. Je rassemble
mon barda et me glisse à côté de la nymphette refoulée, sous couvert de me
mettre au calme. On sait jamais. Je perds rien à essayer. Encore deux heures
pour Austerlitz. Le train, c’est long.
La poupée a pas moufté. Les yeux rivés à son magazine. A peine
un regard de côté, quand je me suis assis, un scan rapide et méprisant. Je suis
pas son type. Mais ça peut changer. J’en ai connu, des clients pas intéressés. Après
trois heures de baratin, c’est souvent eux qui prennent le plus d’options. La fortune
sourit aux audacieux, et fut un temps où je savais le dire en latin. Comme quoi,
les études ça sert toujours à quelque chose.
Je fais mine de pas m’intéresser à elle. Je mate ses cuisses
qui dépassent de sa jupette, elle a tout l’attirail de l’allumeuse
professionnelle, la frange qui dit non mais cette rigidité frémissante du buste
qui crie Oui. Oh ! oui !
Au bout du temps de silence réglementaire, j’attaque. C’est
le gamin qui me fournit le prétexte. Je vitupère ces mères je m’en foutiste qui
sont la plaie des transports en commun. Je visais le consensus. C’est raté. La bêcheuse
m’accorde pas plus d’intérêt que si j’étais une crotte de chien. J’espère que
je suis pas tombé sur une lesbienne. J’ai rien contre les lesbiennes, si ce n’est
qu’elles sont une perte de temps. Une loi devrait les obliger à porter une
étiquette : « Mâles normalement constitués, passez votre chemin ».
Les deux parties y gagneraient.
Je cherche, mais je vois pas. C’est pas le genre de fille à
brancher avec des platitudes, sur l’art ou la politique. Tant pis, je risque l’action
directe. Très lentement, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde,
j’approche ma main de sa cuisse, je vais au contact, un frémissement, mais pas
une parole, toujours pas un regard. Qui ne dit mot consent. Je remonte le long
de la cuisse. J’ai compris que j’avais affaire à une demoiselle qui n’aime pas
perdre de temps. Je poursuis sans mollir vers la culotte. Ça a l’air de lui
plaire. Elle se laisse manipuler, l’angle n’est pas trop favorable, pas très
pratique, avec mon bras tordu sur le côté. Mais il faut savoir payer de sa
personne. Je persévère. Elle halète doucement. Le jaillissement du plaisir. Tempête
dans un vagin. Je ne vois pas comment on pourrait conclure, le cadre n’est pas
adapté. La SNCF a encore des progrès à faire, rayon satisfaction de la
clientèle.
Au bout d’un moment, elle repousse doucement ma main, tant
mieux, je commençais à m’ankyloser, elle se lève, murmure « pardon »,
mais tout le plaisir est pour moi, se dirige vers l’arrière du train. Je la
suis des yeux. Est-ce que … ?
Tout juste. Elle est entrée dans les toilettes, m’a jeté un
regard avant de repousser la porte. Je réponds à l’appel du large, je la
rejoins : bingo, la porte n’est pas verrouillée.
C’est un peu étroit pour deux personnes, mais ça devrait
aller pour ce qu’on a à faire. Elle a déjà enlevé son chemisier, je fais comme
elle. Elle extirpe deux petites cordelettes, c’est jour de paye, je suis tombé
sur une vicieuse. Je me laisse attacher. Si c’est son truc. Elle sort de sous
sa jupe un objet.
Ça ressemble à un coupe-papier.